Mon Moi

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Alors que j'étais sereinement endormie dans les bras de Morphée, mon téléphone se mit à sonner. Je me réveillai en sursaut tout en maudissant ce petit rectangle de technologie posé sur mon chevet qui affichait 5:18. À mes côtés Bertrand dormait paisiblement.

Le numéro qui apparaissait sur l'écran m'était totalement inconnu. Intriguée par cet appel à une heure aussi matinale, je pris la communication.

- Allo ! me suis-je entendue dire d'une voix désagréable et ferme.

- Bonjour Sylvie,

- Bonjour ! répondis-je toujours sur le même ton.

La voix féminine qui m'interpellait m'était totalement inconnue. Pourtant, elle avait un timbre qui ne m'était pas anonyme bien qu'indéfinissable à cette heure-là.

- Me reconnais-tu ? enchaîna t-elle,

- Non et pour tout vous dire, vu l'heure je n'ai pas envie de jouer aux devinettes avec vous !

- Pourtant je peux te dire que nous sommes, enfin.... que nous étions très proches à une époque. Tu me connais fort bien. Mais hélas, tu m'as oubliée ou plutôt tu m'as reniée !

À ces mots, je restais interloquée et pensais tout de suite à un plaisantin, j'allais raccrocher mais la voix poursuivit.

- Je suis toi, il y a 30 ans.

- Pardon ? c'est quoi ce gag !

- Non Sylvie, ce n'est pas un gag, je suis bien toi, Sylvie ; la fille que tu étais il y a 30 ans. Je suis ta partie inassouvie, celle que l'on retrouve dans ta vie, entre le V de vie et le E d'existence. Je suis la fille de vingt ans que tu étais, celle que tu as toujours gardé au fond de toi, celle qui se voulait indépendante, rebelle, sans attache, sans mec et sans gosse ! comme tu aimais le clamer à qui voulait l'entendre. Celle qui rêvait d'aventure, de sac à dos et de grands espaces, celle qui se rebellait contre toute autorité, surtout celle des professeurs et des parents, qui se voulait hétérodoxe. Aujourd'hui, si je viens te rendre visite c'est pour voir ce que tu es devenue 30 ans après. Quel changement ! Mais où sont passées tes convictions ? Dans quel placard as-tu rangé tes rêves ? Je suis venue à ta rencontre pour comprendre à quel moment la vie t'a happée ? A quel moment tu as désarticulé tes idéaux ?

À ces mots, je demeurais sans voix, en une fraction de seconde, tout mon passé ressurgissait, me revenait de plein fouet des pans de ma vie que j'avais enfouis au fond de mon être. C'est vrai qu'à 20 ans, je rêvais d'aventure, d'une vie trépidante, les règles c'était pas mon truc ! Je n'hésitais pas à revendiquer toute injustice tant cette dernière me mettait hors de moi. Quant aux parents, je ne les comprenais pas, en plus ils m'insupportaient quand je les entendais s'adresser à moi en disant "de mon temps" ; je ne tolérais pas les mots protecteurs de ma mère du genre "fais attention" ou "couvre toi bien".

À présent, ces mêmes mots je les prononce en m'adressant à mes enfants, et eux aussi détestent ça ! Ma vie, elle n'a rien de mouvementée, au contraire, elle est réglée comme un métronome et, dès qu'un imprévu s'invite dans ma journée, je panique.

La voix reprit :

- Tu sais, étant une partie de toi, je connais ta carrière professionnelle, brillante à n'en pas douter ; ton mariage avec Bertrand ; tes deux enfants qui sont arrivés très rapidement dans ton couple. Mais quel désespoir, toi qui te voulais non-conformiste, tu as épousé comme un gant les règles de cette société que nous rejetions à cette époque-là ! Vraiment aujourd'hui, à l'aube de tes 50 ans, es-tu heureuse ? As-tu eu ta part d'inconnu, des montées d'adrénaline ? As-tu assouvi toutes tes passions ? Es-tu allée au bout de tes convictions ? Non, je ne crois pas ! Reste à t'interroger à quel moment tu as lâché la ficelle du ballon qui a emporté tes rêves. La voyais-tu ainsi ta vie il y a 30 ans ?

Cette voix, mon moi intérieur m'insupportait, elle me remettait face à moi-même, face à mon existence. C'est vrai que j'ai épousé Bertrand à l'âge de 22 ans, dans la famille, tout le monde s'en est étonné, mais ce fut un coup de foudre, qui dure toujours. Très vite deux garçons, ont égayé notre foyer. Ma carrière professionnelle est brillante et maintenant à presque 50 ans, je suis fière de mon poste de chargée de relations publiques dans un grand groupe de distribution.

Mon parcours professionnel ainsi que ma vie privée m'ont demandé beaucoup de concessions, et j'ai alors très rapidement tourné le dos à la femme revendicatrice et libertaire qui émergeait en moi. Ainsi, j'ai trouvé ma place dans la société, en remisant aux placards beaucoup de certitudes.

Actuellement, étant dans la seconde partie de ma vie, j'ai conscience qu'un compte à rebours vient de s'enclencher, mais hélas il est trop tard pour changer de cap.

La voix se fit de nouveau entendre :

- Voilà Sylvie, je voulais juste te rappeler l'adolescente que tu fus, la femme que tu es devenue et je ne manquerai de venir rendre visite à la vieille dame que tu deviendras.

Je coupais net la conversation, c'en était trop. Je reposais mon téléphone sur le chevet et essayais en vain de me rendormir. Le passé tournait en boucle dans ma tête et le sommeil ne revint pas. Bertrand dormait toujours aussi sereinement à mes côtés. Jusqu'au petit matin, réfugiée sous les draps, je me suis demandée, si cette conversation était songe ou réalité.

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