Chapitre 5.5

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5.5

Mauvaises surprises

L'infirmier qui m'a amené pour la première fois au bloc opératoire ne m'a pas menti : j'ai fait des aller-retours entre ma chambre et ce dernier durant toute la semaine.

Je ne sais même plus quel jour on est. Juste qu'il fait froid et qu'il pleut quasiment toute la journée. Enfin, je crois... j'ai passé plus de temps à dormir ou dans les vapes qu'éveillé ces derniers jours.


On m'a attribué une chambre individuelle. Je me demande pourquoi. Je ne sais pas qui va payer les frais d'hôpitaux, mais sûrement pas Karen car elle n'en a pas les moyens. Alors, pourquoi ne m'a-t-on pas mis avec d'autres personnes ?


Peu de gens m'ont rendu visite. Les chirurgiens qui m'ont ouvert, trituré, recousu – rouvert, qui sait ? – et les infirmiers. Ils ont un air grave à chaque fois qu'ils entrent dans ma chambre. Ils évitent mon regard et me parlent le moins possible. Le personnel d'hôpital est toujours comme ça ou c'est moi qui les rends si froids ? J'opte malheureusement pour la deuxième option.

Après tout, j'ai tué quatre personnes.

Quand j'y repense, c'est-à-dire la plupart du temps, une terrible nausée m'envahit. J'ai vomi au minimum deux fois par jour cette semaine. Les infirmiers affirment que les médicaments en sont la principale cause. J'ai une autre idée. Je revois parfaitement les trois silhouettes qui se tenaient sur le passage piéton, je ressens comme si j'y étais les secousses de la voiture quand on les a percutées. Je me rappelle très bien le sang de Raylen – et le mien – qui a éclaboussé de partout après qu'il soit rentré dans le pare-brise.


J'ai dormi durant dix-huit heures après ma première opération. On a dégagé mes voies respiratoires et remis à peu près en place mes trois côtes cassées. On m'a aussi annoncé qu'un de mes poumons avait été perforé, m'obligeant à porter tout un appareil respiratoire qui est extrêmement désagréable. Je suis obligé de l'enlever pour pouvoir parler. Quoique, personne ne m'adresse vraiment la parole alors...

J'ai eu une commotion cérébrale qui m'a rendu H.S pendant deux jours. Je voyais des points lumineux dès que j'ouvrais les yeux et une terrible migraine me harcelait dès que j'osais faire un mouvement.

Puis il y a ma jambe droite et mon bras gauche. Ce dernier est dans un plâtre, lui-même en écharpe autour de mon cou. On m'a dit que mon coude avait été pulvérisé, obligeant les chirurgiens à mettre en place un dispositif pour permettre à mon bras et à mon avant-bras d'être à nouveau reliés ensemble. Il semblerait que je doive le porter à vie. Quant à ma jambe... j'ignore si je pourrais remarcher un jour. Double-cassure du tibia et une fracture au genou. Les chirurgiens ont dû ressouder mes os avec des vis, broches et autres horreurs que je ne préfère pas imaginer. Ils l'ont aussi plâtré. Mon pied est suspendu au-dessus du lit. Une perfusion me rentre dans chaque bras. Une autre au niveau de la main. Des électrodes suivent mon rythme cardiaque.

Et mon poignet droit est menotté au montant du lit.


J'ai essayé de mettre fin à ce cauchemar dès le deuxième jour. À peine ai-je ouvert les yeux que des images sanglantes se sont mises à danser devant moi. J'ai hurlé comme un possédé, me suis jeté hors du lit pour tenter de fuir ces souvenirs qui me hantaient, ai arraché les perfusions et les électrodes, me suis levé, puis suis retombé à cause de ma jambe blessée. La douleur m'a arraché un nouveau hurlement qui m'a paru effroyable à mes propres oreilles. C'est alors que des infirmiers sont entrés en trombe dans ma chambre. Il y en avait trois. Deux m'ont relevé et m'ont maintenu en place tandis que le dernier sortait une seringue d'on-ne-sait-où. Les larmes jaillissaient de mes yeux, je me débattais comme un diable et je criais de toutes mes forces. J'avais plus peur qu'autre chose. L'aiguille s'est plantée dans mon bras valide et, quelques secondes plus tard, je tombais dans un profond sommeil.


Le suicide a été une véritable idée après mon opération de la jambe droite. Je geignais de douleur à mon réveil et même la morphine ne m'a apporté du soulagement que pour quelques temps. Les médecins ne pouvaient augmenter la dose à cause de mon jeune âge et j'ai été condamné à souffrir le martyre pendant des heures et des heures. J'avais si mal que je tremblais, quand j'ai vu le couteau laissé à côté de mon assiette remplie. Les premiers jours, on m'a nourri via les perfusions puis les infirmiers ont décidé de me laisser manger comme un grand. Malheureusement j'avais rarement faim. J'ai jamais été un grand gourmand, alors après tout ce qui m'est arrivé... Les haricots étaient froids quand je me suis emparé du couteau pour le porter à ma gorge.

Ma main droite tremblait fort, les larmes coulaient sur mes joues, des tics nerveux agitaient mon visage. Personne ne pleurerait ma mort. Karen ne m'aimait pas ; j'étais peut-être encore un enfant, mais un enfant qui avait commis quatre homicides ; et j'étais orphelin. Autant dire qu'il n'y aurait pas grand monde à mon enterrement – à condition qu'on ait un enterrement après s'être suicidé...

J'avais fait une entaille dans mon cou quand la porte de ma chambre s'est ouverte sur l'urgentiste qui m'avait emmené à l'hôpital après l'accident.

Zachary ! a crié Sofia Daniels en courant vers moi.

Elle m'a arraché des mains le couteau et l'a jeté loin de mes idées noires. Je l'ai fusillée du regard. De quoi se mêlait-elle ? Je n'avais pas envie de vivre ! Je n'avais plus rien !

J'allais protester quand sa main a claqué ma joue. J'en suis resté muet de stupéfaction.

Je ne te permets pas de t'ôter la vie alors qu'on fait tout pour que tu la gardes, a sifflé Sofia.

Alors elle s'est baissée et m'a serré dans ses bras. Ça m'a fait tout bizarre. Ses cheveux qui chatouillaient mes joues sentaient bons et étaient doux. Pareil pour sa peau. Elle était chaude, comme un rayon de soleil. Son étreinte était tendre et brusque en même temps. Comme si elle était en colère, mais extrêmement soulagée. C'était ça, une mère ?

Oh, Zachary... a murmuré Sofia en se redressant.

Elle a chassé une mèche de cheveux de mon front avec douceur en me regardant droit dans les yeux. Les siens étaient verts. De jolis yeux verts.

Ses longs doigts fins ont caressé la joue qu'elle avait giflée quelques secondes plus tôt.

Quelle cruauté, a soufflé Sofia en s'asseyant à mes côtes. Pourquoi a-t-il fallu que ce soit un être plein de tristesse et d’innocence comme toi qui les tues ?

Je l'ai regardée sans comprendre. J'avais l'impression d'être un petit garçon qui ne saisissait pas un traître mot d'une conversation entre adultes.

Tu sais ce que tu as fait, n'est-ce pas ? m'a demandé Sofia.

Oui, ai-je répondu aussitôt. J'ai tué quatre personnes.

Quelque chose a crispé les traits de l'urgentiste.

Ton ami n'est pas vraiment mort par ta faute, Zachary, m'a-t-elle expliqué, une main sur mon épaule. Il n'avait pas mis sa ceinture.

J'ai quand même tué trois personnes, ai-je répliqué d'une voix chevrotante.

Le visage de la femme s'est fermé.

Alors pourquoi m'empêcher de mourir ? ai-je demandé, les yeux plein de larmes. Je ne mérite pas de vivre.

Tout le monde n'est pas de cet avis, a-t-elle soupiré. À commencer par moi. Tu n'as que douze ans, tu as encore toute la vie devant toi. Je sais que tu es un mauvais garçon, Zachary. Mais je sais aussi ce qui t'a mené sur la voie de l'illégalité. Donc je sais que tu peux changer.

Après ça, elle s'est levée, m'a effleuré la joue et est sortie.

C'est à partir de ce moment-là qu'on m'a menotté. Pour pas que je refasse de bêtise, je suppose.


Je suis toujours en train de rêvasser quand la porte s'ouvre sur Sofia. Son visage est crispé, ses yeux sont ternes. Elle s'écarte pour laisser passer quelqu'un. Un grand homme à la peau sombre s'avance dans la pièce. Ses joues sont creusées, ses yeux sont bouffis et cernés. Il serre les poings, comme s'il contenait ses émotions. Il semble absorber le peu de lumière que contient la pièce.

Zachary, cette personne aimerait passer un moment avec toi, m'annonce Sofia en refermant la porte derrière elle. Il s'agit de Mark Grace.

Je le dévisage fixement. Il fait pareil. Son regard est chargé de... de je-ne-sais-quoi.

Bonjour, fait-il d'un ton rauque. Je voudrais te parler, Zachary. Parler au meurtrier de ma femme et de mes filles.

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