Le poulet d'André

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      Deux hommes discutent sur un banc, à l'ombre d'un platane.


    - La vie est trop courte pour vous encombrer ainsi..." Faites comme moi André, faites des liasses avec le passé, ça ne change rien, cela désencombre un peu les tiroirs".


    - Parce que vous croyez que l'on peut arrêter de ressasser le passé simplement parce qu'on le souhaite... le mettre en liasse... pour vider mes tiroirs... ? En voilà une drôle de façon de s'exprimer... vous êtes poète maintenant ? Et puis si cela ne change rien... où est l'intérêt ?


    - Cela vous permettrait de vous éclaircir l'esprit... de laisser un peu de place là-haut pour penser à autre chose. En y mettant un peu de bonne volonté, je suis sûr que vous pouvez y arriver. On a tous nos hauts et nos bas, reste à ne pas trop s'appesantir sur les bas.


    - Vous en avez de bonnes, c'est facile pour vous, moi je n'y arrive pas. Et puis d'abord qui vous dit que j'ai besoin de faire de la place pour penser à autre chose ? Je m'aime bien malheureux moi, je trouve que cela me fait une bonne tête, d'ailleurs les gens dans la rue y sont sensibles, tout le monde me salue au village maintenant.


    - Ecoutez André, cela fait maintenant cinq mois que votre femme vous a quitté, vous n'avez pas envie d'avancer, de tourner la page, de refaire votre vie ?


    - C'est plus facile à dire, qu'à faire. On voit bien que vous ne vous êtes jamais retrouvé dans ma situation, je ne suis plus tout jeune, j'ai quelques mauvaises habitudes, qui passaient bien avec ma Ginette mais avec une jeunette.... ce n'est plus la même chose. Je vais devoir faire beaucoup plus attention, rentrer mon ventre avec ou sans public par exemple, des fois que... Et la nuit, je ronfle... ma Ginette mettait des boules quies, mais celle là, elle ne voudra jamais. Vous me direz au bout d'un moment, elle sera bien obligée, mais en attendant ce jour, qu'est ce que je vais déguster... Mais j'admets, que si je pouvais rentrer chez moi et y retrouver ma Ginette, je ne serais plus seul. Ma Ginette, elle était tellement chouette ....


    - Ecoutez André,  je suis sûr que tous les jours il y a des centaines de femmes qui claquent la porte du domicile conjugal, vous n'êtes pas le premier..et vous ne serez sans doute pas le dernier. Regardez Hervé, mon expert comptable, un jour sa femme est allée acheter des cigarettes et elle n'est jamais revenue... Vous au moins elle vous a prévenu.


    - Marc, c'est avec ce genre de balivernes que vous espérez me remonter le moral ? c'est raté. Oui c'est vrai elle m'a prévenu, la belle affaire, et alors je devrais me sentir moins malheureux pour ça ...et quand bien même, elles ne partent pas toutes avec le meilleur ami de leur mari..


    - Je vais sans doute vous étonnez André, mais figurez vous que justement d'après les statistiques, le meilleur ami se retrouve souvent en tête de liste et puis, comment êtes vous sûr qu'il s'agisse bien de lui ?


    - De quelles statistiques parlez vous ?  Vous savez où vous pouvez vous les mettre vos statistiques... J'en suis sûr, parce qu'un jour j'ai surpris ma femme au  téléphone et lorsqu'elle a raccroché je l'ai entendu prononcer son nom. Mais pourquoi Jean Marc... pourquoi lui ? elle travaille ... Pourquoi n'a t'elle pas choisi un de ses collègues ?


    - Ecoutez André, je veux bien vous aidez, mais ne soyez pas grossier voulez-vous ?  Ah ... donc vous ne les avez jamais vu ensemble. Vous savez, ces choses là ne se commandent pas, ça arrive c'est tout. Et puis ce Jean-Marc est un homme très bien, en plus il est bel homme...


    - C'est ça, trouvez lui des qualités en plus. Un homme bien, qui m'a volé ma femme après trente ans de mariage... 


    - Mais il ne vous a rien volé du tout, votre femme ne vous appartient pas. Vous connaissez le " libre arbitre " ?


    - Oui, évidemment, je ne suis pas idiot.. il faut toujours que vous utilisiez des mots compliqués, qu'essayer vous de me dire ?


    - Qu'elle a fait ses choix en toute connaissance de cause, c'est une femme responsable.


    - Ah ça pour être responsable... elle l'est... Responsable de mon malheur, oui... je ne vois rien d'autre.


    - Ne soyez pas buté, vous comprenez ce que j'essaie de vous  dire ?


    - Non, je ne comprends pas, nous formions un beau couple, elle et moi. Notre bonheur sautait aux yeux...


    - Surtout aux vôtres, vous ne croyez pas ? Depuis quelques temps elle se confiait à ma femme, Lise.


    - Et alors, vous allez m'annoncer que vous connaissez tout de notre vie privée ! 


    - Non évidement, quelle idée. Simplement... Lise ne l'avait pas trouvé en grande forme à sa dernière visite.


    - Ah oui... allez y continuez.


    - Vous ne voyiez vraiment pas de quoi je veux vous parler ?


    - Comment le pourrais-je, je ne vois même pas où vous voulez en venir.


    - Et bien, c'est un peu délicat... Ginette avait un coquard à l'œil droit la dernière fois qu'elle a vu Lise. Elle a bien essayé de le lui cacher, mais c'était plutôt difficile, l'hématome dépassait derrière ses lunettes noires...


    - Oui et alors ... elle était tombée dans l'escalier. Ça ne lui est jamais arrivé à votre femme ?


    - Non, pas jusqu'à aujourd'hui. Ce n'est pas banal, vous ne trouvez pas ?


    - Qu'est ce que vous insinuez, que je l'ai poussé peut être !!


    - Non, je n'irai pas jusque-là... vous auriez pu avoir une dispute, qui aurait mal tournée.


    - Tous les couples ont des disputes, ils ne tombent pas tous dans l'escalier pour autant.


    - Ecoutez André, arrêtez de jouer au plus fin avec moi.


    - Je ne joue pas au plus fin, mais que voulez-vous que je vous dise... Oui j'avoue, il m'est arrivé de la frapper une ou deux fois... j'ai peut être eu la main un peu lourde cette fois ci, mais elle l'avait bien cherché, je vous assure ! Elle le méritait !


    - On croirais entendre un père parler de son fils. Il s'agit de votre femme, Nom de Dieu !!! Bientôt vous allez me dire que vous étiez là pour faire son éducation !!


    - Et pourquoi pas ? je suis l'homme de la maison... Non ?


    - Vous l'étiez André, vous l'étiez ... il faut vraiment que vous passiez à autre chose. Regardez Ginette, elle y arrive bien, elle. Pardonnez moi de vous dire cela, mais comme le disait Gi... enfin bref, votre vision du couple est un peu dépassée. Et puis qu'est ce qui a bien pu vous mettre dans un tel état ? Il fallait forcément que cela soit quelque chose de grave.


    - Ah oui ça l'était ! On se connaît depuis longtemps tous les deux, d'ailleurs à y réfléchir je vous connais depuis presque aussi longtemps que l'autre traître... vous ne croyez quand même pas que j'aurais pu m'énerver pour une bêtise ? 


    - Bien sûr que non, ce n'est pas dans vos habitudes...


    - Ça c'est passé un dimanche matin. Je sortais du bistrot, c'est une manie que j'ai prise au début de notre mariage. Je retrouve tous les copains chaque " jour du seigneur " pour taper les cartes, faire une petit belote, quoi... On en profite pour boire un petit coup, payer des tournées...


    - D'ailleurs, j'ai crû comprendre que ce n'était pas vraiment du goût de votre femme, ces pauses bistrot. Il paraît que vous rentriez plutôt éméché ces fameux dimanches...


    - Oui un petit peu. Donc, je rentrais chez moi, il devait être deux heures, prêt à me mettre les pieds sous la table, comme à mon habitude, quand elle m'a annoncé que le poulet était brûlé... Notre poulet du dimanche ! Vous imaginez ? Un bon gros poulet acheté aux Halles la veille, bio, nourrit aux grains, vous savez comme celui que l'on voit courir au grand air, dans la pub à la télé, un Label Rouge quoi !!


    - Je ne vois pas bien le rapport, continuez.


    - Comment vous ne voyez pas le rapport !! Mais lorsque je l'ai vu carbonisé mon pauvre poulet, mon sang n'a fait qu'un tour, parbleu ! J'ai vu rouge, alors j'ai cogné, voilà, c'est tout.


    - C'est tout...?


    - Ben oui...vous vous attendiez à quoi ?


    - Vous réalisez ce que vous êtes en train de me dire ? Qu'en fait, vous avez perdu les pédales, tout naturellement, à cause d'un vulgaire poulet ! 


    - Qu'est ce qui vous permet d'insinuer que mon poulet était vulgaire, je vous juge moi, peut être ?  Vous avez vu votre cravate, elle est presqu'aussi laide que celles que m'achetais ma femme. C'est un cadeau de la vôtre ?                                                  Mais vous vous auriez fait quoi ?


    - Non c'est un cadeau de Gi... Je pense que j'aurais simplement mangé autre chose.


    - Vous en avez de bonne, on ne change pas de menu comme ça chez nous, on a nos habitudes Ginette et moi. Et le poulet du dimanche, c'est  sacré !!


    - Oui et d'après ce que j'en sais, surtout pour vous. Je vous comprends André, mais pas au point de cautionner votre comportement. Vous mettre dans un état pareil, pour un simple poulet... alors qu'il y a des choses tellement plus graves dans le monde. Raisonnez mon vieux... raisonnez ! 


    - Vous voyez si vous me comprenez, et que vous trouvez cela futile, vous pouvez aussi être d'accord sur le fait qu'il n'y avait pas de raison pour que Ginette en face tout un plat ! Et puis je me suis excusé, je lui ai même offert des fleurs.


    - Et alors, comment a t'elle réagi ?


    - Justement je n'ai pas compris, elle les a jeté dans la poubelle. Pourtant  la fleuriste m'avait conseillé des roses rouges, elle m'avait dit que ces fleurs transmettaient un message, une déclaration d'amour... Après, je l'ai même entendu marmonné quelque chose entre ses dents, mais je n'ai pas compris.


    - Là évidemment, son message a été clair. Vous voyez mon pauvre André, il n'y a vraiment plus rien à espérer de ce côté, faites moi confiance, tournez vous vers l'avenir.


    - L'avenir... Mais moi je n'ai pas d'avenir sans elle... elle était ma raison de vivre ! Comme dit ce chanteur " je veux mourir malheureux "...


    - Mais mon bon ami, ressaisissez vous enfin, vous n'allez pas mourir aujourd'hui. Allons plutôt trinquer ensemble au bistrot d'à côté.


    - Trinquer, mais à quoi voulez vous que nous trinquions ? 


    - Mais à votre liberté retrouvée bien entendu ... et à ma nouvelle vie qui commence.


    - À ma liberté je veux bien... mais de quelle nouvelle vie parlez-vous ?


    - Ne faites pas attention... alors vous venez ? 


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