Chapitre 57

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Toi & moi

Je ne sais pas combien de temps je reste sonné. Molly pleure, affaissée sur mon lit, et Mark tient Ashley par les épaules. Elle semble amorphe, trop choquée pour réagir.

L’esprit englué par les claques de Molly, il me faut un moment avant d’avoir les pensées claires. Quelque chose de tiède coule de mon nez jusqu’au col de mon t-shirt. Machinalement, j’essuie le sang d’un coup de manche.

Entre désarroi, honte et frustration, je regarde la famille déchirée se toiser en chiens de faïence. Quelle est ma place parmi eux ? En ai-je au moins une ? Ou ne suis-je que le caillou qui a définitivement fait sauter les engrenages fragiles qui tournaient ensemble ?

– Ashley, on part.

Molly Keaton vient de redresser la tête. Ses yeux bouffis sont noircis du maquillage qui a coulé, ses belles lèvres charnues sont plissées. D’un mouvement sec, elle se lève de mon lit en évitant soigneusement de me regarder.

– Nous n’avons plus rien à faire ici, Ashley, reprend la femme d’une voix autoritaire. Dépêche-toi de descendre.

– Maman…

– Pas de discussions.

Lorsque Molly se plante à côté de Mark, le toisant sans ciller, il ne fait pas mine de retenir sa nièce et ôte doucement ses grandes paluches des épaules de l’adolescente. Aussitôt, sa mère l’agrippe par le bras et la traîne sans douceur derrière elle. Les talons de la femme claquent dans le silence lugubre qui s’est abattu.

Mark grimace en rencontrant mon regard.

– Tu as du sang plein ton t-shirt. (Il s’éloigne dans le couloir.) Bouge pas.

Malgré ses recommandations, je me redresse avec un grognement et rejoins le rez-de-chaussée. Sous le regard implacable de sa mère, Ashley rassemble ses affaires et se rhabille.

Je reste planté aux pieds des escaliers et ne me décale que lorsque Mark les descend en trombe, des compresses à la main.

– Je t’avais dit de pas bouger, imbécile, marmonne-t-il en plaquant sur le bas de mon visage quelques gazes.

Machinalement, je les maintiens en place sans quitter des yeux la mère et sa fille. Une étrange sensation de vide m’a envahi.

– Molly, ne punis pas Ashley pour ce qu’elle a fait, lance Mark en s’avançant vers elles.

– L’éducation de ma fille ne te regarde absolument pas, Mark, répond-t-elle sèchement sans même lui jeter un coup d’œil. Et elle sera punie pour m’avoir menti et s’être mise en danger.

N’ayant visiblement rien à répliquer, il reste silencieux tandis qu’Ashley enfile ses bottines rouges. Je fais un pas en avant. Puis m’arrête. Je n’ai pas le droit de m’impliquer dans leur relation.

– Au revoir, souffle gentiment Mark à Ashley alors que Molly ouvre la porte pour clore de nouveau leurs liens.

L’adolescente se met alors à galoper dans sa direction et lui saute à moitié dessus pour le serrer dans ses bras.

– À bientôt, renifle-t-elle, les bras de Mark autour du cou. Je reviendrai te voir.

– Ashley ! siffle Molly avec colère.

– Je ne sais pas encore quand, mais je reviendrai.

– Très bien, murmure-t-il en embrassant ses cheveux. Prends soin de toi, Ashley, et profite de ta jeunesse.

Toujours enlacée par Mark, elle se décale pour pouvoir me voir.

– À… à bientôt, Zach.

J’enlève les compresses de ma bouche pour lui répondre.

– À bientôt, Ashley.

À travers les larmes qui coulent sur son visage, elle m’adresse un sourire.

– Ashley, ça suffit maintenant.

L’air dépité, l’adolescente se sépare de Mark, dépose un bisou sur sa joue puis rejoint sa mère en traînant les pieds. J’ai mal au cœur, j’ai peur de ce qu’elle va subir en punition.

La porte se claque derrière elles, nous laissant seuls avec Mark.


Épuisé, aussi bien physiquement que moralement, je me laisse tomber sur une marche d’escalier. Mon visage me lance douloureusement.

Mark vient s’asseoir à côté de moi. Il semble ailleurs.

– Zach, ce qu’a dit Molly…

– Peu importe ce qu’elle a dit, marmonné-je en pressant les gazes contre mon nez ensanglanté. Elle a raison.

– Il n’empêche que… que je te laisserai pas tomber.

Je fronce les sourcils avant de tourner le cou vers lui. Ses yeux sombres luisent dans l’obscurité.

– Tu es tout ce qui me reste… enfin, bien sûr, j’ai toujours de précieux amis comme Sofia ou Philip, mon travail, ma maison, mais…

Il se passe une main sur le visage en soupirant.

– Je ne sais pas comment t’expliquer.

Je hausse les épaules.

Et sursaute quand il pose une main sur ma tête.

– Sache que je serai quand même toujours là pour toi. Je m’en veux de ne pas avoir été présent avec mes filles et ma femme le jour où… où l’accident a eu lieu. Elles voulaient aller au cinéma, mais j’ai refusé de les accompagner parce que j’avais soi-disant « trop de boulot ». Je m’en veux tellement, Zach. Si j’avais été là… qui sait ? On aurait pris un autre chemin ? Je les aurais poussées de la trajectoire de la voiture ? (Il lâche un rire nerveux.) Je sais que les regrets sont futiles. Mais je ne referai pas la même erreur avec toi. Je te protégerai, je prendrai soin de toi.

– Mark…

J’ai la voix enrouée et les yeux humides. Il tapote affectueusement mon crâne.

– On est plus que toi et moi, mon garçon.

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