Chapitre 15

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Blizzard

On me secoue. Sans douceur. Brutalement, même. C'est d'abord par l'épaule gauche puis par les deux. Enfin on agrippe mon col et on l'agite frénétiquement. Aïe... ma tête me fait un mal de chien. Une voix m'appelle ; du moins une voix crie mon nom donc... est-ce que je peux en déduire qu'elle m'appelle ? Ou le propriétaire de la voix est-il en colère contre moi et me crie-t-il dessus ? Probable aussi.

Les secousses se muent en frottements énergétiques contre mes bras, mon torse et mes jambes. Allons bon, voilà qu'on se met à me faire des attouchements ! Je pousse un grognement indigné. Les frottements cessent. Ouf. Enfin, à peine le temps de dire « ouf » qu'une violente gifle me ramène à un monde obscur et gelé.

– Zach ! Oh, bon sang de Dieu...

La voix est rauque comme si elle avait crié trop longtemps. Ma vision est drôlement floue alors je préfère me replonger dans les ténèbres. Cependant la main revient sur ma joue. Je me tends, prêt à avoir mal, mais la paume tiède reste simplement sans bouger. J'éprouve un étrange sentiment de bien-être à ce contact, humain et chaud.

– Ferme les yeux si tu veux, mais reste conscient, je t'en prie, murmure la voix faiblement.

– D'accord, je réponds simplement.

– Merci, chuchote la voix dans un souffle.

Comme on me l'a demandé, je reste éveillé les yeux fermés. C'est seulement à ce moment-là que j'ai conscience du blizzard qui parcoure mon corps. J'en ai le souffle coupé. Je ne sens plus mes orteils, mes doigts, mes oreilles et même bouger les membres me demande une force inouïe.

– Mark, ne reste pas là à le regarder comme ça, gronde une nouvelle voix, plus aiguë. Va chercher des couvertures, je le surveille.

– M-Merci, Sofia.

Mark s'en va. Mark. Mark... reviens. Une nouvelle présence à mes côtés. Une main, plus petite, plus fine et plus douce, se pose sur la peau exposée de mon cou. Je frissonne.

– Ce que tu es froid... Il faut vraiment être un imbécile pour s'endormir par terre alors qu'il fait en dessous de zéro ! Tu es content d'être en hypothermie ?

Pas spécialement, aimerais-je lui avouer. Mais mes lèvres glacées refusent de s'ouvrir.

– Pourquoi tu as fait ça à Anthony, hein, Zachary ?

Anthony ? Je lui ai fait quelque chose ?

– Lily va beaucoup t'en vouloir, malgré l'amitié qu'elle a pour toi.

Je rouvre les yeux pour dévisager le visage pâle de l'urgentiste. Ses yeux verts paraissent noirs dans la pénombre et ses cheveux roux disparaissent sous un épais bonnet. Lorsqu'elle s'aperçoit que je l'observe, elle prend ma main dans la sienne.

Alors tout me revient. Ce que j'ai fait à Anthony ? Oui, bien sûr.

– Je suis désolé, murmuré-je d'une voix tremblante.

C'est tout ce que je suis capable de dire pour l'instant. Mes yeux se referment d'eux-mêmes. Quelque chose de tiède glisse sur mes joues. Les doigts de Sofia, sûrement. Ils me redonnent un peu de force.

– Je suis désolé, répété-je en commençant à trembler. Je suis désolé.

– Mark, crie Sofia en se levant. Dépêche-toi, il recouvre ses sensations !

Je l'entends s'éloigner, peut-être pour prêter main forte à Mark. C'est étrange, il y a toujours cette caresse tiède et humide sur mes joues.

– Je suis désolé, je reprends en levant doucement le bras à mon visage. Je suis désolé.

Merde, me dis-je en voyant mes doigts aux ongles rongés revenir devant mes yeux rouverts. Ce sont des larmes.


Les deux adultes sont de retour. Sofia balance négligemment une couverture épaisse sur moi. Je la reconnais : c'est celle qui est glissée sur le dossier du canapé, en face de la cheminée. À la pensée de cette dernière, le froid infini qui m'a envahi se rappelle à moi avec la brusquerie d'un coup de poing en pleine face.

Mark s'agenouille à mes côtés et commence à glisser un bras dans mon dos. Sûrement pour me soulever. Avant qu'il ne le fasse, je plante mon regard dans le sien. Il se fige.

– Je suis désolé, Mark, lui soufflé-je.

Ma voix fait peine à entendre. J'ai froid. Non, je suis complètement frigorifié. Alors que Mark passe les bras sous mes aisselles pour me mettre debout, mon regard passe sur la balançoire. La plaque en bois est cassée en deux et se balance misérablement au bout des cordes.

– Moi aussi, je suis désolé, murmure Mark à mon oreille alors que je tente pitoyablement de tenir sur mes pieds.

Comme il voit que je n'y arrive pas, il agrippe mon bras pour me maintenir debout. Sa poigne, bien que douloureuse sur mon bras faible, est ferme comme aurait dû l'être le ton de mon père s'il avait existé et chaude comme l'étreinte de la mère que je n'ai jamais connue.

Peut-être Mark est-il les deux pour moi. Peut-être n'est-il rien d'autre que l'homme qui m'a adopté parce qu'il avait trop peur de mettre fin à ses jours après la mort de sa famille.

Peut-être n'est-il rien du tout.

Mais cette pensée est vite chassée quand je le sens fermer ses bras autour de moi. Bien sûr qu'il est quelque chose pour moi. Je ne ressentirais pas ce sentiment de sécurité et de soulagement autrement. Mais pourquoi je me sens si vide alors ?

Pourquoi ai-je si froid ?

Et, bon sang, pourquoi les larmes ne cessent-elles pas de couler sur mes joues ?

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