Chapitre 50

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50

Douleur partagée

Je n’ai presque rien dormi de la nuit. Agité par mille pensées, traversé par de violents désirs, déchiré par les doutes. Qui est cet homme ? Oliver Dent. Qu’est-ce qui se cache derrière son ce nom et ce visage familier ? Un inconnu ; le frère d’Elena Dent ; mon probable père.

Mon père, c’est Mark.

Cette pensée n’a pas cessé de revenir à la charge dès que j’osais imaginer l’impossible. Qu’est-ce qu’un partage génétique face à une éducation ? Un lien du sang face à un lien du cœur ?

Ai-je vraiment envie de connaître mes parents biologiques ? Cela m’apporterait-il quoi que ce soit ?


Après une nuit blanche, le réveil est difficile. Je rejoins Mark dans la cuisine pour avaler quelque chose avant de partir. Il a l’air aussi épuisé et paumé que moi. D’une certaine façon, ça me rassure.

– T’as l’air d’avoir bien dormi, ironise-t-il, une tasse de café à la main.

Je lui jette un regard noir ; je ne suis pas d’humeur à plaisanter.

– Tout doux, la bête, soupire Mark d’un air las.

Grommelant, je me sers une tasse. Le goût amer de la boisson ne parvient pourtant pas à chasser les brumes de mon esprit. Je n’ai qu’une envie : tomber dans mon lit et dormir profondément toute la journée. Sans avoir à penser aux cours, à la peine de Lily Rose, à Jess, à Dante, à Elena et son frère.

Quel beau rêve.

Mon humeur ne s’arrange pas avec le voyage en bus. On me bouscule, on écrase mes pieds, des coudes se plantent dans mes bras. Ça ne change pas de d’habitude. Le fait de ne pas avoir dormi, si.

Je n’ai pas le temps de croiser les jumeaux ou Lily Rose avant la première sonnerie. Je me demande même si cette dernière est allée au lycée.

Les minutes s’écoulent lentement. Je n’éprouve aucun intérêt pour les cours. J’ai envie de rentrer chez moi et de harceler Elena Dent de questions. Je veux savoir, je veux comprendre.


À la pause de midi, j’aperçois Jessica au détour d’un couloir. Je l’interpelle avant que sa masse de cheveux rouges disparaisse de ma vue.

– Salut Zach, m’accueille-t-elle avec un sourire.

Son expression s’assombrit lorsqu’elle voit la mienne. Je n’ai rien le temps de lui dire qu’elle prend ma main et la serre. Touché, je sens une boule se former dans ma gorge.

– Il y a autre chose que l’absence de Lily Rose, suppose mon amie avec un regard soucieux.

Je ne savais même pas que Lily n’était pas là. Ça ne m’étonne pas, elle avait l’air dévastée hier.

– Oui, j’acquiesce à voix basse. Je… (Jetant un coup d’œil autour de nous, je lui fais signe de marcher.) Il faut que je t’en parle en privé.

Devant mon air sérieux, ses yeux noisette prennent un aspect dur qui me déplait. Je préfère les voir briller, comme de jolies pépites.

Une fois installés à l’écart sur un banc, nos repas sur les cuisses, je me sens plus à l’aise pour parler. Je sais que je suis d’habitude plutôt réservé, mais, avec elle, j’ai l’impression que je peux parler de tout. Alors je le fais.

Pour lui faire comprendre pleinement, je lui explique que j’ai été abandonné à l’âge de deux mois par ma mère. Que je ne l’ai jamais connue, ni elle, ni mon père. J’ai fait la connaissance d’Elena Dent par hasard ; elle ne m’a pas laissé indifférent, quelque chose chez elle titillait mon esprit. J’ajoute avec un sourire qu’elle a l’air d’avoir aussi fait de l’effet sur Mark. Elle sait déjà tout ça, mais je lui répète. Puis, j’en viens aux faits. Hier soir, après être rentré de chez Lily, je la surprends chez nous. J’explique à Jess qu’elle voulait nous parler de quelque chose.


J’ai gardé la photo avec moi. Comme si elle brûlait d’une énergie propre, je la sens à travers la poche de mon jeans.

– Et… souffle Jessica, tendue. Qu’est-ce qu’il y a ? C’est grave ?

– Je vais te montrer, annoncé-je en plongeant la main pour récupérer la photo.

Je la sors et la dépose dans la paume tiède de mon amie. Ses yeux basculent dessus et la fixent. Au bout d’une seconde ou deux, ses lèvres forment un « o » étonné.

– Voilà le problème, déclaré-je d’une voix sourde. À gauche, c’est Elena Dent, la journaliste. À droite… c’est son frère.

Silencieuse, elle continue à observer la photographie jaunie. Puis elle relève les yeux vers moi et me dévisage sans gêne.

– Oui, tu lui ressembles beaucoup. (Sans me laisser le temps de répondre, elle enchaîne, les yeux dans le vague.) Soit c’est une énorme coïncidence et votre ressemblance frappante est due à je-ne-sais-quoi, soit… soit vous êtes membres d’une même famille.

– Jess, il a trente-huit ans aujourd’hui. Il pourrait être… mon père.

– Ou ton oncle, rétorque Jessica, les yeux brillants, on ton frère, ou ton cousin, ou… Plein d’autres choses.

Moyennement convaincu, je hausse les épaules.

– Ou c’est mon père.

– Peut-être, souffle-t-elle en observant la photo. Ne portons pas de conclusions hâtives. Tu as parlé avec Elena Dent ?

– Pas vraiment, avoué-je en grimaçant. Sur le coup, j’ai été… tétanisé. Je ne savais plus quoi faire, ni quoi penser. À un moment, elle est partie parler avec Mark, je suis allé me coucher et la soirée était terminée.

Elle pose la photo entre nous deux et prend gentiment ma main dans la sienne.

– Tu devrais discuter avec elle. Voir s’il peut éventuellement être ton père…

– Et comment je fais ça ? maugréé-je, frustré.

– Je-je sais pas, bredouille Jess en rougissant. Je suppose qu’un test ADN serait… peut-être une mauvaise idée.

– Et s’il refuse de me connaître ? lancé-je brusquement en me tournant vers elle. Elena Dent m’a dit qu’il avait une fiancée… Ça se trouve, ils s’apprêtent à fonder une famille. (Elle me toise avec des yeux luisant de tristesse.) Rien nous dit qu’il voudrait faire ma connaissance.

– Zach.

Elle pose sa deuxième main par-dessus la mienne en baissant le regard. J’attends ce qu’elle a à dire.

– Tu devrais essayer de penser à autre chose, non ?

Sans prévenir, la colère fuse en moi.

– Penser à autre chose ? répété-je d’un air incrédule. J’ai passé ma vie à penser à mes parents ! À savoir qui ils étaient, d’où je venais… Sans jamais avoir de réponses. Et maintenant que j’ai une piste, je devrais laisser tomber ?

– Je sais ! ronchonne Jessica en se renfrognant. Ce que je veux dire, c’est qu’au lieu d’être obnubilé par cette histoire et de te torturer, tu ferais mieux de t’aérer l’esprit et de réfléchir à un moyen de le rencontrer.

– Le… rencontrer.

Une crainte soudaine s’empare de mon cœur et une envie de vomir monte en moi. Pour essayer de faire passer le malaise, je fixe le sol entre mes pieds. Mon sandwich à peine entamé me révulse alors je le lance dans une poubelle à côté de nous.

La main de Jess se cale sur mon épaule.

– Ça va ?

– Non.

Elle ne dit rien. Sa main glisse le long de mon dos pour atteindre ma deuxième épaule et elle appuie sa joue contre mon bras.

– Je ne sais pas quoi faire pour t’aider, mais je suis là, murmure-t-elle d’une voix douce.

Une chaleur bienvenue chasse la nausée dans mon ventre.

Lentement, je tourne le cou vers elle. Son visage est crispé par ses pensées. Elle redresse le menton en remarquant que je l’observe.

Elle me dévisage un instant puis lève la tête. Cette fois, ses lèvres épousent sans hésiter les miennes et je glisse une main dans son dos pour la retenir. Je ne veux pas qu’elle s’en aille. Je la veux contre moi pour la vie entière.

Je la repousse sans méchanceté lorsque les idées qui me traversent l’esprit percutent ma rationalité. Jessica ne m’appartient pas. Elle est autant libre de ses choix que de son esprit ou de son corps.

– Zach ? souffle-t-elle d’un ton inquiet.

– Jess… murmuré-je et je plonge les yeux dans les siens. Pardon, je… ne suis pas habitué.

– Oh, lâche-t-elle avant de rire nerveusement. J’ai cru que tu regrettais de m’embrasser.

– Je ne regretterai jamais un seul des baisers que je te donnerai, affirmé-je d’un air très sérieux.

Je la vois rougir puis se détourner.

– Je crois que c’est la première fois qu’un garçon me dit une aussi belle chose, avoue-t-elle d’une voix mi-amusée, mi-gênée. Alors… on peut reprendre là où on était ?

Timidement, je glisse une main sous ses cheveux pour la poser sur sa nuque. Je la sens se raidir puis se détendre quand elle se penche vers moi. De nouveau, ses lèvres me font oublier le reste.

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