Chapitre 31

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31

Une nouvelle victime

C’est d’un sommeil calme et reposant que je me réveille le lendemain matin. Comme j’ouvre les yeux un peu avant ma sonnerie, j’ai le temps de l’arrêter avant qu’AC/DC lance la sauce. L’écran de mon portable m’informe qu’il est six heures cinq et que nous sommes le mardi dix mars.

J’entends le parquet du couloir craquer. Puis, quelques secondes plus tard, la chasse d’eau. Dans un élan de courage, je me lève, enfile une veste pour ne pas avoir froid puis ouvre ma porte en baillant.

– B’jour, lancé-je à Mark alors que celui-ci commence à descendre les escaliers.

– Bonjour, répond-t-il d’une voix ensommeillée. Bien dormi ?

Pour une rare fois, je prends le temps de réfléchir à sa question puis déclare d’un ton léger :

– Oui.

Surpris, il me dévisage un instant puis me rend mon sourire.

– Tu m’en vois ravi. (Il recommence à descendre.) Un bon café et ça ira bien. Je t’en prépare un ?

– Oui, s’il te plaît.

Je retourne dans ma chambre pour m’habiller.


Cinq minutes plus tard, j’entre dans la cuisine en humant une bonne odeur de bacon qui me met l’eau à la bouche. Mark est affublé de son tablier à motif de chat et remue le contenu d’une poêle au-dessus de la gazinière. Perplexe, je m’assois à table, où une tasse de café noir et une aissette vide m’attendent.

N’en pouvant plus, je pose la question qui me taraude :

– Pourquoi tu cuisines ?

– Mauvaise question, Zach, répond-t-il sans se tourner vers moi.

Je grommelle, mais n’en démords pas.

– Pourquoi tu te remets à cuisiner ?

– Parce que j’ai envie.

– Mais… (Un goût de bile me monte à la gorge, mais je pose tout de même ma question :) Ce n’est pas Alison qui cuisinait ?

Cette fois, Mark se tourne vers moi et ce n’est pas pour me sourire. Il a un rictus crispé à la place et le regard sombre. D’une voix lasse, il dit :

– Zach… Je pensais t’avoir élevé hors des stéréotypes. Tu penses qu’Alison cuisinait parce qu’elle était la femme de la maison ?

– Quoi ? N-Non ! pas du tout. C’est juste que…

– Que je ne cuisinais plus depuis leur mort car je n’en avais plus l’envie.

– C’était toi le chef cuisinier, alors ? soufflé-je d’une petite voix.

– Oui. Alison… Aly, elle n’était pas douée pour ça. (Son visage se détend un peu.) Je crois que c’est pour mes talents de cuisinier qu’elle m’a épousé.

Il ponctue ces paroles d’un rire et je le dévisage avec stupéfaction. Je ne l’ai jamais entendu évoquer sa défunte épouse ou ses filles en riant. C’est une première.

– Déride-toi, Zachary, marmonne-t-il d’une voix ferme en m’observant. J’aurais l’impression d’être un monstre autrement.

– Qu-quoi ? balbutié-je, stupéfait. T’es pas un monstre, Mark.

– Alors ne me regarde pas avec ces yeux de merlan frit ! râle-t-il en levant le regard au ciel.

– Pardon, marmotté-je avant de boire plusieurs gorgées de café.

Alors que je repose ma tasse, il verse la moitié de la poêle dans mon assiette. Du bacon grillé et des œufs brouillés. Je n’ai jamais osé lui dire, mais je préfère le salé le matin. Alors qu’il se mette à faire de vrais petits déjeuners anglais me ravit.

– Bon appétit, lance-t-il d’un ton enjoué en attaquant son assiette.

– Bon appétit. Et merci.

Sans attendre plus, j’embroche une tranche de bacon. C’est délicieux.

Mark n’a pas menti : c’est un vrai cordon bleu. Déjà son repas de l’autre jour était très bon.

– Mark… (Il lève ses yeux presque noirs vers moi.) Je sais que c’est mon job de faire à manger, mais… mais tu cuisines vraiment bien alors…

– Tu n’échapperas pas à tes corvées, mon garçon, me coupe-t-il durement.

Je me vexe face à son ton autoritaire et me renfrogne. Quelques secondes d’un silence lourd passent puis Mark lâche un rire bref.

– Je plaisante, Zach. Ça me fait plaisir de t’entendre dire ça. En fait… (Un large sourire passe sur son visage.) Ça me fait vraiment plaisir. J’ai arrêté de cuisiner après l’accident car je savais qu’il n’y aurait plus personne pour me dire « C’est délicieux, merci papa ».

Pensif, je l’observe un moment avant de souffler d’un air mi-amusé mi-sérieux :

– C’est délicieux, merci… Mark.

Il m’adresse un regard intense puis soupire.

– Et… si je ne rentre pas trop tard et que je suis pas trop fatigué, je ferais en sorte de préparer le repas à ta place. C’est sûr que tu ne m’arrives pas à la cheville pour ça.

– Merci, m’indigné-je en fronçant les sourcils.

Face à mon expression, il pouffe de nouveau puis se lève.

– Passe une bonne journée, Zach.

Il m’ébouriffe les cheveux quand il passe à côté de moi et ajoute :

– Et je suis mauvaise langue. Tu atteints peut-être mon genou en cuisine.

Très content de lui, il sort en sifflotant. Je maugréé un moment puis finis mon assiette en souriant.


Alors que je franchis le portillon du jardin, le 4x4 des Daniels s’arrête à ma hauteur. La vitre s’abaisse puis le visage souriant de Philip apparaît.

– Bonjour, mon garçon ! Je te dépose au lycée ?

– Volontiers, accepté-je en contournant le véhicule.

Par habitude, j’ouvre la portière arrière, mais Phil me coupe dans mon élan :

– Monte devant ! Lily commence plus tard alors elle n’est pas là.

– Oh… d’accord.

Je m’exécute sans plus attendre. Phil redémarre et ne tarde pas à rejoindre la route à double voies qui mène à Lake Town. Il baisse le son de la radio puis, un bras à moitié posé sur son siège, me dit :

– Lily Rose m’a parlé des nouveaux qui sont arrivés au lycée. Des jumeaux c’est ça ? Ils se ressemblent ? Danny et Jessie, hein ?

Face à sa maladresse, je souris pour moi-même puis réponds :

– Ils sont jumeaux, mais ils se ressemblent comme un frère et une sœur se ressemblent. Quant à leurs prénoms… c’est Dante et Jessica.

– Ah, oui, c’est ça.

Une dizaine de minutes plus tard, il s’arrête près du trottoir en face du lycée et me souhaite une bonne journée. Faisant de même, je sors puis traverse la route en prenant soin de ne pas me faire renverser par une voiture ou un deux roues.


Comme je suis arrivé en voiture, j’ai quelques minutes d’avance. Le lycée est encore très calme lorsque je vais chercher mes affaires au casier. Je viens d’y arriver quand des sons étouffés me parviennent d’un couloir à l’intersection la plus proche. Plusieurs voix, trois il me semble, ainsi que des bruits mats. Finalement, alors que je demande si je dois aller voir, un cri me décide.

Ce que je vois fait monter un goût de bile dans ma gorge. Sans plus réfléchir, je balance mon sac à terre et me jette sur Nick qui est en train de ruer de coups Dante. Il est prostré au sol, le visage en sang, les mains devant les yeux pour les protéger, le contenu de son sac répandu par terre. Elliot, légèrement en retrait, rigole. Son rire se mue en cri aigu quand Nick et moi tombons au sol.

– Espèce de connard ! hurlé-je en plaquant mon adversaire par les épaules.

– Regardez qui voilà, pouffe Nick en me dévisageant avec un rictus haineux.

Pour le faire disparaître de son visage triomphant, j’abats mon poing contre sa mâchoire. Sa tête rebondit et du sang s’écoule à la commissure de ses lèvres.

– Nick ! s’exclame Elliot en faisant un pas vers nous.

Je l’arrête d’un regard assassin. Visiblement effrayé, il m’observe quelques secondes puis détale en courant. Un de moins.

Soudain, une myriade d’étoiles explose devant mes yeux. Désorienté, je me rattrape au mur puis encaisse durement un coup de pied dans les côtes. Le souffle coupé, la vision floue, je tente tant bien que mal de faire face à mon ennemi. Nick, le bas du visage ensanglanté, une lueur meurtrière dans les yeux, me toise de toute sa hauteur.

– Allez, Gibson, montre-moi ce que tu vaux.

– Nick, ça m’amuse pas de faire la bagarre avec toi, soupiré-je en portant une main à ma tempe douloureuse. Va-t’en et on en parle plus.

– Elliot, Dante et moi on s’amusait bien avant ton arrivée, réplique-t-il en rabattant ses cheveux bruns en arrière. Si y’en a un qui doit se casser, c’est toi.

– S’amuser ? dis-je en haussant un sourcil.

– Ben ouais. Tu veux vraiment le défendre, Gibson ?

– Oui, c’est mon ami.

– Ton ami ? Cette tapette ?

Il ponctue ses paroles d’un coup de pied désinvolte dans le ventre de Dante. Ce dernier lâche un gémissement de souffrance en se recroquevillant sur lui-même. Sa façon de se protéger, de ne rien dire, me fait douloureusement comprendre que c’est loin d’être la première fois qu’il subit ce genre d’agression

Furieux, je me jette sur Nick. J’esquive son poing et plante mon coude dans son sternum. Les yeux exorbités, il recule en essayant de reprendre sa respiration. Je profite de sa faiblesse immédiate pour donner plusieurs coups à son visage. De vieux réflexes de jeunesse me reviennent. Je me revois en train de me battre sans raison valable avec Raylen à mes côtés. Face à ce souvenir aigre-doux, ma fureur se calme et, pantelant, j’attrape le col de Nick qui bouge à peine.

– Maintenant… haleté-je en plantant mes yeux dans les siens, dégage.

Comme toute réponse, il m’adresse un sourire narquois de ses dents ensanglantées. Avec une adresse qui me surprend moi-même, je le gifle du revers de la main. Cela semble l’humilier plus qu’autre chose. En poussant un cri rageur, il s’arrache à ma poigne et envoie de toute sa force un coup de poing dans mon estomac. La douleur m’arrache un cri. Je m’effondre par terre, tordu par la souffrance qui vrille mes tripes. Membre actif du club de football américain, Nick est bâti comme un taureau et ses bras ont l’épaisseur de mes cuisses. Je fais à présent les frais de sa carrure.

– Arrête !

C’est Dante, qui tient à peine debout. Le visage crispé de douleur, une main sur le ventre, il s’interpose entre Nick et moi. C’est ridicule à voir. Ses genoux tremblent et il fait une tête de moins que son adversaire.

– Dante… soufflé-je d’une voix rauque.

– Qu’est-ce qui se passe ici ?

Un coup de frayeur monte en moi. Nous nous tournons tous les trois vers Mme Hoover, ma professeure de littérature anglaise, qui vient d’apparaître à l’angle du couloir.

– Mr Johnson, Mr McKinney et Mr Gibson, je peux savoir ce que vous fabriquez ?

– Mme Hoover, quel plaisir de vous voir ! s’exclame d’un ton enjoué Nick, comme si son visage en sang n’était qu’un détail.

Impassible, elle le toise d’un regard méfiant. Puis bascule ses yeux noirs sur Dante, en qui elle semble avoir le plus confiance.

– Mr McKinney, pouvez-vous m’expliquer ce qui s’est passé ?

– Eh bien… commence-t-il avant de chanceler.

L’inquiétude serre ma gorge, mais je ne peux même pas me lever ; alors encore moins l’aider.

– Vous me parlerez de tout ça après être allés à l’infirmerie.

Son ton est sans appel. Avec dépit, Nick, Dante et moi nous forçons à la suivre.

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