Chapitre 54

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54

Nièce

La nuit de samedi à dimanche, je n’ai dormi que trois heures et demie. Je suis mort de trouille à l’idée qu’Elena mette son frère au courant de mon existence. Comment va-t-il le prendre ?

À cinq heures du matin, insomniaque, allongé sur le canapé, je feuillette un roman policier chipé dans le bureau de Mark.

C’est la sensation que quelque chose glisse sur moi qui me réveille. Je me redresse dans un sursaut et tombe nez-à-nez avec Mark, qui tient une couverture à la main.

– Désolé, souffle-t-il d’un air penaud. Tu t’es endormi sur le canapé et je voulais te couvrir pour pas que tu attrapes froid.

– Oh… euh, merci.

Je bascule les jambes pour m’asseoir et aperçois le roman sur la table basse. J’ai coincé un bout de papier vers le milieu.

– Il est quelle heure ? je m’enquiers en me frottant les yeux.

– Neuf heures, répond Mark en se dirigeant vers la cuisine. Tu as mangé quelque chose ?

– Non, mais j’ai pas très faim.

– Tu devrais quand même manger un bout. Je t’apporte une barre chocolatée ?

Je soupire. Mark est devenu agaçant depuis quelques semaines. Son inquiétude me touche et m’exaspère en même temps. Ces dernières années, j’ai appris à me débrouiller seul. Et il le sait mieux que quiconque.

Cinq minutes plus tard, Mark débarque avec un plateau sur lequel fume une tasse et repose une généreuse assiette d’œufs brouillés. Une barre aux céréales chocolatée est posée à côté. Il me la tend sans même me regarder avant d’attaquer son repas.

– C’est la première fois qu’on déjeune sur le canapé, signalé-je sans toucher à ma barre.

– Je sais, reconnaît Mark entre deux bouchées. Même à l’époque d’Alison et les filles, ça ne nous était pas arrivé. (Il repose sa fourchette et ajoute d’une voix bougonne :) J’en ai un peu marre de toujours faires les choses « bien », de me comporter correctement, d’avoir de bonnes manières… Certes, mes parents seraient satisfaits, mais ça fait de moi un vieux crouton maniaque.

Je m’esclaffe puis étouffe mon rire en serrant les dents. Je ne sais pas grand-chose de la famille de Mark. Simplement que ses parents, bons chrétiens à la retraire, vivent à Kansas City et qu’il a une petite sœur habitant à Denver. De cette dernière, je ne connais que le prénom et le nom : Molly Keaton. Quand j’ai demandé à Mark pourquoi il n’échangeait jamais avec sa famille, il est resté très évasif. Néanmoins, je crois que son mariage avec une femme blanche est l’une des raisons de cet éloignement.


Épuisé, mes révisions en sont grandement affectées. Je ne parviens qu’à travailler seulement deux chapitres de géographie avant le repas de midi. Même le gratin de légumes fait maison ne suffit pas à me redonner la pêche.

Après avoir fait la vaisselle, je vais me laisser choir sur le canapé en récupérant le roman de Mark au passage. Je le sens qui m’observe depuis son bureau, mais il ne dit rien. Il sait bien ce qui me préoccupe.

Finalement, l’enquête policière m’attrape dans le filet de ses intrigues et je me laisse emporter par les pages jusqu’au milieu de l’après-midi. Mark n’a pas bougé de son bureau, sauf pour aller se faire un café vers quinze heures. Je me demande si ce sont encore des tas de copies d’élèves qui le retiennent ou s’il prépare simplement ses cours. Depuis que je vis ici, je l’ai toujours vu très investi dans son job. A-t-il toujours été comme ça ou la disparition de sa famille l’a-t-il amené à s’occuper l’esprit avec autre chose ?

L’horloge affiche seize heures quinze quand on sonne à la porte.

Une poigne gelée s’empare de mon cœur. Ce n’est pas possible, elle n’a pas pu faire aussi vite ! Si ? Le sang bat contre mes tempes tandis que je repose le roman. Si je ne vais pas ouvrir Mark le fera pour moi.

Je me suis à peine redressé du canapé qu’on sonne une deuxième fois. La personne veut vraiment nous voir. Les mains moites, je m’approche de la porte d’entrée.

Courage, souffle une petite voix dans ma tête.


Le soleil m’aveugle à moitié lorsque j’ouvre la porte. Plissant les yeux, je remarque d’abord que la silhouette qui se tient face à moi est plus petite que celle d’Elena. La main sur le front pour épargner à mes rétines la luminosité brûlante, je détaille mon interlocuteur.

C’est une adolescente, dans les quinze ans, à la peau aussi chocolatée que Mark. Ses longs cheveux sont coiffés en tresses africaines et agrémentés de perles multicolores. Ses yeux d’ébène m’observent avec surprise et curiosité tandis que je la dévisage.

– Euh… commence-t-elle d’un ton intimidé, est-ce… que je suis bien chez Mark Grace ?

– Oui.

Elle observe les alentours d’un air gêné, passe d’un pied à l’autre en baissant les yeux puis reprend d’une petite voix :

– Est-ce que… je… pourrais le voir ?

– Je suppose que oui, soufflé-je, étonné. Je peux savoir ton nom ?

– Et moi le tien ? réplique-t-elle en relevant la tête. Je ne te connais pas.

– Moi non plus, rétorqué-je avec un rire nerveux.

Visiblement décontenancée, elle me toise sans rien dire puis se penche pour voir l’intérieur de la maison. Je m’éclaircis la gorge.

– Je peux aller chercher Mark, mais dis-moi au moins ton nom.

Elle resserre son manteau rouge autour d’elle avant d’ouvrir la bouche.

– Zach ?

Avec un sursaut, je me retourne. Mark se tient près du canapé.

– Qui c’est ?

Soudain, l’adolescente lâche un petit cri et, sans que j’aie le temps de l’en empêcher, se précipite à l’intérieur. Mark recule d’un pas en la voyant arriver comme une furie vers lui. Néanmoins, à ma grande surprise, il ne la repousse pas. Elle se jette librement dans ses bras.

– Mark, Mark, pleurniche-t-elle, la tête contre son torse.

Stupéfait, je la regarde faire, bouche bée. Mark la fixe sans rien dire, l’air tout aussi surpris que moi. Cependant, au bout de quelques secondes, il referme affectueusement les bras autour de l’adolescente et penche la tête contre la sienne.

– Tu m’as tellement manqué, reprend la fille d’une voix chevrotante.


Désarçonné, il me faut du temps pour penser à fermer la porte. Une fois fait, je m’approche lentement d’eux avec la désagréable impression d’être un voyeur.

Ils finissent par se séparer. Toujours silencieux, Mark essuie les larmes qui coulent sur les joues encore rondes de l’adolescente. Elle le fixe d’un air émerveillé.

– Tu es toujours aussi grand, lance-t-elle avec un rire. Papa doit t’arriver aux oreilles.

– Aux oreilles ? s’étonne Mark.

Ce sont les premières paroles qu’il prononce. Son visage exprime un mélange d’incrédulité, de joie et de peur.

– Ton papa est grand aussi, finit-il par souffler.

– Pas autant que toi ! réplique-t-elle avant de se tourner brusquement vers moi. Ou lui !

Je tressaille et manque aller me réfugier à l’étage. Je déteste avoir l’attention tournée vers moi ; encore plus quand il s’agit d’inconnus.

– Haha, oui, Zach est grand, reconnaît Mark en me jetant un regard.

– Zach ?

La voix de l’adolescente est devenue hésitante. Ses yeux sombres, très ressemblants à ceux de Mark, ne me quittent plus.

– Oui, reprend Mark d’un ton distant. Il s’appelle Zachary Gibson.

– Euh… commencé-je d’un air hésitant, enchanté.

Cette fois, toute joie s’est envolée du visage de l’adolescente. Elle me fixe avec crainte.

– C’est lui ?

– C’est lui, confirme Mark d’une voix rauque.

Je sens mes joues me chauffer. Je comprends leur discussion. Je commence à savoir qui est cette jeune fille.

– Zach, je te présente Ashley, continue Mark en ignorant mon malaise évident. C’est la fille de Molly, ma petite sœur.

– En effet, lance-t-elle d’un ton mordant en me défiant du regard, je suis sa nièce.

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