Chapitre 22

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22.5

Victoire

Vendredi 13 février. Non, je ne suis pas superstitieux. N'empêche que la poisse semble me coller à la peau comme le lierre à la roche. Mon portable m'a lâché ce matin. Adieu le réveil. Bonjour le lever en retard. Bye bye le bus que je vois repartir dans l'autre sens alors que j'arrive à l'arrêt. Bonjour la honte quand j'ai dû me rendre chez les Daniels pour leur demander s'ils pouvaient me déposer au lycée en même temps que Lily Rose. Et je ne vous raconte pas la gêne dans la voiture tous les deux assis sur la banquette arrière du 4x4 de Philip.

Lily Rose a les joues creuses, les yeux cernés et la mine défaite. Le comportement d'Anthony hier l'a bouleversée. Je me demande si leur couple va y rester. À cette idée, je me sens un peu triste pour elle, mais j'éprouve aussi un vif soulagement. Une fille pareille ne mérite pas d'être avec cette pourriture.


Une fois arrivés au lycée, Philip nous souhaite une bonne journée puis repart pour son cabinet d'avocat. Lily, son sac pendouillant au bras, se dirige d'un pas lent vers l'entrée. Je marche doucement pour m'adapter à sa cadence. Mes longues jambes ne m'aident pas vraiment.

– Je suis désolée, murmure Lily Rose alors qu'on passe le portail de notre lycée.

– Pour quoi ? demandé-je, étonné, en baissant la tête vers elle.

– Je n'aurais pas dû te forcer à t'excuser auprès d'Anthony. Regarde comme ça s'est passé.

– Lily, tu m'as forcé à rien du tout, la rassuré-je en soupirant. J'ai choisi de moi-même d'aller présenter mes excuses.

– Mais c'est lui qui a commencé avec cette histoire de photos dans ton manuel. C'est lui qui aurait dû s'excuser !

– Je l'ai envoyé à l'hôpital ! crié-je en m'arrêtant. Ne me cherche pas d'excuse, Lily Rose.

Incapable de répondre quoi que ce soit, ma camarade ouvre la bouche et la referme plusieurs fois avant de secouer la tête.

– Anthony aura su mettre en l'air nos vies.

– Lily... murmuré-je. Je t'en prie, ne remets pas votre relation en cause à cause de moi.

Je ne veux pas briser une personne de plus. Ce serait trop. Beaucoup trop.

– Mais comment veux-tu que je ne le fasse pas ? s'exclame-t-elle en écarquillant les yeux, sidérée. Tu ne te rappelles pas ce qu'il m'a dit ? Qu'il n'avait pas commencé le théâtre pour être avec moi, mais simplement pour devenir acteur ? Je savais qu'il avait ce projet en tête, mais... mais pas qu'il y tenait tant.

Devant son air abattu et sa déception, je grimace. Que puis-je faire pour elle ? Maladroitement, je lui serre l'épaule. Consciente de mou soutien, elle m'adresse un petit sourire gêné puis me tapote le bras pour me dire qu'elle va mieux. Elle sait bien que je ne suis pas doué pour ça.

– Bon, je vais en biologie, m'annonce-t-elle alors qu'on se dirige vers les bâtiments du lycée. À tout à l'heure.

– À tout, je réponds en marmonnant.

Maintenant que Lily Rose n'est plus là, tous les regards convergent dans ma direction. Ah ! la célébrité. Si seulement j'avais pour réputation d'être un voleur de cœurs de jeunes pucelles innocentes. Je suis en effet un voleur. Mais de vies.


Alors que je me dirige vers mon casier, j'aperçois deux gars appuyés contre celui-ci, en train de taper la discute. Je m'apprête à leur demander de se décaler quand je les reconnais. Ce sont les deux compères d'Anthony. Elliot, le plus petit des deux, lève les yeux vers moi en se taisant. Je le toise de mon regard le plus noir, mais il se contente de sourire d’un air moqueur. Son compagnon, Nick, s'enlève de la porte de mon casier et me dévisage, ses bras épais croisés sur la poitrine.

Méfiant, je m'avance et ouvre mon casier. Rien n'a bougé. Tout est en ordre. Enfin, il me semble. Confus, je récupère les affaires dont j'ai besoin. J'entends Nick et Elliot murmurer des messes basses dans mon dos. Une sueur froide coule dans ma nuque.

J'ai à peine refermé mon casier que Nick, qui fait du football américain et est taillé comme une armoire à glace, m'agrippe le poignet gauche pour le replier violemment en clé de bras. Mon articulation proteste contre la brusquerie du mouvement et le disque métallique dans mon coude grince désagréablement contre mes os. J'étouffe un cri de douleur.

– Zach... souffle Nick à mon oreille d'une voix mielleuse. Ah... notre cher Zach.

Au contact de son haleine tiède contre la peau de mon cou, je frissonne en serrant les dents.

– Tu crois que ça allait se passer aussi facilement ? (Mon cœur se met à tambouriner contre mes côtes. Qu'a-t-il prévu ? On est au plein milieu des couloirs !) Anthony nous a fait passer le mot... Tu dois souffrir. (Mon sang se glace dans mes veines.) Mais pas trop, il veut que tu sois encore en un seul morceau quand il sera de retour, ajoute Nick avant d'éclater de rire.

Comme je ne réponds rien, il augmente la pression sur mon bras. Déterminé à ne pas le laisser gagner, je serre les dents et me focalise sur une rayure du casier devant moi pour tenter d'oublier la douleur. Mon épaule gauche est en feu. D'un coup, Elliot se marre.

– Laisse tomber, Nick, tu vas le faire pleurer comme une p'tite fille. Regarde comme il est rouge !

– Je veux l'entendre crier, susurre le footballer d'une voix sulfureuse.

Et il gagne le bâtard.

Alors que j'ai l'impression que mon articulation va céder, je lâche un cri de douleur. Nick éclate de rire puis lâche mon bras. D'un geste amical, il me tapote l'épaule.

– À plus, le monstre. (Il s'éloigne puis me lance avant d'être trop loin pour que je ne l'entende plus :) Surveille tes arrières, mon gars.

Sur ces sympathiques paroles, je me laisse aller contre mon casier en expulsant l'air resté bloqué dans mes poumons. Un souffle fébrile franchit mes lèvres. Je n'ose même pas bouger le bras tant mon épaule me fait mal. Avec une sensation de chaleur cuisante, j'essaie de la dégourdir. En sentant un fil brûlant se tendre de mon avant-bras à ma clavicule, je regrette aussitôt. Une boule se forme dans ma gorge : j'espère que je n'aurais pas mal toute la journée. Au moins, je ne suis pas gaucher...


Je pourrais faire le V de victoire à Anthony. Visiblement, il n'a pas tardé à mettre tout le lycée au courant de ce qui s'est passé lundi dernier. Je m'étais à peu près habitué aux regards méfiants, curieux, hostiles ou dégoûtés de mes camarades. Mais là, c'est autre chose. Les gens s'écartent de moi en blêmissant, murmurent des propos inquiets dès qu'ils me voient et détournent le regard quand nos yeux se croisent. Merde. Alors que je pensais que les gens me prenaient enfin pour un à-peu-près être humain, voilà que je redeviens le monstre cruel, dangereux et insensible de mon arrivée ici.

Les rumeurs courent vite. Et déforment la réalité. Anthony s'est bien gardé d'avouer qu'il m'avait monté un coup plus tôt dans la journée de lundi et, que s'il était chez moi, c'était pour s'excuser.

Ainsi, alors que je suis en train de m'installer pour mon cours d'histoire – mon préféré – j’entends la rumeur la plus dérivée de la réalité. « Il paraît qu'Anthony a été agressé par Zachary à la sortie du bus. Personne sait pourquoi, mais Zach a passé ses nerfs sur lui, alors qu’il n'avait rien demandé à personne. Zachary l'a massacré ! Anthony est à l’hôpital. »

Oh, pauvre Anthony. C'est vrai que c'est une victime !

Ah... je ne devrais pas penser ça. Il est quand même à l'hôpital. Tout de même, je ne parviens pas à regretter complètement mes actes.

Il m'en a trop fait baver quand je suis venu vivre chez Mark.

En fin de compte, cet enfoiré a gagné. Il m'a rabaissé plus bas que le sol. Tout le monde au lycée me déteste. Et lui doit passer pour le pauvre gars qui s'est fait tabasser. Et il va revenir en héros, car il prétendra me pardonner mes actes.

Alors que je sais très bien qu'il voudrait me voir mort.

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