Chapitre 36

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La vérité qui éclate

J’ai évité Dante le reste de la journée ainsi que jeudi. Vendredi est déjà là. Dans l’idéal, j’aimerais ne pas le croiser de nouveau et laisser passer le week-end dans l’espoir de tasser les choses.

La pause de midi est arrivée quand je croise Anthony dans les couloirs. Sur le coup, je suis trop désemparé pour réagir. Comme souvent, il déambule avec sa bande de potes. L’absence de Nick et d’Elliot me soulage en partie. Mon cher camarade s’est bien remis de son séjour à l’hôpital : il aborde un visage souriant, des cheveux bien coiffés, des vêtements de marque fringants et un air satisfait.

Le revoir aussi vite et aussi brutalement me laisse pantois au milieu du couloir. Le regard perçant d’Anthony ne met pas longtemps à rencontrer le mien. Je ressens comme un verre d’eau glacée se déverser dans ma nuque. À son tour, il se fige. La surprise et le doute de son visage laissent place à la colère et au mépris.

– Tiens donc, regardez qui voilà, grince-t-il en s’arrêtant à quelques mètres de moi. Le monstre.

Je ne réponds pas. Les chiens galeux qui suivent Anthony comme son ombre me dévisagent de la tête aux pieds comme si j’étais déguisé en clown.

– Alors, espèce de sale meurtrier, lance Anthony en croisant les bras sur sa poitrine d’un air amusé, qui est ta prochaine cible ?

– Je n’ai pas de prochaine cible… chuchoté-je trop bas pour que personne ne l’entende.

– Je t’ai pas entendu, reprend-t-il d’une voix condescendante. Dis-moi, espèce de salaud, qui est ta prochaine victime ?

– Personne ! je réponds cette fois assez fort pour me faire entendre.

– Personne ? répète-t-il d’un air étonné. Vraiment ? Tu es sûr ?

Il avance de quelques pas avant de se retourner vers les badauds présents.

– Sachez, chers amis, que Zachary ici-présent a essayé de me tuer il y a un mois !

Devant cette annonce, un brouhaha s’élève dans le couloir. Les murmures me parviennent de tous les côtés, faisant naître chez moi un mal de tête et un malaise intense. Je sens les regards s’attarder sur ma personne comme sur une bête sauvage.

– Eh oui… souffle Anthony, le visage grave, mettant au profit ses talents de comédien. Je venais voir Zachary chez lui quand… (Il secoue la tête.) J’ignore ce qui lui a pris. Il est devenu fou. Fou ! J’avais à peine ouvert la bouche qu’il m’a sauté à la gorge.

Un murmure horrifié s’élève. Pour contenir la vague d’émotions qui monte en moi, je serre les poings.

– Il m’a jeté à terre, ses mains enserrées autour de ma gorge. (Du bout des doigts, il frôle son cou, les yeux dans le vide.) L’air ne rentrait plus dans mes poumons. Je voyais son visage démoniaque au-dessus de moi. Ses doigts crispés toujours plus fort sur ma gorge. Alors, j’ai senti la vie me quitter.

Un nouveau murmure répond à ce monologue dramatique.

– J’ai vraiment cru vivre mes derniers instants. Mais… (Il se retourne vers moi et pointe un doigt dans ma direction.) Mais je refusais de me laisser tuer par ce monstre ! Alors, je me suis débattu, je l’ai repoussé et j’ai réussi à m’enfuir.

Menteur. Ce sont Holly et Jade qui m’ont empêché de te tuer. Et je suis sûr que tu t’es pissé dessus en t’évanouissant.

– Voilà ce qu’il est, mes amis, s’exclame Anthony, les yeux grands ouverts. Un meurtrier, un monstre, une crevure.

Les visages mortifiés sont tournés vers moi ; les regards de peur, d’incompréhension, de jugement, sont braqués sur moi ; les chuchotements qui courent de lèvres en lèvres sont toujours plus d’horreurs prononcées en mon nom.

Anthony a bouffé le peu de vie, les minces espoirs, qui subsistaient en moi.

C’est alors que j’entends des pas rapides dans mon dos, une main qui se pose sur mon épaule puis une voix féminine s’exclamer :

– C’est faux !

Stupéfait, je tourne la tête pour fixer Lily Rose avec horreur. Bordel, que fait-elle là ?

Va-t’en, Lily, va-t’en, je ne t’attirerai que des problèmes !

Néanmoins, devant le pli sévère de ses lèvres qui me rappelle Sofia et la flamme de conviction dans ses yeux, la même que dans le regard de Philip quand il défend une idée, je comprends que je ne pourrais pas la dissuader.

Visiblement aussi surpris de la voir ici, Anthony reste muet pendant plusieurs secondes avant de lâcher un rire nerveux.

– Lily, ma puce, qu’est-ce que tu…

– Appelle-moi ta puce encore une fois et je te refais le portrait, gronde Lily Rose d’un air menaçant.

– Du calme, lâche-t-il en levant les mains. Qu’est-ce qui te prend, à défendre ce type ?

– Ce « type » c’est Zach, mon meilleur ami. Évidemment que je vais le défendre.

– Contre ton copain ? souffle Anthony d’un air mortifié.

– Tu n’es plus mon copain, Anthony, répond calmement ma camarade. Et tu me l’as bien fait comprendre quand je suis venue te voir à l’hôpital et que tu m’as traitée comme une moins-que-rien en disant que tu avais seulement profité de moi.

Cette querelle entre deux icônes populaires du lycée suscite l’attention de la foule. Toujours plus de gens affluent dans le couloir, prenant soin d’éviter Lily et moi et Anthony de l’autre côté.

– C’est faux, Lily Rose, dit Anthony d’une voix douce. À mes yeux, tu es la personne la plus…

– Tais-toi, le coupe mon amie d’un air las. Ton comportement à l’hôpital et, surtout, envers Zach toutes ces années, m’a fait comprendre quel genre de personne tu es. Et, franchement, c’est pas beau à savoir.

– Qu’est-ce que tu racontes ? marmonne-t-il d’un ton crispé.

– Je te parle de l’agressivité dont tu as fait preuve quand Zach est venu te présenter ses excuses – chose que tu n’as jamais faite pour lui. Du fait que tu m’as poussée comme une malpropre, insulté ton père, celui de Zach et Zach lui-même.

– C’est tout ce qu’il mérite, crache-t-il en me fusillant du regard.

– T’es qu’un pauvre con, lâche soudain Lily Rose en s’avançant.

Le brouhaha augmente. Je parie que cette scène va alimenter les discours de nombreux jours à venir.

– Tu crois que ne suis pas au courant de tout ce que tu as fait subir à Zach depuis que tu es arrivé au lycée ?

– Hein ?

– Arrête de faire l’innocent ! s’agace Lily Rose en élevant la voix. J’ai appris la vérité à ton propos, Anthony Greenlight ! Tu oses traiter Zach de crevure, de monstre et d’ordure, mais… tu te crois mieux que lui ? Tu sais ce que Zach fait au quotidien pour racheter ses erreurs de jeunesse ? Non, tu n’en as aucune idée ! (Elle tourne les yeux vers moi, un petit sourire aux lèvres.) Zach sera toujours un gars mille fois plus respectable et valeureux que toi.

Ces mots manquent faire monter les larmes à mes yeux. Ma gorge est affreusement nouée et mes mains tremblent. On m’a trop peu fait de compliments et j’ai l’impression de respirer un peu mieux quand ils sont faits avec sincérité.

Cependant, si Lily Rose aborde ces sujets, c’est qu’elle sait tout. Et ça, c’est vraiment nul.

– Je sais que tu le harcèles depuis que tu as appris qu’il avait commis une erreur, reprend mon amie d’un air grave.

– Une erreur ? répète Anthony d’un air interdit. Lily, il a tué une femme et ses deux petites filles, bordel !

Un murmure scandalisé s’élève autour de moi.

– Et il travaille dur tous les jours depuis plus de cinq ans pour réparer cette erreur ! réplique Lily Rose sans se laisser démonter. Je sais qu’il deviendra un homme respectueux, honorable juste et bon. Contrairement à toi.

Cette fois, Anthony s’énerve. Il s’avance jusqu’à elle assez près pour qu’il ait à baisser les yeux pour la voir, leurs visages à une vingtaine de centimètres. Un silence pesant s’installe autour de nous.

Sans plaisanter, si cet enfoiré ose lever la main sur Lily, je suis prêt à commettre un nouvel homicide et à crever en prison.

– Lily Rose, tu as des preuves de ce que tu avances ?

– Des preuves directes ? Non, aucune. Mais, si je demande à Zach ou à son père, je sais qu’ils pourront confirmer qu’il subit ton harcèlement depuis la seconde.

– Eh bien tu te trompes, ma jolie, rétorque avec mépris mon ennemi. Car je ne harcèle pas Zach.

– Arrête de nier ! crie Lily Rose, hors d’elle. Apprendre ce que tu lui faisais subir depuis des mois seulement maintenant me dégoûte assez pour que tu mentes en plus.

– Je ne mens pas !

Avec un geste brutal, il recule puis dirige son attention vers moi.

– Dis-lui toi !

Incapable d’ouvrir la bouche, je le regarde sans rien faire.

– Dis-lui que c’est faux, susurre Anthony en me fixant.

Je sens tellement de menaces dans ses yeux que j’en ai peur. Peur pour Lily, au cas où il voudrait s’en prendre à elle. Peur pour moi. Pour ce qu’il va encore me faire subir.

– C’est… commencé-je avant de me taire.

C’est définitif, je suis incapable de reconnaître que je suis la victime d’Anthony et sa bande. J’ignore si c’est par peur, par honte, par dépit ou encore par fierté.

Lily Rose me regarde avec une immense empathie et je me détourne ; je ne la mérite pas.

– De toute façon, reprend Anthony en perdant peu à peu le contrôle de sa voix qui monte dans les aigus, tu n’es qu’une conne naïve et prétentieuse, Lily Rose !

Ces mots blessants font blêmir mon amie. Elle perd visiblement son assurance, se demande si ce que vient de dire son ex est vrai. Je n’aurais pas cru Lily aussi fragile. Je pensais qu’entre nous deux, c’était la solide. Mais on ne peut pas être éternellement fort.

– Ne l’écoute pas, lui soufflé-je doucement. Il veut te blesser, te rabaisser, t’attribuer des torts pour t’affaiblir.

Mon amie m’observe en silence puis m’adresse un petit hochement de tête reconnaissant.

– C’est cette méthode de déstabilisation que tu utilisais contre Zach ? continue Lily Rose en reprenant sa confiance en elle. T’es qu’un manipulateur hypocrite et égoïste.

– Égoïste ? Je voulais juste te protéger de ce malade mental, rétorque-t-il avec colère.

– Je suis assez grande pour me protéger, souffle-t-elle en secouant la tête. Si Zach avait voulu me faire du mal, ça ferait longtemps qu’il l’aurait fait.

Je sens qu’elle veut mon soutien, mais je me perds de plus en plus dans mes pensées. Lily Rose est tout de même naïve. Et si elle ne l’est pas, elle est un peu aveugle. Le nombre de fois où je suis revenu amoché après une journée au lycée… Ou alors il lui a fallu plus de temps pour admettre que le garçon qu’elle aimait faisait subir ce genre de choses à l’un de ses amis.

Il n’y a qu’une personne qui ait pu lui ouvrir les yeux : Dante. Il va falloir que je le voie. En vitesse.


On me sort brutalement de mes pensées quand on m’empoigne par le bras. C’est Lily. Et elle fait fièrement face à son ex, à la bande de celui-ci et à la foule.

– Écoutez-moi ! Je refuse de laisser des choses comme le harcèlement moral et physique se passer dans ce lycée. Zach n’a pas assez d’estime pour lui-même pour oser en parler. Mais, aujourd’hui, il n’aura plus à souffrir de ça.

Je ne dis rien. Elle a de l’espoir. Pas moi.

– Zachary est quelqu’un de bien, ajoute-t-elle d’une voix adoucie. Vous devez me croire. Apprenez à le connaître avant de le juger.

Et, sur ces paroles dont je me serais passé, elle m’entraîne derrière elle dans le couloir. La foule s’ouvre devant nous et les chuchotements bondissent à notre passage.

Mes pensées s’égarent, s’agitent, virevoltent, s’enfuient et s’entrechoquent tandis que Lily Rose m’emmène loin du chahut, loin de la vérité, loin d’Anthony.

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