3 Broons

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Ma prochaine étape était Broons (à cinquante kilomètres de là). Un homme passa près de moi, à bicyclette également et me demanda où j'allais.

⌐ A trente deux kilomètres après Saint-Brieuc, c'est aussi mon chemin. Cela vous dérangerait-il que nous roulions ensemble ?
⌐ Non.

Et nous partons. J'avais trouvé un équipier. Nous arrivâmes à Broons, une petite cité du Côtes-du-Nord semblables à toutes celles que j'avais traversées jusqu'ici. La faim commençait à venir et nous sous proposions de déjeuner à la sortie du village. Au dernier tournant de la route, en pleine descente, nous dûmes nous arrêter. A notre grande stupéfaction, la route nationale par la ville, nous roulions depuis Saint-Méen était barricadée dans toute sa largeur, par des instructions giratoires de toutes sortes. Il était impossible de passer, nous étions cloués là. Les hommes en ciré, armés de fusils et de mitraillettes montant la garde de chaque côté de la route.

⌐ Halte-là, où allez-vous ?

⌐ Dans les Côtes du Nord. Pouvez-vous m'indiquer un autre chemin, pour m'y rendre ?

Je ne savais pas que j'étais déjà dans ce département, je lui précisai après Saint-Brieuc.

⌐ Tous les chemins sont barrés. Une bataille se livre à dix kilomètres d'ici. Je vous conseille d'attendre.

⌐ Attendre ? Oui, mais combien de temps ?

⌐ Impossible à dire, un ou deux jours, peut-être plus. Cela dépend de la ténacité de l'ennemi. En tous les cas, attendez jusqu'à demain.

Après cette réponse peu rassurante, je me promenai de long en large, me demandant anxieusement, comment j'allais pouvoir m'occuper, pendant ce laps de temps. Mon partenaire de route, assis sur un tronc d'arbres, en face de moi. La tête dans les mains était certainement en quête d'une nouvelle idée.

Je lui dis :

⌐ Je vais chercher un restaurant, car je meurs de faim. Il approuva et me suivit. Sitôt le repas terminé, à la sortie du restaurant, nous vîmes sous nos yeux, sur la place, tout un bataillon de civils armés portant sur le bras gauche un brassard, sur lequel on pouvait lire les initiales F.F.I.

⌐ Que veulent dire ces lettres ?

⌐ Force Française de l’Intérieur.

C'est ainsi qu'à Broons, j'eus l'explication de ce sigle que je voyais pour la première fois et dont on a parlé dans le monde entier.

Tout à coup, des bruits d'avions, ils étaient au nombre de trois passants au-dessus de nos têtes et lâchant des bombes par chance, dans un champ à proximité de nous. Nous étions obligés à nous allonger à plat ventre, dans un fossé. Une fumée suffocante rendait l'air irrespirable. Les balles sifflaient au-dessus de nos têtes. Je distinguai nettement le bruit d'une arme à feu, de coups de fusils, des rafales de mitraillettes. Sans nul doute, des soldats se battaient là. Je perçus des cris de soldats blessés. J'étais plus morte que vive. Tapie dans les fougères et les ronces du fossé, je peinais à respirer. J'avais l'impression que mon cœur, lui aussi, allait sauter dans ma poitrine, tant qu'il produisait des bonds désordonnés. La bombe en tombant avait projeté des monceaux de terres un peu partout à la ronde. J'en reçues moi-même des éclaboussures. Des soldats couraient en direction du champ. Je n'osais pas relever la tête et si c'était des Allemands ? Avec précaution, j'écartais la fougère et me rendis compte sue les F.F.I accourraient au secours de leurs camarades blessés. Je ne voyais rien. J'entendais par-contre. C'était si atroce que je ne pouvais pas rester plus longtemps. Je me levais. J'étais couverte de la terre et des banchages, me secouais pour me débarrasser de tout cela. J'appelai mon compagnon.

⌐ Êtes-vous blessé ?

Il vint vers moi, nous l'avions échappé belle. Nous aussi, nous avions de la chance de ne pas être atteints par un éclat d'obus.

⌐ Allons-nous-en .

⌐ Je reste ici un moment, je vais voir les blessés.

Je fis quelque pas, je trouvai sur une petite place. Un spectacle affligeant auquel personne ne pouvait rester insensible. Allongés sur le sol, une dizaine d'hommes jeunes, certains d'entre d'eux encore adolescents blessés. Leurs plaintes et leurs gémissement étaient pénibles à entendre. Passer devant eux froidement, dans l'indifférence était de commettre une ingratitude. Je me serais toujours reprochée. Je leur devais cet égard à eux qui risquaient leurs vies afin que d'autres en profitent. Un cri si déchirant attirai mon attention. Je m'approchais et me penchais vers lui : il perdait beaucoup de sang et abondamment. Il me restait quelques mouchoirs, j'épongeais le sang. Avec précaution, je dégrafais ses vêtements, pour lui faciliter la respiration. Il me murmurait :

⌐ Les brutes, ils m'ont tué !

⌐ Non, on va vous soigner et vous guérirez.

Il me fit un signe négatif de la tête, il n'y croyait pas. La blessure devait être à la ceinture. Il souffrait horriblement, il ne cessait de répéter :

⌐ Les brutes, ils m'ont tué !

Il s'efforça à se lever avec succès, chancela puis, s'affola sur le gazon, ne pouvant aller plus loin. Il hurlait de douleur tout en se tenant le ventre des deux mains. Il criait toujours les mêmes mots. Je m'approchais de lui à nouveau. Une présence féminine adoucirait peut-être ses souffrances et lui rappellerait sa mère. Des brancards arrivèrent, il faut le premier à être transporté dans un couvent de nonnes, transformé pour les circonstances en hôpital provisoire. Les autres, moins gravement atteints étaient transportés dans une charrette où se tenait un capitaine Allemand prisonnier. Parmi des blessés, se trouvaient, un jeune F.F.I de dix-sept ans, avec une plaie infectée. Sa cuisse enflait avec une telle rapidité que l'amputation se révéla nécessaire. Quel désespoir, lorsqu'à son réveil, il se réveillera avec plus de jambe.

Subitement, le mot « l'hôpital » réveilla un souvenir, datant d'octobre mil neuf cent quarante-neuf, deux mois après la déclaration de la guerre. J'étais volontaire pour suivre des cours d'infirmière, en cas de besoin : pansements provisoires en attendant des soins appropriés, désinfecter le matériel chirurgical etc. Mais, allais-je encore m'en souvenir quatre ans après ? Je me dis que c'est peut-être le moment de mettre à profit mes maigres compétences en la matière. Je m'adressai au médecin major à qui, j'exposais brièvement l'objet de ma visite inopinée.

⌐ Mais oui, nous allons voir ce que vous pouvez faire, nous avons besoin de bonnes volontés et de courage !

J'avais revêtu une blouse blanche et désinfecté les mains, je commençais par une capeline(pansement de la tête. Je me souvenais des brefs cours d'octobre mil neuf cent trente-neuf à l'hôpital Bichat. Il faut que le pansement soit solide, joli à l’œil et symétrique tout à la fois. C'étaient beaucoup à demander. Pourrais-je satisfaire à toutes ces exigences ? Je m'y appliquais de mon mieux encouragée par le lointain souvenir d'une bonne note. Je ne m'en sortis pas trop mal. Le médecin parut assez satisfait.

⌐ Continuez me déclare-t-il.

Quatre autres dames étaient là aussi. Nous partagions plusieurs pansements. L'un au pied, l'autre au bras. Nous désinfections les instruments. Tout en accomplissant de mon mieux mon travail, l'idée de ce blessé sur le bord de la route, m'obsédait. Entre deux pansement, je courus demander ses nouvelles au médecin major. Il me répondit qu'il était mort pendant le transport à l'hôpital. Mon cœur se serra. Sa réponse était si brève qu'elle signifiait pour moi : « Nous n'avons pas le temps e nous attendrir sur les morts, les vivants sont là et attendent.

Le capitaine allemand fait prisonnier était médecin civil. Il soignait avec le même dévouement et sans distinctions tous les blessés civils et militaires. Il nous était presque sympathique. Tout le monde fut unanime pour lui rendre cette justice. Il était frappant de constater que des instincts déchaînés se transformaient en sentiments humanitaires.

Après cette halte à Broons, il fallait songer à poursuivre mon chemin. J'allais récupérer ma bicyclette laissée chez une dame qui avait bien voulu, la garder quelques heures. Les avions se dirigeaient maintenant vers le sud. On entendait au loin leurs vrombissements. Allaient-ils encore renouveler le même massacre sur un autre petit village paisible ? Déverser leurs sinistres cargaisons et semer sans discernement sur tout ce qui bougeait, la souffrance, la détresse et la mort. L'effondrement du Grand Reich Allemand, le Mur de l'Atlantique, la ligne Siegfried et plus récemment le débarquement des Alliés. Cela augmentait leur haine irremplaçable d'anéantir sur leur passage. Leur supériorité n'était plus qu'un leurre.

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