Chapitre 10

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10

Nouveau départ

Mes paupières collent lorsque je me réveille d'un sommeil sans songes. Ma gorge me fait mal. Mon ventre palpite douloureusement. Ma respiration est sifflante. Qu'est-ce qui s'est passé ?

Groggy, je me redresse dans le lit. Je suis dans ma chambre. Je fixe sans comprendre la lumière qui filtre entre les volets fermés. Je ne me rappelle même pas m'être couché...

Soudain tout me revient. Oh ! bordel ! J'examine mon torse dénudé. Une ecchymose violacée aux bords jaune recouvre mon flanc droit. Je comprends mieux pourquoi j'ai si mal... Quand je tourne la tête vers la porte, j'aperçois une bouteille d'eau minérale posée sur ma table de nuit. Alors, je me souviens de quelqu'un me versant de l'eau dans la bouche. Mark.

Je me lève, me dirige en titubant – ouais, bon, je ne suis pas totalement réveillé – vers ma commode et attrape un t-shirt gris souris que j'enfile. J'ouvre la porte de ma chambre à la volée et reçois en pleines narines une odeur de désinfectant et de savon. Mes yeux cherchent frénétiquement une flaque jaunâtre. Bon. Mark a tout nettoyé. La culpabilité que je ressens depuis plusieurs minutes augmente. Mais qu'est-ce qui m'a pris hier ?

À toute vitesse, je dévale les marches en bois de l'escalier, qui grincent sous mes pas. Pour la discrétion, c'est raté.


Je trouve Mark dans la cuisine, assis du côté de la porte-fenêtre, comme à son habitude. Cependant, il n'est pas installé de manière normale. Calé contre la table, il est face à la fenêtre. En temps normal, il regarde à peine dehors.

– Mark ?

Il sursaute légèrement et tourne le haut du corps dans ma direction. Apparemment, il ne m'a pas entendu arriver. C'est étonnant, j'ai fait pas mal de bruit en descendant.

– Oh, Zach. Désolé, je t'ai pas entendu.

C'est que tu devais être vraiment plongé dans tes pensées !

– Tu as pas trop mal dormi ? continue-t-il en reprenant sa position initiale.

– 'Ai pas fait de cauchemars, murmuré-je sans y croire moi-même tant c'est étonnant. Je crois que c'est la première fois en cinq ans.

– Tu étais tellement... fatigué hier que ce n'est pas très surprenant.

Il a hésité sur l'adjectif à employer. Je me mords les lèvres. Le fossé entre Mark et moi a recommencé à s'élargir et je n'aime pas ça. Il faut que je fasse quelque chose.

– Je suis désolé pour hier, je reprends en m'avançant dans la cuisine. J'ai complètement déconné. Je... bordel, j'ai sacrément merdé. Je ne voulais pas t’insulter comme ça.

Mark ne répond rien, se contentant de fixer la balançoire rouillée qui stagne au fond du jardin.

– Moi aussi, je suis désolé.

Euh... j'ai bien entendu ? Mark s'excuse – et avec sincérité !

– P-Pourquoi ? bredouillé-je, ahuri.

– Je n'aurais jamais dû te parler comme je l'ai fait, Zachary. Je n'aurais pas dû lever la main sur toi. Cela était justifié et efficace au début, quand tu étais plus jeune et plus arrogant. Mais maintenant ? Aucune raison de le faire. (Il se lève de sa chaise et se place face à moi.) Je n'aurais pas dû te défier au combat. Regarde dans quel état ça t'a mis ! C’était aussi mature et intelligent que ton insulte.

Je ne peux m'empêcher de rougir. Je ne suis pas bien fier de la prestation biliaire que j'ai effectuée la veille... Encore moins d'avoir lamentablement perdu face à Mark.

– J'en ai pas dormi de la nuit, tu sais, souffle-t-il sans croiser mon regard. À te voir gémir de douleur, je me suis demandé comment j'avais pu te faire ça. Et... quand tu as pleuré, dans mon bureau... je m'en suis vraiment voulu.

– Mark...

– J'étais si en colère contre toi... j'en ai perdu la raison. Excuse-moi. Tu avais raison, Zach, je te traitais comme un animal ces derniers temps. (Il plonge ses yeux sombres dans les miens.) Et tu es loin d'être un animal. Je comprends mieux la raison de ta révolte.

– Non, non, balbutié-je en secouant les mains. Moi aussi j'ai fait des conneries, Mark.

– Même, réplique-t-il en s'appuyant contre un plan de travail.

Je reste muet. Je ne l'ai jamais vu aussi... las, fatigué, sans énergie. Ses traits sont tirés, ses épaules affaissées, ses yeux deux lacs d'épuisement.

– Tu n'es encore qu'un gosse. Faut pas que je l'oublie.

– Mark, j'ai dix-sept ans, soufflé-je en m'approchant.

– Justement, lâche-t-il avec un rire amer. Un môme.

Il reste silencieux quelques secondes puis reprend d'une voix rauque :

– T'as bien fait de rendre les coups à Anthony et Maximilian, c'est tout ce qu'ils méritaient, ces deux-là. (Je le dévisage avec stupéfaction. Ai-je bien entendu ?) Je suis désolé de t'avoir giflé, de t'avoir crié dessus, engueulé et tout le reste... T'es plus le sale merdeux que j'ai adopté il y a cinq ans. Tu es un homme physiquement et, s'il reste quelques détails à régler mentalement, tu seras bientôt un adulte responsable. Enfin j’espère.

– Euh... je suis qu'un gamin ou un adulte ? demandé-je, curieux.

Parce que le vieux lion commence à se contredire, là.

Mark me lance un regard furibond. Oups. Je l'ai vexé...

– Sale... commence-t-il avant de soupirer.

D'un grand pas, il s'approche de moi. Instinctivement, je ferme les yeux en me contractant. Mais la gifle ne vient pas. Mark se contente d'ébouriffer mes cheveux, me laissant éberlué.

– C'était une belle dégueulée que tu nous as faite, hier.

Je sens mes oreilles chauffer. C'est très rare – extrêmement rare – que Mark ait des gestes... quoi ? gentils ? affectueux ? envers moi. Et puis bon, qu'il me rappelle la jolie façon dont j'ai repeint le plancher est aussi assez humiliant.

– Euh... o-ouais, désolé pour ça. Tu as tout nettoyé...

– Ha ! s'exclame-t-il en riant. J'allais pas attendre que la marmotte se réveille. Comment vont tes blessures ? Tu veux de l'aspirine ?

– Je veux bien, avoué-je en grimaçant.

– Si tu veux savoir, tu as une magnifique bosse sur le front.

Quand j'ouvre la bouche pour protester, il commence à rire. C'est si rare de l’entendre rire que j’en avais oublié le son. Face à cette soudaine joie, je ne peux m'empêcher de sourire.

– Tu devrais sourire plus souvent, Zach, me souffle-t-il en reprenant son sérieux.

– Et toi, tu devrais rire plus souvent, rétorqué-je en douceur.

On se fixe dans le blanc des yeux de longues secondes, prenant chacun conscience des mots de l'autre. Il finit par casser le silence avec un petit soupir.

– Tu as raison.

Dans un geste que je suppose réconfortant, il serre mon épaule et sort de la cuisine pour aller chercher des médicaments. J'attends qu'il soit parti pour gémir de douleur en sautillant sur place. Il a écrasé un de mes bleus !


Pour la première fois en cinq ans, je n'ai pas besoin de faire le rituel au petit-déjeuner. Lorsque je questionne Mark à ce propos, il répond d'une voix lointaine en secouant la main.

– Plus de rituel. Tu connais à présent Alison comme ta propre mère, Jade et Holly comme tes propres sœurs. Je sais que tu ne les oublieras jamais. Et moi non plus. Plus de chichis entre nous, mon garçon. Et je vais te faire une promesse : je ne lèverai plus jamais la main sur toi. C'est fini ces bêtises.

– O-Oh, d'accord... Merci, Mark. Pour tout ce que tu as fait pour moi.

– Je l'ai aussi fait pour moi, Zach. Il me fallait quelqu'un pour pouvoir m'en sortir. Dieu seul sait ce que j'aurais pu faire quand j'étais plongé dans ce gouffre de chagrin après la mort de ma famille.

Je dois pincer les lèvres pour contrer les larmes qui me montent aux yeux. Bizarrement, c'est l'émotion de Mark qui me rend triste. J'ai l'impression de calquer involontairement ses sentiments.

– Tu es ce quelqu'un, mon garçon.

– C'est une des rares fois où je suis quelqu'un aux yeux des autres...

– Je sais, murmure-t-il d'un air las. Tu n'as pas été gâté par la vie.

Après avoir bu une gorgée de café, il me propose dans un souffle :

– Que dirais-tu de partir d'un nouveau pied ?

– C'est-à-dire ? je m'enquiers, perplexe.

– Je n'ai aucun doute concernant ta motivation à payer ta dette. Tu fais énormément d’efforts et je m’en rends compte. (Cette révélation m'emplit de joie.) J'aimerais que, toi et moi, on prenne un nouveau départ.

Devant mon hésitation, il détaille :

– J’aimerais qu’on essaie d’être… une famille. Qu’on cesse de se toiser comme des lions en cage, qu’on apprenne à vivre ensemble correctement.

– Oui, approuvé-je d’une voix étranglée avec un hochement de tête.

Avec une expression lointaine, il m’observe un moment, grimace ce qui ressemble à un petit sourire, puis se tourne de nouveau vers la fenêtre.

Malgré la tristesse éternelle au fond de ses yeux, j’ai l’impression qu’il se tient un peu plus droit et que ses lèvres sont plus enclines à sourire.

Être une famille… ça me semble pas si mal.

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