Chapitre 8.5

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8.5

Vivre ou mourir, quel choix ?

La première chose que je fais, après que Phil m'ait annoncé que Mark Grace voulait m'adopter, c'est de me pincer le bras. Aie.

Qu'est-ce que tu fabriques ? souffle Philip en fronçant les sourcils.

Je... j'ai cru que c'était un rêve, je réponds dans un souffle ahuri.

Je le crois pas. Où sont les caméras ? Le visage de Phil ne trahit aucun amusement, aucune trace d'espièglerie. Il m'aide à me redresser et me regarde en souriant.

C'est incroyable, n'est-ce pas ?

O-Oui, complètement, bredouillé-je, stupéfait. Mais... cet homme, Mr Grace, il... je veux dire j'ai... sa famille... c'est moi qui...

Je me tais parce que mes paroles n'ont plus aucun sens. Cependant, Phil semble avoir compris car il hoche lentement la tête en me regardant avec compassion. Compassion. Comment peut-il éprouver une telle chose envers moi ?

Mais, Mr Daniels, je reprends d'une petite voix. Comment est-ce possible ?

Que Mark veuille t'adopter ? C'est un miracle.

Je ne crois pas aux miracles... murmuré-je en détournant la tête.

Un petit rire sec s'échappe de la bouche de Philip. Gentiment, il pose une main sur mon bras.

Lorsqu'il a rencontré Mlle Vohen, qui s'occupait de toi avant l'accident, Mark s'est demandé comment on avait pu confier la garde d'un enfant à une telle personne.

C'est parce que je suis un enfant à problèmes, je réponds d'un ton absent. J'habite chez Karen depuis ma rentrée au collège, mais j'ai eu plein d’autres familles avant elle. C'est seulement parce que Karen s'en fout de moi qu'elle a tenu si longtemps avant de me mettre à la porte.

Ta garde n'aurait jamais dû être confiée à cette femme.

Mais que vouliez-vous qu'ils fassent ? crié-je plus fort que je n'aurais dû. À chaque fois que j'allais dans une famille, j'en ressortais aussitôt ! Depuis mon plus jeune âge !

L'expression de Philip devient blessée. Je m'en veux aussitôt de lui avoir crié dessus comme ça.

Pardon... C'est juste que... est-ce que je ne mérite plutôt pas d'aller en prison ? J'ai tué une femme et ses deux filles.

Tu étais en état d'ivresse et drogué.

De mon propre chef.

Avec une voiture qui n'était pas la tienne.

En effet, je l'ai volée.

Tu n'as jamais voulu ça ! hurle Philip en serrant fort mon bras.

Muet comme une carpe, je le dévisage avec surprise.

Tu as perdu ton meilleur ami. Tu as été grièvement blessé... Tu es complètement déboussolé, Zachary. Tu ne te rends pas compte de la chance que t'offre Mark.

Mais est-ce qu'il veut vraiment de moi ? demandé-je d'un ton morne. Je lui ai pris tout ce qui comptait pour lui. Il doit vouloir quelque chose en échange, non ?

Et bien... oui, avoue Phil dans un souffle désolé. Mais il t'en parlera lui-même.

Comme synchronisé, quelqu'un toque contre la porte de ma chambre d'hôpital.

Entrez, lancé-je, sur le qui-vive.

Je ne suis pas surpris de voir Mark Grace entrer dans ma chambre. Néanmoins, j'éprouve aussitôt le besoin de me cacher, de me soustraire à son regard pénétrant, de ne pas affronter sa douleur.

Phil, dit Mark en observant son ami, ça ne te dérange pas si je discute seul avec lui ?

Non, je t'en prie. Je lui ai dit ce que... tu comptais faire.

Très bien, merci.

Philip m'adresse un sourire réconfortant, me tapote le bras puis sort après avoir serré l'épaule de Mark. Ce dernier s'éclaircit la gorge et tire une chaise qui se trouvait dans un coin de la pièce. Il a minci depuis la dernière fois que je l'ai vu. Ses yeux sont un peu moins rouges.

Je n'ai pas besoin de te rappeler ce qu'a dit Phil, si ? demande Mark d'une voix qui me semble un peu tendue.

Euh... si vous pouviez confirmer, ça... ça me soulagerait.

J'ai fait une demande de jugement spécial auprès du tribunal avec l'aide de Phil, qui est mon avocat.

Je cligne des yeux. Ce n'est pas tout à fait ce qu'a dit Philip. Qu'est-ce que je suis censé comprendre ?

Ce qui veut dire...

Avec un grognement, Mark s'agite sur sa chaise, comme mal à l'aise. Il refuse de rencontrer mon regard, ce qui m'arrange plutôt bien en réalité.

Que j'aimerais t'adopter.


L'entendre de sa propre voix me fait l'effet d'un coup de poing. Il ne plaisante pas... Et il n'a pas l'air d'un homme à faire des blagues.

Mais pourquoi ? je m’enquiers d'un air abasourdi.

Parce que, répond-t-il d'un ton bourru. Tu acceptes de venir vivre avec moi, Zachary ?

C'est... euh, je... je ne sais pas. Comment pourrais-je vous regarder en face en sachant que j'ai tué votre famille ?

Un silence gêné s'installe entre nous.

C'est ton problème, finit par répondre Mark sans douceur. Tu veux savoir ce que je veux en échange ? Je vais t'apprendre les valeurs de la vie. Je vais t'éduquer. Je vais faire de toi une personne responsable et autonome. Je vais faire de l'enfant indiscipliné et inconscient que tu es un homme d'honneur et de savoir-vivre.

Mais... c'est encore vous qui me donnerez tout ça, bredouillé-je, ne comprenant rien.

Toi, tu me dois trois vies. Pendant que je t'élèverai, tu me rembourseras. Tu as une dette envers moi.

Je sais, soufflé-je, la gorge serrée. Mais je ne sais pas comment vous la rembourser.

Tu le feras en m'obéissant, en apprenant à vivre en société, en te faisant pardonner pour ce que tu as fait. Et en rendant aux autres ce que je t’aurai donné.

Mais pourquoi faites-vous tout ça pour moi ?

Tu es borné, soupire Mark en me regardant dans les yeux, cette fois. Je... j'en sais trop rien. J'ai besoin de le faire, je crois. Pour garder un peu de ma conscience. J'ai l'impression d'être en chute libre depuis la mort de ma femme et de mes filles. Je... j'ai peur de ce que je pourrais faire ou devenir sans quelqu'un qui me rappelle mes devoirs.

Et... ce « quelqu'un », vous pensez que ça peut être moi ?

Oui.

Je baisse la tête. Mon cœur bat à tout rompre. Je crois que je suis heureux. Parce que, si j'ai bien compris ce que vient de dire Mark, alors il a besoin de moi. Et c'est la première fois qu'une personne a besoin de moi. D'habitude, c'est toujours le contraire.

Mais, je dois te prévenir avant, reprend-t-il d'un air grave. Je ne te considère pas comme un enfant comme les autres. Il y aura des jours où je me montrerais peut-être compréhensif, mais, la plupart du temps, je serai sans pitié. Quand je te regarderai, je me rappellerai que c'est toi qui as brisé ma vie. Je ne te ferai pas mal. Du moins, je lèverai peut-être la main sur toi quand ce sera nécessaire. (Il se cale en arrière sur la chaise en croisant ses longs bras sur sa poitrine.) Pour ne pas te mentir, ce sera peut-être aussi dur que la prison pour mineurs.

Difficilement, j'avale ma salive.

Je te déteste, Zachary Gibson. Je ne serai pas compatissant face à ta douleur. Ce que je fais, en ce moment, c'est déterminer si tu es une bonne personne ou pas.

J'ai le choix ? demandé-je, le ventre crispé d'angoisse.

Oui, tu l'as. Tu vis, avec moi, durement, ou tu meurs, dans une prison, lentement, à petit feu. C'est toi qui vois. (Il plisse les yeux en me dévisageant intensément.) Adopter un p'tit Blanc comme toi, ça ne me fait pas spécialement plaisir.

Je supporte pas les Blacks non plus, rétorqué-je instinctivement, piqué au vif.

Un p'tit con de de Blanc de douze ans qui fait pas trente centimètres se permet de parler de la couleur de ma peau ? susurre-t-il d'une voix frémissante de colère.

Un étau autour de ma gorge m'empêche de parler plus. J'ai eu un problème avec un garçon Noir dans ma jeunesse et, depuis, je me méfie d'eux.

Alors, que décides-tu ? Si tu es une bonne personne, tu accepteras de rembourser ta dette.

Si j'ai bien compris, soit je vais vivre avec vous, qui me détestez et qui m'élèverez de manière presque inhumaine, soit je vais pourrir en prison au milieu des racailles qui me feront la peau au moindre regard de travers ?

T'as tout compris.

Tu parles d'un choix… Le doute et l’appréhension enflent en moi. Gorge nouée, je n’ose plus regarder l’homme assis en face de moi.

Comme je ne réponds toujours pas, Mark Grace claque sa langue avec irritation et se lève. Silencieux, imposant, il me toise en attente de ma réponse.

Mais en ai-je vraiment une à lui apporter ?

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