Chapitre 33

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33

Harcèlement

Dante me sauve.

Alors que sa mère, ses cheveux châtains hirsutes sur son crâne, ses yeux noisette brillant d’animosité, sa mâchoire contractée, est sur le point de s’en prendre à moi physiquement, il descend de son lit et la prend par les épaules.

– Maman, arrête ! (Elle le dévisage, les yeux exorbités.) C’est Zach, mon ami ! Ce n’est pas lui qui m’a fait ça. S’il est blessé, c’est parce qu’il a pris ma défense.

Elle reste un moment silencieuse, les lèvres pincées, les yeux rivés à ceux de son fils. Puis le masque de colère sur son visage commence à se dissiper.

– Tu es vraiment Zachary Gibson ? me demande-t-elle en se tournant vers moi. Tu étais en sixième avec Dante ?

– Oui, madame, je réponds docilement.

Encore méfiante, elle me toise quelques secondes puis soupire en laissant descendre la tension de ses épaules étroites.

– Je suis désolée de m’être emportée comme ça. J’ai vu que tu étais blessé et j’ai tout de suite pensé que c’était toi qui t’en étais pris à Dante.

– Pas de soucis, dis-je en secouant la tête.

L’air gêné, elle m’adresse un sourire crispé puis se tourne vers son fils, qui est resté debout à côté d’elle. Dante est visiblement le plus embarrassé d’entre nous. Ses yeux marrons-verts sont baissés et il se tient les mains comme pour les empêcher de trembler.

Il ne peut malheureusement pas empêcher sa voix de le faire lorsqu’il prend la parole.

– M-Maman… Je ne… je-je ne veux pas que tu ailles voir le directeur.

– Comment ça ? maugrée Mme McKinney en lui prenant le bras. Dante, regarde-moi. (Il s’exécute à contrecœur, le visage fermé.) Tu veux laisser passer ça ? Tu as vu ton visage, mon cœur ?

– Maman, gémit mon camarade en prenant sa main fine entre les siennes. Je t’assure que ça va. Je viens juste d’arriver. Comment tu t’imagines que le directeur va me voir si je me retrouve impliqué dans une bagarre dès ma première semaine ?

– Tu n’as pas été impliqué ! rétorque avec véhémence la femme. Tu en es la victime.

– Maman, tu vois très bien ce que je veux dire. Je refuse de finir chez Mr Harrys. Ce type qui m’a agressé… C’était un abruti isolé. Les autres personnes que j’ai rencontrées sont formidables.

Moyennement convaincue, elle croise les bras sur poitrine.

– Dante, ce qu’a fait ce garçon est grave. Et tu comptes le laisser s’en sortir comme si de rien n’était ?

– Oui. Je ne veux pas de problèmes. Jess et moi, on est là pour commencer une nouvelle vie. On veut se faire de vrais amis, vivre notre jeunesse comme le font les autres adolescents. Nick a bien vu qu’il y avait des gens pour prendre ma défense. (Il me jette un regard plein de reconnaissance à ces paroles.) Je ne pense pas qu’il recommencera.

– Et pourquoi il a commencé, au juste ? souffle sa mère en le toisant d’un air tendu. Tu l’as cherché ?

– Jamais de la vie ! s’indigne Dante en fronçant les sourcils. Non, je… je suis venu en avance ce matin pour pouvoir avancer mon cours d’économie et je suis tombé sur ces deux gars…

– Deux ?

– Oui, l’autre s’est enfui quand Zach est arrivé.

– Je vois… Continue.

– Ce Nick… Il a commencé à se moquer de moi, à me dire que j’étais une crevette, une lopette, et tout ce qu’on peut dire de mon physique de gringalet.

– Tu n’es pas si gringalet, j’interviens sans réfléchir. J’ai vu pire que toi.

– Merci Zach, sourit Dante en me jetant un regard reconnaissant. Bref, j’ai commencé à répliquer et ça leur a pas plu. Ils ont commencé à insulter ma famille et je me suis énervé. J’ai frappé Nick. Rien de méchant, évidemment, je sais pas me battre. Alors il a commencé à me ruer de coups en me traitant de noms d’oiseaux.

Sentant une colère noire monter en moi à ces mots, je serre poings et mâchoires.

– Ce Nick, là… reprend Mme McKinney d’un air lugubre. Il a commencé à t’insulter uniquement sur ton physique ?

– Maman… soupire Dante d’une voix agacée.

– Il faut que tu me le dises. On a eu assez de problèmes par rapport à ça les années précédentes. C’est pour arrêter le harcèlement quotidien dont tu étais victime que tu as changé d’établissement. Je ne veux pas que ça se reproduise ici.

– Moi non plus.

– Alors, Dante, dis-moi : est-ce que ce Nick t’a frappé parce que tu es gay ?

L’expression qui se peint sur le visage de Dante me fend le cœur. C’est un mélange de désarroi, de honte, de colère et de tristesse.

– Oui et non, finit-il par marmonner entre ses dents. Il m’a bien traité de « pédé » et j’en passe des meilleures, mais il n’avait aucun moyen de savoir si j’étais homo ou pas.

À la fin de sa phrase, il lève les yeux vers moi et m’observe. Une boule obstrue ma gorge. Il semble attendre quelque chose de moi. Mais quoi ? Apprendre qu’il est gay ne m’a pas vraiment choqué. Cela ne change pas le regard que je pose sur ce garçon si proche et si éloigné de moi en même temps.

Finalement, comme il n’obtient aucune réaction de ma part, il détourne les yeux, les mâchoires contractées.

Ça me blesse.


– Bon, on rentre à la maison ?

Dante est déjà en train d’enfiler sa veste. Sa mère acquiesce d’un hochement de tête.

Comme je ne sais pas quoi dire, je les regarde sortir de l’infirmerie en silence. J’ai envie de réconforter Dante, de rassurer sa mère, mais je n’arrive à rien.

Un millier de mots en tête, une centaine sur la langue, mais aucun de prononcé, je les suis jusqu’à l’entrée du lycée. Mme McKinney se tourne vers moi avant qu’ils ne partent définitivement.

– Merci d’avoir protégé mon fils, tout à l’heure.

– Pas de problème, je réponds d’une voix faible.

– Je… J’ai été un peu surprise quand Dante m’a dit d’un air ravi que son ancien camarade se trouvait dans son nouveau lycée. (Elle plonge ses yeux dans les miens et ajoute en parlant plus bas :) Dante a du mal à l’avouer, mais il souffre beaucoup à cause de son orientation sexuelle. Je t’en prie, agis avec lui comme tu le ferais s’il était hétéro.

Interdit, je la dévisage sans répondre. Pense-t-elle vraiment que je me comporterai différemment envers Dante maintenant que je sais qu’il est gay ?

En réalité, suis-je vraiment capable d’affirmer que cela ne change rien pour moi ?

– Maman, arrête de l’embêter, finit par soupirer Dante en continuant d’éviter mon regard.

Mme McKinney m’adresse un dernier sourire de reconnaissance puis descend les escaliers. Dante s’en va derrière elle.

J’ouvre la bouche pour le retenir, tends le bras, mais ne réussis pas à le rattraper.

– Dante !

Un cri. Plus qu’une interpellation.

– Je ne les laisserai pas faire.

Qu’est-ce que je raconte, au juste ?

– Jessica et toi… Je ne veux pas que vous subissiez des moqueries ou du harcèlement ici.

Pourquoi avancé-je, sûr de moi et complètement à la ramasse en même temps, vers lui, qui se tient toujours dos à moi ?

– Je vous défendrai. Je… je te protégerai Dante. Toi et ta sœur.

Cette fois, il se retourne vers moi, les traits figés.

– Je te le promets.

Une promesse prononcée dans un souffle.

– Tu es mon ami.


Dante finit par rejoindre sa mère qui l’appelle en criant.

Mais pas avant de m’avoir regardé, les yeux embués de larmes refoulées, les lèvres pincées sur des mots imprononçables.

Serai-je capable de tenir ma promesse ? De me lier à Dante en sachant pertinemment que je ne pourrais rien lui apporter d’autre que de l’amitié ?

Qu’attend-il de moi ?

Pourquoi cette douleur dans ses yeux quand sa mère a dit qu’il était gay ? Pourquoi cette souffrance sur son visage quand il a vu que je ne réagissais pas ?

Il faut que j’éclaircisse les choses avec lui. Vite.

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