Première nuit

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Je réajuste mes couvertures. Un souffle d'air froid vient pénétrer l'interstice entre les draps et ma peau, me hérissant le poil. Mécontent de ce réveil désagréable, je tends la main vers la table de nuit où j'ai posé ma montre, histoire de savoir si cela vaut le coup de me rendormir. Mes doigts furètent dans le noir jusqu'à ce que mes ongles viennent gratter une surface de bois rugueux. Toujours en essayant de garder la plus grand partie possible de mon corps bien au chaud, j'allonge mon bras un peu plus loin. Je constate par la même occasion que le poêle s'est éteint. De toute façon, j'aurais bien du mal à lire l'heure dans cette obscurité. Je laisse cependant retomber ma paume sur la table de nuit.

Ma montre n'y est pas.

Je fronce les sourcils, agacé. J'ai dû la faire tomber pendant mon sommeil. Cela dit, je l'aurais sans doute entendu chuter sur le sol... C'est une grosse tocante, toute en métal. J'ai abandonné les bracelets en cuir ou synthétique, ça me donnait de l’urticaire. Je repose ma tête sur l'oreiller en soupirant, ma main  gauche toujours posée sur la table de nuit mal rabotée. J'attends patiemment quelques secondes, pour que mes yeux s'habituent au ténèbres, avant de basculer sur le côté, toujours en ne gardant que mon bras gauche et ma tête hors des couvertures. Je rampe jusqu'au bord du lit et plonge mon regard dans les ombres du parquet.

Au moment où je me tourne, j'entends les lattes du couloir craquer. Intrigué, je me relève sur le matelas pour mieux écouter. Se sont bien des bruit de pas, certainement M. Kemener, je ne vois pas ce qui pourrait être assez lourd pour faire couiner les lattes à ce point. Je me demande ce qu'il vient chercher à l'étage en pleine nuit.

« Étrange, me dis-je. Je ne l'ai pas entendu monter les escaliers. »

Les craquements continuent toujours dans le couloir. Je reste assis, à regarder ce que je distingue difficilement comme étant la porte. J'attends, en tendant l'oreille. Les pas se rapprochent de plus en plus. Ils s'arrêtent finalement au niveau de ma chambre. J'éprouve un léger malaise, quelque chose au creux de mon ventre. Comme une minuscule bille glacée qui remonte très lentement depuis mon estomac, serpente le long de ma colonne vertébrale, pour venir se loger à l'arrière de mon crâne. Je reste bien une minute entière à fixer la porte avec une anxiété croissante. Pourquoi est-ce qu'il ne frappe pas ? Je serais vite fixé. Mais rien, juste un long silence pesant qui dure une interminable minute. J'ai presque envie de dire "entrez" mais le mot meurt au bout de mes lèvres ankylosées par le froid. Ma mâchoire tremble et je me surprend à me balancer d'avant en arrière. Je suis certain que si j'y voyait quelque chose, j'apercevrai mon souffle dessiner de petits nuage opaques dans l'air.

Ça trépigne. Une petite série de couinement secs, comme si quelqu'un dansait d'un pied sur l'autre sans vouloir se décider à rentrer. Je me redresse un peu plus, sentant le froid me courir le long du dos. Ça s'accélère. Je me dis que Yann ne pourrait sans doute pas tenir une pareille cadence... ni même Muriel. Je commence sérieusement à paniquer. Qu'est-ce qui est en train de s'agiter derrière la porte ?

Plus rien. D'un seul coup, les couinements ont cessés. 

Sans savoir pourquoi, je recul pour me réfugier dans les oreillers. Je me cogne presque contre la tête de lit.

S'ensuit un long craquement, comme si l'on faisait peser une masse phénoménale sur le parquet. Je me crispe en tirant encore plus les draps vers moi. Les couinements repartent. J'entends les pas s'éloigner de la porte et retourner vers l'escalier. Mais là encore je n'entends personne descendre les marches. Ça reste à l'étage ? Les pas s'arrêtent de nouveau. Puis, un cliquetis, suivis d'un claquement et d'un grincement. Ça rentre dans la chambre d'à côté. Je devine que le sol n'y est pas le même. Plus dur. Les pas sont plus distincts, j'arrive à suivre son trajet des yeux rien qu'en écoutant. 

D'un coup, un grincement strident retentit de l'autre côté du mur. C'est en train de traîner un objet massif, en métal. Le sol tremble alors que les stridulations et le raclement du fer semblent durer une éternité. Le vacarme est insupportable ! je me bouche les oreilles, les draps tombent et je sent la morsure du froid sur tout mon corps. Ils l'auront forcément entendu en bas ? La cacophonie métallique se tait enfin, laissant un lourd silence planer entre les deux chambres. Mais pas de course précipité, ni d'appel lancé depuis le rez de chaussé. Plus aucun son ne vient perturber la nuit. 

Et puis trois coups. Trois coup frapper contre le mur mitoyen, juste en face de mon lit. Trois coup qui résonnent comme le tonnerre et me font sursauter de panique au point de tomber hors du lit. Je glisse et atterrit lourdement sur le côté, cognant la table de nuit qui s'abat sur mon visage. Je n'ai pas le temps de l'éviter dans le noir. Une vive douleur me vrille le crâne. Je repousse le meuble en geignant et en tenant mon front endolori. 


Quelle heure est-il ? J'ai mal à la tête. Quelque chose m'égratigne la joue. C'est froid. Je me redresse vivement. Pris de panique sans savoir pourquoi. J'entends un déclic mécanique. 

Je me frotte la joue en constatant que je m'étais endormis sur la machine à écrire. Heureusement, on dirait que je ne l'ai pas abîmée. Je me lève, la bouche pâteuse et les yeux douloureux. Je m'étire en baillant, une bonne dizaine de craquements s'élèvent de mon corps malmené. Je pousse un grognement et me dirige d'un pas lourd vers la salle de bain. Je laisse tomber mes affaires au sol et pose mes deux mains sur le lavabo de porcelaine immaculée. Un bref coup d’œil dans la glace me permet de voir une série de marques rougeâtres en forme de ronds sur tout le côté gauche de mon visage. Je suis resté presque toute la nuit la tête posée sur cette machine. C'est assez douloureux au niveau de la pommette mais qui ne se guérisse pas facilement avec un peu de pommade. Je rentre dans la douche en grelottant, il fait toujours un peu froid malgré les cendres encore chaude du poêle.

L'eau chaude me dégouline le long du visage et me réchauffe en même temps qu'elle décrispe mon visage. Je m'adosse contre le mur de carrelage, frissonnant à son contacte glacial, puis je laisse l'eau me ruisseler dans le dos en poussant un soupir de contentement. 


Enveloppé dans un peignoir, je vais pour raviver le feu quand mes yeux reviennent sur la machine à écrire. Je n'avais pas remarqué, mais une petite pile de papier est empilée à l'extrémité droite du bureau et je constate qu'une page est encore attachée à la machine. Intrigué, je ramasse la pile et la feuillette rapidement. J'ai considérablement avancé ! Page après page, je reste sans voix devant le fait accompli : j'ai retrouvé l'inspiration. Avec un grand sourire, je repose les feuilles en sifflotant et me promet de continuer ce soir. Je jette un rapide coup d’œil à ma montre, sur la table de nuit : 8 heure. J'ai encore du temps devant moi. Je m'allonge sur le lit encore défait, les mains derrière la nuque.  

Ce séjour s'annonce de mieux en mieux. 

  

 

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