Chapitre 76

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Fêtons l'été

La fin des cours arrive plus rapidement que prévu et, avec elle, la soirée de Lily Rose. Nous fêtons ce soir l’été, pas la saison que j’affectionne le plus, mais que j’apprécie tout même pour sa douceur et ses longs jours paisibles. Après tout, s’il m’arrive de m’ennuyer pendant les grandes vacances, je suis quand même à l’abri des coups et insultes d’Anthony et sa bande.

Comme Lily Rose réquisitionne la maison pour sa fête, Mark propose à Sofia et Philip de passer la nuit chez nous.

Alors que je tente de trouver une chemise potable dans ma commode, la sonnette retentit. Depuis ma chambre, j’entends les pas lourds de Mark puis sa voix profonde accueillir chaleureusement ses amis.

– Zach, les Daniels sont là, croit bon de préciser Mark en criant.

– J’ai entendu !

Avec un juron, j’enfile en catastrophe une vieille chemise blanche qui commence à dater. J’ai tout juste le temps d’attacher quelques boutons avant de percevoir les grincements caractéristiques de l’escalier.

– Bonsoir ! lance gaiement Philip en toquant à ma porte.

– B-Bonsoir, bredouillé-je en tirant sur mon vêtement pour tenter de cacher le désastre.

Mais c’est en vain : le tissu se tend dangereusement sur mes épaules, les manches m’arrivent au-dessus du poignet et les pans descendent à peine à mes hanches. Avec un petit sourire crispé, Phil me dévisage de la tête aux pieds avant de souffler avec amusement :

– Zach, tu voudrais pas mettre ta fierté de côté et demander à Mark de te prêter une chemise qui est à ta taille ?

Mon idiotie me faisant rougir, je fais mine de chasser une poussière de ma manche. Un craquement typique de tissu déchiré emplit la pièce. Mortifié, j’observe avec consternation le trou qui vient de se former sous mon aisselle.

– Oh, Zachary, lâche soudain une voix lasse à l’entrée de ma chambre.

Avec un sursaut, je me retourne vers Mark, qui a rejoint Phil. J’aperçois les cheveux roux de Sofia juste derrière. Les yeux sombres de mon père adoptif me toisent avec un mélange d’agacement, d’amusement et de surprise.

– Elle date de quand, cette chemise ? reprend-t-il en s’avançant dans la pièce.

– Tu-Tu me l’as offerte pour mes quatorze ans, je crois.

– Et tu as quel âge aujourd’hui ?

– Dix-sept, soufflé-je, sentant l’embarras monter en moi à la vitesse d’une flèche.

– Bien. Et tu as pris quoi ? Vingt centimètres entre temps ?

Sans délicatesse, il tire le tissu déjà malmené de ma vieille chemise.

– Et tu comptais vraiment rentrer là-dedans ?

Comme je n’ai pas de réponse adéquate à lui apporter, je hausse les épaules, la bouche plissée.

– Aller, arrête de bouder, et viens ici.

Sans attendre de réaction de ma part, il tourne les talons et sort. Sous les regards compatissants de Philip et Sofia, je traîne les pieds jusqu’à la chambre de Mark. Il est en train de farfouiller dans son armoire. Il finit par en sortir la belle chemise blanche qu’il m’avait prêtée le jour où l’on s’est rendu au cimetière pour commémorer l’anniversaire de la mort de sa famille.

– Ma chemise de bal de promo à la fac, souffle-t-il avec nostalgie avant de me la tendre. Ça fait un moment que je ne rentre plus dedans. Je ne voulais pas te la donner parce que j’y étais attaché, mais… (Il soupire bruyamment.) Il est temps de se rendre à l’évidence : je n’en ferais plus rien. Alors garde-la.

La gorge serrée par son geste, je prends délicatement la chemise entre mes doigts crispés. Ce n’est rien qu’un vêtement, mais il porte une telle valeur sentimentale pour Mark que j’ai l’impression d’hériter d’une partie de ses souvenirs.

– Merci, soufflé-je avec reconnaissance en observant la chemise.

– De rien. (Il reluque d’un air consterné l’actuel haut que je porte.) Aller, imbécile, dépêche-toi de te changer, tu vas être en retard.

Sans un mot de plus, il sort de la pièce et ferme derrière lui pour me laisser un peu d’intimité – bien que Sofia et lui m’aient déjà vu torse-nu plus d’une fois.


Debout devant le miroir de la salle de bains, je me demande que faire des boucles noires qui envahissent mes tempes, mes oreilles et ma nuque. Je ne suis pas allé chez le coiffeur depuis un moment, alors ma chevelure a pris le pouvoir. Si la grosse partie reste ondulée, les pointes bouclent librement, ce qui ne me plaît pas trop.

Avec un soupir, je finis par laisser tomber l’idée de leur donner une forme particulière. Penché au-dessus du lavabo, je me brosse les dents puis observe mon reflet dans le miroir. Je n’ai jamais vraiment prêté attention à mon physique. La Dette et ma vie chez Mark m’ont donné bien d’autres occupations. Mais je ne sais que penser de moi, de mon allure. Jess me trouve-t-elle attirant ? Dante a avoué qu’il me trouvait plutôt beau garçon, même si je n’étais « pas son genre ». Quant à Lily Rose, elle ne m’a jamais parlé de ça. Et moi, je ne sais que penser. Je trouve que mes cheveux sont trop bouclés, que ma peau est trop pâle, mon visage trop anguleux, mes yeux trop clairs. Mais on se trouve tous quelque chose de « trop », non ?

Je me redresse. Puis avec un rire désabusé, je me passe un peu d’eau sur le visage. Hier, mon physique ne me préoccupait pas. Tant que je me sens bien dans mon corps, il ne devrait pas le faire non plus aujourd’hui.

L’air est encore tiède lorsque je finis par sortir de la maison. Depuis la cuisine, où ils se sont installés pour boire une bière, Mark, Sofia et Philip me souhaitent une bonne soirée. Je leur retourne le vœu, puis m’engage vers le petit portillon. Son grincement m’arrache un sourire. Cet été, je proposerai à Mark de graisser les gonds.


Si j’ai accepté l’invitation de Lily Rose, moi qui n’aime pas les manifestations sociales, c’est parce qu’elle m’a assuré qu’elle n’a invité que son cercle d’amis proches. Moins d’une vingtaine de personnes. Je suis tout de même légèrement angoissé à l’idée de rencontrer des gens que je ne connais pas.

Le portail de Lily Rose est entrouvert alors je m’engage chez elle sans sonner. J’entends de la musique et des rires provenir du jardin. Je fais directement le tour pour rejoindre celui-ci, ma bouteille de jus de fruits sous le bras. Bien que notre amie nous ait assuré qu’elle a tout prévu pour les boissons et la nourriture, je ne me voyais pas venir les mains vides.

Les lanternes du jardin sont allumées en prévision de la nuit à venir. Quelques personnes sont déjà en maillot de bain dans la piscine. Deux gars font griller des saucisses au barbecue tandis qu’une fille que je connais de vue verse du thé glacé dans des verres en carton.

– Salut ! me lance-t-elle d’un ton enthousiaste en me voyant arriver. J’ai proposé à Lily Rose de m’occuper des boissons, alors tu peux poser ton jus de fruits sur la table.

– O-OK.

À peine ai-je déposé la bouteille en carton que la fille m’attrape par le bras.

– Au fait, je m’appelle Kat.

– Ah. Euh, salut Kat. (Comme elle m’observe en souriant, je me maudis silencieusement avant d’ajouter :) Zachary.

– Oh, le fameux ! se contente-t-elle de répondre en retournant à sa tâche.

Embarrassé, je ne dis rien. « Le fameux » ? Qu’est-ce que c’est censé vouloir dire ?

Discrètement, je prends congé de la jeune fille et me dirige à l’intérieur. La musique me saute brutalement aux oreilles, me faisant ralentir légèrement. En plus, ce n’est pas comme si c’était du rock, mon genre préféré. Avec un soupir discret, je cherche Lily Rose à l’intérieur. Cinq personnes discutent en dansant à moitié. Parmi elles, je repère aussitôt Dante, en polo blanc et jeans noir, qui se déhanche librement. Figé par la vision de mon ami, je l’observe bouger, mouver ses bras et ses jambes avec grâce, déplacer ses pieds avec légèreté. Comment fait-il pour être aussi à l’aise devant ces inconnus ?

C’est définitif, je l’admire.

En bord de piste, je remarque un gars qui observe Dante avec, sûrement, la même admiration que moi dans les yeux. Je ne crois pas l’avoir déjà vu au lycée ; d’ailleurs, il a l’air plus âgé que nous. Sentant mon regard sur lui, il tourne la tête vers moi.

– Salut ! crie-t-il pour couvrir le volume de la musique. Si tu cherches Lily Rose, elle est à l’étage.

– Merci ! je réponds en m’approchant pour qu’il m’entende correctement. Euh… tu n’es pas au lycée privé de Lake Town, hein ?

– Non, effectivement ! Je suis un ami de Max, son frère, m’apprend le gars en continuant d’observer Dante danser sur la piste improvisée. On est devenus bons amis avec Lily, car on a fréquenté le même club de théâtre. (Il me tend la main, un sourire charmant aux lèvres.) Theo Discler.

– Zachary Gibson, le salué-je à mon tour en lui rendant sa poignée de main. Je… J’ai connu Lily Rose en emménageant juste à côté de chez elle.

– Haha, je sais qui tu es, réplique sans brusquerie Theo avec un clin d’œil sous ses mèches blondes tombantes.

Avec un coup de menton, il indique Dante du regard, que quatre filles regardent danser avec dépit et admiration.

– En revanche, je le connais pas, cet énergumène. Tu sais qui c’est, toi ?

– C’est Dante, me contenté-je de répondre avec un haussement d’épaules. Dante McKinney, il est arrivé avec sa sœur jumelle cette année au lycée. Ils sont de Lake Town.

– Je vois, souffle le gars avant de reposer son verre sur la table la plus proche. Je vais lui proposer un petit duel de danse.

Ne sachant quoi répondre, je le regarde partir en direction de la piste puis approcher Dante avec assurance. Mon ami l’écoute parler, un sourire aux lèvres, puis hoche la tête avec enthousiasme. Quelques secondes plus tard, Theo et Dante dansent face à face avec aisance, les yeux plongés dans ceux de l’autre.

Je n’ai jamais été doué pour ces choses, mais j’ai l’impression que mon ami a flashé dans l’esprit de Theo.


Après avoir rejoint l’étage, je trouve Lily Rose dans sa salle de bains. Dos à moi, je peux admirer le dos-nu de sa robe turquoise qui suit la finesse de sa taille jusqu’aux hanches puis s’épanouit en volants légers et aérés. Elle discute avec quelqu’un que je ne vois pas.

– Lily ? soufflé-je avec hésitation, gêné à l’idée de la déranger.

Comme elle ne m’a pas entendu arriver, elle se retourne brusquement en poussant un petit cri. J’aperçois derrière elle Jessica, assise sur le rebord de la baignoire. Mon cœur se fige pendant une demi-seconde. Elle s’est vêtue d’une robe rouge sombre près du corps, mais qui ne la moule pas. Deux bretelles larges retiennent le vêtement grâce à des boucles en argent qui font écho aux deux flocons argentés qui pendent aux oreilles de mon amie.

– Tu es magnifique.

Les mots roulent sur mes lèvres avant que j’aie pu réfléchir. Alors que Lily Rose se remet de ses émotions, Jessica pique du nez pour cacher ses joues rouges. Manifestement embarrassée, elle triture un bracelet gris-blanc à son poignet.

– Tu m’as fait peur, finit par avouer Lily Rose avec un rire léger. On finissait de se maquiller. Jess est plus douée que moi, alors je lui ai demandé de l’aide.

Et, en effet, je remarque du fard à paupières doré qui met en valeur les prunelles vertes de mon amie. Jess tient à la main un flacon de mascara, qu’elle fait rouler entre ses doigts habiles.

– Tu es très jolie, Lily, ajouté-je en réaccordant mon attention à l’hôtesse de la soirée.

– Merci, souffle-t-elle avant de venir redresser le col de ma chemise. Tu es très élégant, Zach, tu pourrais t’habiller comme ça plus souvent.

– Non, je me sens pas très à l’aise en chemise, marmonné-je en haussant les épaules.

– On dirait pas ! réplique gentiment Jessica en se relevant.

Sa robe se déroule le long de ses jambes jusqu’à mi-mollet. Elle a peut-être les jupons les plus longs de toutes les filles de la soirée, mais ça ne fait que souligner les courbes de sa silhouette.

Avec un pas félin qui me fiche une boule dans la gorge, elle vient poser les mains sur mes épaules. Elle s’est contentée d’un trait d’eye-liner et d’un rouge à lèvres mat. C’est sobre et ça lui va à ravir. Ses cheveux coiffés en chignon désordonné dégagent son visage serein et doux.

J’ai l’impression de lui trouver un petit quelque chose en plus à chaque fois que je la vois.


– Je crois que ton frère a une piste pour ce soir, annoncé-je pour m’occuper l’esprit à autre chose que de la dévorer des yeux.

– Ah bon ? lâche Jess en retirant ses mains de mes épaules. Comment tu sais ça ?

– J’ai parlé avec un gars, Theo, qui… regardait avec attention Dante danser.

– Oh, je veux voir ça de mes propres yeux, s’exclame soudain Jessica avant de sortir comme une furie.

Lily Rose la regarde filer avec un petit sourire. Je me rappelle soudain qu’elle n’a personne à qui tenir le bras pour danser. Dans d’autres circonstances, peut-être qu’elle serait en train de rire avec Anthony en ce moment-même.

– Merci de m’avoir invité. Ça me fait plaisir.

– Tu rigoles ? J’avais vraiment envie de passer un bon moment, parce que, cette année, ça…

Sa voix se casse sur un tremblement nerveux. J’ai l’impression de voir dans ses yeux sa séparation avec Anthony, la découverte de mon harcèlement, la pression des cours et des profs, les rumeurs et insultes qui ont circulé à notre sujet…

– Lily Rose, merci d’avoir été là pour moi depuis toutes ces années, murmuré-je en l’enlaçant maladroitement de mes bras.

Avec un drôle de bruit de gorge – peut-être un sanglot étouffé – elle me rend mon étreinte en enfouissant son front contre mon épaule.

– Mon propre frère n’a jamais été aussi attentionné et gentil avec moi, bredouille-t-elle au bout de quelques secondes. Toi, à chaque fois qu’on se voit, j’ai l’impression que tu es content de me voir. Tu es capable de me surprendre tous les jours. Même si c’est rare, tes marques d’affection sont toujours sincères.

Malgré ses bras fins, elle me compresse avec force la cage thoracique.

– Merci à toi aussi d’avoir été là, Zach. Je sais que tu veilles sur moi comme un frère sur sa sœur.

Aussi émus l’un que l’autre, on continue à s’étreindre encore quelques secondes avant de se séparer. J’essuie une larme solitaire qui a coulé au coin de son œil.

– On y va ?

– Oui, acquiesce-t-elle en inspirant un bon coup. J’ai hâte de poser des questions à Theo par rapport à Dante.

Elle glisse son bras sous le mien pour nous emmener vers les escaliers.

– Si on peut les caser ensemble, j’en serais plutôt contente !

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