Chapitre 7.5

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7.5

Nerfs à vif et insomnie

Je ne sais pas quoi dire. Je ne sais pas quoi faire. Autrement dit, je suis complètement perdu.

Un soupir fébrile s'échappe des lèvres de Mark Grace.

Sofia, je vais y aller, annonce-t-il en se tournant vers l'urgentiste, qui est restée dans son coin durant la discussion.

Elle hoche la tête, me jette un rapide coup d’œil puis accompagne l'homme jusqu'à la sortie de ma chambre. Mes épaules s'affaissent. Je me sens tellement... vide. Le bout de ciel que j'aperçois à travers la fenêtre n'est plus bleu, mais pâle, fade ; mes draps ne sont plus d'un blanc immaculé, mais d'un écru jaunâtre ; les yeux verts que pose Sofia sur moi ont la couleur de l'herbe morte en été. Et mes mains dans lesquelles tombent de petites gouttes d'eau sont blafardes.

Je lève la tête au maximum, plisse très fort les paupières et ouvre la bouche.

Un hurlement bestial, guttural, désespéré, explose à mes oreilles. C'est le mien.

J'arrive pas à dormir.

Je sais pas quel jour on est.

La nuit ? le jour ?

J'arrive toujours pas à dormir.

Je sais pas quel mois on est.

Février, encore ? Mars ? Avril... ?

Tout s'enchaîne. Tout s’emboîte. Tout est fade.

Je suis un travailleur à la chaîne. Regarder le soleil percer, ou disparaître. Manger, ou grignoter. Se reposer, ou se dessécher. Prendre les médicaments, ou se droguer. Manger, ou faire semblant. Se reposer, ou souffrir. Mater ce fichu plafond jusqu'à s'exploser les yeux, se forcer à avaler jusqu'à vomir, essayer de dormir jusqu'à l'insomnie.

Je ne suis plus rien. Un nom sur un bout de papier. Des os cassés à réparer. Un truc qui bouge, qui commence à traîner depuis un peu trop longtemps et qui pourrait faire de la place pour d'autres patients. Une silhouette fade dans le paysage.

Parfois, je pleure.

Ça vient tout seul. En traître. Les premières fois ont été les plus faciles à gérer. Des larmes, le nez qui coule, la poitrine qui se comprime.

Après, j'ai eu plus de mal. Mes crises sont de moins en moins fréquentes. Mais de plus en plus violentes.

De terribles sanglots qui m'arrachent des hoquets de stupeur et de douleur, mon visage qui semble fondre littéralement, mon cœur qui se serre, se serre encore et toujours, mes mains agitées de convulsions. Oh, ça fait tellement mal.

Et tellement du bien.

Les médecins ont dit que je souffrais d'insomnie, sûrement due à un stress post-traumatique. Autrement dit « Je dors mal parce que j'ai tué des gens. » Pourquoi utilisent-ils des termes si complexes pour expliquer quelque chose de si simple, si évident ?

J'ai un cœur, une âme, une conscience. Du moins, je... je crois. Parfois, je préfère me voir comme un enfoiré sans remords. J'ai tué une femme, ses deux filles et mon meilleur ami ? Eh alors ! C'est pas comme si je pouvais pas me refaire des copains et qu'il n'y avait plus d'êtres vivants sur Terre.

C'est souvent à ces moments-là que j'éclate en sanglots. Ça me pèse. Et comme je n'arrive pas à avoir un sommeil profond, je rêve beaucoup plus qu'en temps normal. Ce qui permet aux souvenirs de venir me torturer bien plus souvent.

Un jour, alors que la pluie s'abat violemment contre la vitre de ma chambre, Philip Daniels, l'homme qui m'a découvert après l'accident et le mari de Sofia, me rend visite. Son visage s'est émacié, ses tempes ont grisonné. Il a des valises sous les yeux.

Bonjour, Zach, lance-t-il en fermant derrière lui.

B-Bonjour, je réponds en me recroquevillant.

J'ai peur. Je ne sais pas pourquoi. Et, bon sang, ma voix est tellement éraillée...

Je ne sais pas si je t'ai dit quel métier je faisais... (Je secoue la tête pour approuver ses propos.) Je suis avocat.

Je baisse aussitôt les yeux. Mon cœur rate un battement, puis deux, avant de reprendre à un rythme rapide.

Vous allez m'envoyer en prison ? demandé-je d'une voix tremblante. Je... vais devoir aller dans un centre pour mineurs ?

Zachary... murmure Philip en m'observant bizarrement.

Je-je veux pas y aller, bredouillé-je. Je…

Ma voix se brise, les larmes me chatouillent les joues. Merde, merde, merde ! Les épaules secouées par les sanglots, je prends mon visage entre mes mains. J'entends des pas, quelqu'un s’assied près de moi et une main ferme, grande, chaude se pose dans mon dos.

Chut, ne pleure pas, mon garçon, souffle Phil d'un ton réconfortant.

Mais je ne suis pas plus rassuré. Je suis encore trop petit pour une prison pour mineurs. Je n'ai pas fait ma poussée de croissance, je n'ai aucune masse musculaire... Ma voix n’a même pas encore mué ! Autant dire que je me ferai démolir par les plus grands dès le deuxième jour.

Zachary, écoute-moi, s'il te plaît, chuchote Phil en frottant mon dos.

Je me fige. Oh, cette sensation... Bordel. Les larmes, que je croyais pourtant taries, jaillissent de mes yeux. Combien de fois ? Combien de fois ai-je espéré, rêvé, que quelqu'un cale sa main dans mon dos ? Pour me rassurer, me réconforter. Pour me pousser vers l'avant. Vers l'avenir.

Zachary, répète Philip en me forçant à regarder dans sa direction.

À cause de mes larmes, son visage est déformé, mais je parviens quand même à voir le timide sourire qui s'épanouit sur ses lèvres. Ce type vient m'annoncer qu'on va m'envoyer en prison où je ne tiendrai pas une semaine et ça l'amuse ?

J'ai une proposition à te faire.

Je le fixe d 'un air interdit. Quoi ?

Mark, Sofia, les services sociaux et moi avons beaucoup, beaucoup, parlé, discuté, argumenté.

Quoi ? lâché-je d'un air faussement enjoué. Vous voulez dire qu'ils vont attendre quelques mois avant de m'envoyer droit vers la mort ? M'enfin, c'est tout ce que je mérite...

L'expression de Phil devient horrifiée. Il agite les mains sous mon nez.

Non, Zachary ! s'exclame-t-il en prenant mon bras. Tu m'as mal compris.

Ah ?

Sofia et moi nous sommes renseignés auprès de l'orphelinat dans lequel tu as été abandonné. (Je ne peux m'empêcher de me raidir à ses propos. C'est plus fort que moi.) Nous avons aussi vu Karen Vohen, ta responsable légale actuelle. Mark l'a rencontrée. Et... après avoir eu un entretien avec elle, il nous a demandé quelque chose...

Quoi ? lâché-je, incapable d'attendre la suite.

Mark veut t'adopter, Zachary, me répond Phil en me regardant droit dans les yeux.

J'ai l'impression que les murs tanguent. Mes oreilles bourdonnent.

Abasourdi, je m'affaisse dans mon lit.

Hein ?

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