VII - Mère Adélaïde Phoebe de Montaigne

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  • Et le septième jour, Dieu se reposa.

Même quand la Basilique est vide je donne la Messe. Bien au chaud derrière mes rituels, je ne suis plus une soldate de Dieu, j’ai pris du galon à la Maison Mère. Je ferme les yeux pour prier, une sœurette commence une mélodie à l’orgue pendant que les deux autres chantent. Hier soir à la Caserne, dans les chaleureux appartements de Hilde, sous la verrière elle me demandait :

  • Tu es sûre qu’il ne va pas être jaloux ?
  • Je ne lui appartiens pas. C’est plutôt le contraire.

Le chant se termine. J’ouvre les yeux. Il est là au premier rang. En initiation pour ses sacrements. Derrière lui la docteure Mat qui m’a suivie jusqu’ici, curieuse de voir ce qu’est mon existence. Parce que je l’intrigue. Parce que je lui plais. Après l’Office, je lui demande ses impressions :

  • Ce n’est pas ma culture. Ce n’est pas la tienne non plus au fond. Cette spiritualité vous a été imposée par une civilisation qui avait déjà volé la sienne aux grecs. Je doute qu’elle ait sa place ici.
  • On n’en a pas gardé grand-chose. On en est même à sa deuxième réécriture. C’est un bon support pour canaliser l’Invisible.

Là, je sais que ça l’interpelle. Elle n’envisage plus tout ça de la même façon maintenant. Je viens de la convertir. Je l’embrasse solennellement sur le front pour marquer le coup. Maintenant on est libres. Tout le monde rentre en famille, même les sœurettes.

  • Adé, je vais déjeuner chez mes parents, tu veux venir ?
  • Je peux ? Tu crois ? Ils vont se faire des idées.
  • Seulement des idées ? Ne t’inquiète pas, j’en ramène une différente toutes les semaines.
  • Ton Amour ne dure pas. Il faut réparer ça.

Alors devant le bâtiment familial, avant de monter les escaliers vers l’imposante porte en bois clair, j’arrête Hilde et je lui mets autour du cou une fine chaîne en or avec une croix translucide. En la bouclant j’embrasse sa nuque sous les tresses que je lui ai faites ce matin. Je la retourne et je regarde le résultat, elle est assez haute pour être remarquée.

  • Adé ? Tu marques ton territoire ? Qu’est ce que c’est ?

Elle regarde dans le reflet de son monolithe.

  • Elle changera de couleur selon ton humeur, ou ta Foi.

Le professeur Bang marque l’arrêt. Cette fois-ci sa fille lui ramène du lourd. Moi. Il regarde la croix autour du cou de sa fille.

  • Ça fait combien de jour que vous êtes… ensemble ?
  • Depuis hier soir.
  • Tout va tellement vite de nos jours, alors qu’on a l’éternité devant nous.
  • L’Amour est tellement éphémère, on ne perd pas de temps.

Il regarde Gaby.

  • Des fois, ça prend et ça ne vous lâche pas de si tôt.

Hilde me prend la main pour aller me présenter à son frère qui est aussi venu en couple avec une petite brune aux cheveux courts, elle a de grands yeux verts clairs et la peau si pâle que je n’arrive pas à m’en détacher des yeux. Hilde me donne un coup de coude :

  • Adé, je te présente mon frère Tobias.
  • Enchantée Tobias et je suppose que ton amie s’appelle Sarra.
  • Tu es bien renseignée.
  • Non, en fait, c’est juste une intuition, j’ai lu l’ancien testament, la B1. Enchantée Sarra, tu me rappelles quelqu’un, on s’est déjà rencontrées ?
  • En quelque sorte, je suis une descendante de Hélène.
  • Fascinante.

Je lui prends le menton, je tourne un peu son visage et je vois une petite boucle d’oreille en forme de croix noire. Je réalise :

  • Je n’avais jamais rencontré une agente du service zéro du Réseau C. Vous existez donc vraiment.

Tobias réagit :

  • Sarra ? Tu ne me l’avais jamais dit que tu faisais partie du Réseau C. Je suppose que maman est au courant.
  • Tobias, je n’ai pas le droit de le dire ni même à voix haute. Je suis juste démasquée par une agente des services spéciaux du Vatican 4. Je ne savais pas que vous aviez décryptés les codes.
  • Quelques uns, mais on n’a toujours rien compris à votre hiérarchie et vos missions.

Gaby vient nous interrompre :

  • Assez parlé boulot, on passe à table.

On s’exécute mais en silence on arrive encore à échanger deux phrases :

  • Tu veux bien être mon contact pour le Vatican ?
  • O.K. si tu es le mien pour le réseau.

Pendant le repas, outre le menu, il n’est question de de sujets positifs et sociaux, une bonne ambiance de dimanche en famille. Il y a même du vin et Bang raconte quelques blagues qui sont sans doute des anecdotes réelles mais je n’ai d’yeux que pour Sarra sous le regard dépité d’Adé et inquiet de Tobias. Mais Sarra est ouverte à se laisser admirer, elle rougit même un peu, des scénario doivent lui traverser la tête. J’aime la douceur de ses mouvements, sa façon délicate de manger, je me demande quel goût à sa peau, je n’arrive plus à sentir son parfum d’ici, je suis trop loin.

Après le repas, je m’arrange pour être à côté d’elle sur la table de jeu pour une partie de cartes avec l’alcaloïde et l’alcool fort, pour digérer. Nos jambes se frôlent. J’ôte une chaussure pour lui caresser le mollet avec mon pied. Je vacille quand elle répond de même à mes assauts. Et puis on arrête de peur de se faire prendre. Le message est passé.

Mais on est des adultes. Je redeviens câline avec Hilde. Et Tobias veille.

Derrière la bâtisse il y a un petit parc privatif. Dans ce boulevard, ce sont donc de grandes bâtisses mitoyennes avec chacune son grand jardin. Il n’y a pas de côté cour. Ah si, on fond, il y a un grand mur avec des portails et devant une sorte d’esplanade avec quelques annexes. J’arrive à accaparer Sarra et on va s’asseoir sur le banc près de la fontaine.

  • Sur le terrain je me faisais appeler Phoebe, mon deuxième prénom. Toi, le choix est ciblé avec Tobias. Tu es vraiment de la famille d’Hélène ?
  • Ce n’est pas qu’un prénom professionnel, j’ai vraiment changé, c’est ce qu’on fait quand on s’engage. Je ne suis pas bien placée dans la hiérarchie, je suis juste sous contrat pour une mission. On nous laisse se faire repérer. C’est important, pour le renseignement. D’où ce choix de prénom pour la mission Tobias.
  • Où la cible est bien évidemment Gaby.
  • Absolument pas. On ne veut pas rentrer dans le jeu du renseignement de l’Ouest et son conseil de sa sécurité. Et ici on est à l’Est. On a notre propre histoire à écrire. La cible, c’est le professeur Bang. Quel est son vrai nom en fait ?
  • Ça commence par M. Et toi ?
  • Si tu veux connaître mon ancien nom, il suffit de demander à mon arrière grand-mère. Mais elle ne te le dira pas. Parce qu’il ne compte plus. Je suis Sarra et je resterai Sarra, même pour les autres missions.

On se relève pour rentrer en marchant. Je pensais que la conversation était fermée mais à mi chemin, sous un grand arbre qui nous lâche ses feuilles jaunes, elle me dit :

  • Avant tout ça, à l’école on m’appelait Hermione.
  • Tu es donc vraiment liée à Hélène. Tu es plus que son arrière petite fille.
  • Je suis Sarra, la Sarra de Tobias. Et toi ?
  • J’ai été l’Adé de quelques uns et de quelques unes. En ce moment, je suis aussi l’Adélaïde de Benjamin, le fils de Rachel, je suis sa préceptrice, dans tous les domaines. Hilde je l’ai rencontrée par l’intermédiaire de Greta, elle est dans son premier cercle, tout comme ta cible.

Et on rentre voir Big justement, il a dit qu’il avait des choses à nous faire fumer.

Ce fut une belle journée en famille, et une belle rencontre. Je laisse Hilde à la Caserne et je rentre au Couvent dans mes appartements. Une de mes sœurettes est là à m’attendre. La blonde des trois. À son regard coupable je devine que ce n’est pas une bonne nouvelle. Je la fais rentrer, je monte le chauffage, je prépare une boisson chaude aux épices de Noël et on s’installe confortablement pour parler.

  • Je l’ai fait, avec Benjamin. Et j’ai aimé ça. Lui aussi. Je te demande l’exclusivité S.

Quelle audace ! Elle a du cran. C’est une bonne et une belle petite. Ils vont bien ensemble. Je la rassure :

  • Sœur Scarlett, don’t worry, be happy. Profitez de votre bonheur. Faites le durer. C’est le vrai défi. Que le A devienne aussi éternel de que le I, et aussi intense que le S. Quoi qu’il arrive je ne te rejetterai jamais. Tu es ma Sœur, je suis ta Mère. On est liées pour l’éternité dans notre congrégation. L’éternité justement, elle nous donne droit à tout. Raconte moi ce que tu ressens.
  • Je le veux, à moi. J’en vibre. Plus fort que la Foi. Mais elle est toujours là. Mon Amour pour Benjamin est un plus. Il est venu par le S. J’ai sombré dans le I de sa jouissance en moi, pour moi. C’est arrivé d’un coup. J’ai eu envie de lui. Je l’ai préparé et je lui ai demandé de rentrer en moi. Doucement, jusqu’au fond où mon ventre a pris le relais. Des heures de caresses intimes, toute la nuit. Au matin j’avais l’impression qu’on était la même entité. On était devenu un couple.

Je la prends dans mes bras pour la féliciter, la réconforter, lui souhaiter le meilleur. Elle sent bon, elle sent le désir, elle sent l’Amour. Je l’embrasse sur le front. Sur ses joues salées de larmes, sur ses lèvres pulpeuses, tendrement, et on se met front contre front en fermant les yeux. On prie.

Il n’est plus à moi. Plus de Benjamin. I let him to Scar. Fini de jouer. Les choses rentrent dans l’ordre. Même Aline a perdu son Vincenzo. Il me reste la B4. Le Vatican 4. Ma Congrégation. Mes missions. Une famille, j’en ai déjà eu une, à moi. Mon Tim, mes enfants Eros et Titia. On a été heureux. Ils ne m’appartiennent plus aujourd’hui. Dans l’éternité, pour le plus important, rien n’est éternel, tout n’est qu’éphémère. Alors on coure dans cesse après un nouvel Amour, pour former un nouveau couple dans une nouvelle famille, une nouvelle vie. Quand je repense à mon premier couple, j’en ai bien bavé, avec Sophie. Et Patrice, j’ai dû le partager. Et maintenant, à l’autre bout d’un autre univers, me voilà à jouer avec les âmes. Ce n’est pas très sérieux ni mature. Même Hilde m’échappe en moins d’une journée. Hilde, avec qui je joue les Sophie, à regarder déjà ailleurs. Je suis partie pour un nouveau cycle, dans un autre rôle.

Je suis concentrée, je suis habillée, je suis prête à aller célébrer l’Office de ma Basilique. Dans ces moments là je suis un peu ailleurs, comme en méditation, comme dans une séance de yoga. Tout semble au ralenti autour de moi. Je me concentre sur ma respiration. Je révise mentalement ce que je vais dire. J’ouvre la porte et je la vois le bras en l’air, elle s’apprêtait à toquer. Hilde est venue me voir, mais ce n’est pas le bon moment. Pour moi elle est transparente et je suis mon chemin, le couloir qui m’amène à ma cérémonie. Je vois bien qu’elle est interloquée, qu’elle était venue jouer, qu’elle est impressionnée par mon attitude, ma droiture, le caractère sacré de tout ça, qu’elle ne fait pas partie de mon monde, que je ne suis pas n’importe qui, que je ne fais pas n’importe quoi. Son attitude change. Elle est intimidée. Je la perds un peu plus.

Après l’Office je vais la voir, elle lit sur mon visage et prend les devants :

  • C’est moi qui suit désolée, ma Mère. Je ne vais pas être à la hauteur, je ne vais pas être à ta hauteur. Je ne suis rien à côté de toi, spirituellement. En fait tu m’as déjà effacée, la Sarra du réseau C est tellement plus intéressante, plus belle, plus fragile, plus sensible que moi.
  • Tu as raison docteur Mat.

Ma phrase la souffle. Elle ne respire plus. Elle pleure.

  • Mais Sarra est prise, elle est avec ton frère Tobias. Et je ne peux pas lui enlever. Parce que je ne veux pas de problème avec ta mère ou avec ton père mais surtout je ne veux pas de problème avec toi parce que j’aimerais pour une fois avoir une relation solide qui n’est pas basé sur des illusions. Je sais, c’est mal parti. Mais donnons nous une seconde chance. Parce qu’on a besoin de toi.
  • On ?
  • Moi. Greta. Mona-Lisa. Toute ta famille. Tous notre communauté. Sylvania a besoin de toi. Je ne suis pas la seule ici à avoir un rôle dans cette impressionnante Basilique avec mon impressionnant passé, chaotique. Toi aussi Hilde. Accompagne moi. Laisse-moi t’accompagner.

Elle s’assoit. Elle réfléchit. Elle respire. Elle se redresse. Elle me fait face et elle annonce :

  • D’accord, je veux bien être ta compagne.
  • Compagne de la Congrégation de la Basilique de Sylvania, Hilde Mat, docteure en médecine ultra holistique, fille de Big et Gaby, sœur de Tobias (et belle sœur de la belle Sarra H.) accepte cet anneau.
  • C’est pas ce que je voulais dire. Remballe tes bondieuseries.

Et elle se jette sur moi pour me serrer dans ses bras.

  • Hilde, je vais devoir la voir en cachette, elle est mon contact pour le Réseau C et je suis le sien pour le Vatican 4.
  • J’ai grandi dans toutes vos histoires d’espionnage et de complot avec mes parents. Je veux autre chose. Laisse moi en dehors de tout ça. Je veux juste être avec la vraie toi. Alors cherche la, trouve la et ramène la moi.

Elle a raison. Je dois me retrouver. Je dois arrêter de me perdre. Ma tombe est au Village. Mais je suis devant elle, Hilde, l’aventure d’une nuit. Ou bien.

*

Elle n’est pas farouche. Ou alors motivée par sa mission.

  • Que pense Tobias de moi ?
  • Tu n’es pas une menace. Tu n’es qu’une fille.
  • Moi, Hilde me fait des scènes.
  • C’est que vous êtes un couple.
  • Tu crois ?
  • Nous, on ne fait que s’amuser, entre copines.

Et elle rit de la situation. On a pourtant rien fait. On s’est juste donné rendez-vous à la Brasserie. Notre rôle de contact n’est juste qu’un prétexte. Elle pose son monolithe sur le mien :

  • Voici quelques documents, vous y comprendrez un peu plus sur notre hiérarchie. En fait, ça les arrange. Le fait que vous les ayez, ça les officialise. Ils n’attendent rien en échange.
  • En fait, il faut que je te donne quelque chose. Mais pas ici.

On termine notre boisson chaude et sucrée et nos petits gâteaux secs. On s’en va, se promener, sous les arbres. En silence. Je l’observe. Tous ses mouvements. Ses réactions. Son amusement en regardant les grosses feuilles tomber. Elle s’émerveille. Elle rit.

  • Tu as l’air heureuse.

Elle me prend le bras :

  • Je me sens bien, là, avec toi.

On arrive près du kiosque à musique.

  • Là, c’est ici.

Je lui prend la main et on grimpe les marches. On se met au centre. Je ne vois personne à l’horizon. Je la tire vers moi et je l’embrasse sur la bouche. Mais c’est elle qui m’embrasse maintenant. Elle a l’air un peu honteuse. Mais elle jubile :

  • C’est ça que tu voulais me donner ?

Heureusement qu’on est à l’extérieur en public. Sinon…

Tous les jours on a nos petits rendez-vous, on construit nos secrets. Mais cette fois c’est dans une annexe discrète du Palace. Le message est clair. On va pouvoir se retrouver entre nous. Elle a l’air impatiente. J’espère que ça va bien se passer. Dès qu’elle m’aperçoit elle me fait signe de la suivre dans un long couloir. Elle entre dans une chambre et laisse la porte ouverte. Je m’arrête. Plein d’alarmes se mettent en route dans ma tête. Je regarde mes pieds. Je ne peux plus avancer. Je commence à instinctivement étudier les sorties du bâtiment. Je fais la liste des armes que j’ai dans mon sac. Elle ressort dans le couloir pour me faire signe mais elle comprend que quelque chose ne va pas. Elle s’approche de moi :

  • Ça va ?
  • Non, je ne peux pas te suivre dans cette chambre isolée. C’est le protocole. Je dois ressortir de ce couloir.
  • D’accord, je peux rester avec toi ?
  • Tu me suis ? Tu as laissé ton sac dans la chambre.
  • Tant pis.

On fait demi tour et on sort rapidement. Je l’emmène ailleurs, pas loin, en face, au Palace et on prend un ascenseur de service.

  • Et toi ? Tu n’as pas peur de me suivre ?
  • Je ne suis pas une cible.
  • C’est moi la proie ? Tu me chasses ?
  • J’ai des consignes claires. Je dois te séduire. C’est amusant, non ?
  • On va voir ça.

Elle rit parce qu’elle sait que c’est déjà fait. Cinquième étage, on est arrivées. Elle me suit dans le couloir jusqu’à la dernière porte qui s’ouvre automatiquement à mon approche. Elle se referme derrière nous. Je suis en terrain sécurisé. Je me détends. Elle aussi. Elle s’approche et elle se frotte à moi, doucement. Elle se libère, de ses vêtements, de son rôle, elle s’offre nue, à nu. Je plonge en elle et je ferme les yeux, je sens son parfum, elle enlève mes vêtements et elle me tire vers le lit.

En rentrant à la Congrégation, Scarlett m’attend. Elle a l’air de souffrir.

  • C’est Benjamin. J’ai dormi chez lui, dans son lit d’enfant. Il m’a prise par derrière, ça m’a fait mal.

Il a pourtant suivi toute la formation, il sait comment ne pas faire mal.

  • Ma pauvre petite Sœur, on va arranger ça. Je l’amène à la Caserne où je la confie à Hilde dans son cabinet. Elle ressort guérie, elle peut s’asseoir, elle ne boite plus. Secret médical.
  • Elle m’a donné une claque sur la fesse droite et un bisou sur la fesse gauche.

En fait, Hilde a supprimé la lésion, elle a ensuite fait un lavement et lui a montré ce qu’il avait seulement le droit de faire, avec sa bouche et avec ses doigts mais seulement en surface.

  • Scarlett, il ne faut pas en rester là. Benjamin doit être puni. Il a fait une erreur en connaissance de cause. À toi de trouver le châtiment. Ça permettra à ta relation avec lui à rester à égalité. Et même moins pour lui parce que c’est toujours ton élève.

On en termine, on attend pas sa réponse car Greta vient nous voir et on fait les présentations. Avant de repartir, j’entends Hilde dire en douce à Scarlett :

  • Si tu lui fais la même chose, ne l’amène pas ici, je ne fais pas les garçons.

Mais c’est à elle de décider et sur le chemin du retour on n’en parle pas. Mais :

  • Scarlett, je suis responsable de toi et je me sens responsable de ce qui est arrivé. Je ne l’ai pas assez bien initié apparemment. C’est ma faute. Nous les terriennes on n’est pas une bonne référence. Les garçons se défoulent en nous alors qu’avec les locales c’est beaucoup plus doux. Ne te laisse plus faire, par personne. Préserve toi. Sinon en cas de problème viens me voir. C’est bien que tu sois venue.

Je ne lui dit pas mais je suis d’accord avec Hilde. Œil pour œil, dent pour dent.

D’ailleurs quand je revois Benjamin au bilan d’initiation il n’a pas l’air dans son assiette. Il penche. Apparemment à la Clinique centrale ils ne sont pas aussi efficace qu’Hilde. Benjamin n’a pas l’air très content non plus de ses évaluations :

  • Mère supérieure je demande audience pour révision de mes notations. Moi aussi j’aurais aimé me tromper sur vous.

Sous-entendu c’est à toi que j’aurais dû faire du mal. Je m’approche de lui et je lui décroche la joue avec une énorme claque.

  • Éleve Benjamin, tu es viré, sur le champ. Et on brûlera toutes tes affaires en cellule.

La main sur sa joue il se redresse et ose :

  • C’est toi qui est virée. Je suis le fils de Rachel.
  • Alors on va la chasser aussi de sa ville, si elle cautionne tes actes.

Il part et on ne le reverra plus jamais. Il n’a même pas un regard pour Scarlett dans l’assistance. Une larme coule sur la joue de ma sœurette. Rachel est déjà au courant de tout. Il va être déporté sur l’île C.

Elle me reçoit à la Mairie :

  • Ah la la les enfants, les garçons surtout, c’est l’âge bête. Ils sont très inventifs pour vous décevoir. Vous avez un fils ?
  • Oui, Eros, sa sœur le canalise mais elle est pire que lui je crois.
  • Bref, Mère supérieure, je me sens coupable. Comment réparer ?
  • Ma sœurette s’en remettra. Mais on a échoué. On lui a donné tout notre Amour et ça n’a pas suffi.
  • Je lui ai donné toutes les chances et il ne les a pas saisies. Là, je n’ai plus d’idées. J’ai échoué. À lui de s’en sortir maintenant.

L’entretien est terminé. Elle me prend par l’épaule et m’entraîne en salle de réception où il y a une remise de prix techniques sur le fonctionnement de la ville.

  • Il n’y a que des garçons ?
  • J’espère le voir un jour ici.

C’est une fille en uniforme qui en remet un, elle a du style dans sa tenue de garçonne, ça lui va bien.

  • Sarra ?
  • Le réseau C vient de rentrer au conseil municipal.

Je regarde à droite et à gauche. Tobias est sûrement là, à surveiller.

  • Je suis là.

Derrière moi. Il me dit :

  • Elle m’a tout dit.
  • Elle a dit quoi ?
  • « Ne t’inquiète pas, ce n’est qu’une fille. »
  • Tu as de la chance d’être le fils de ton père, et de ta mère et le frère de ta sœur, sinon…

Il s’approche un peu plus.

  • Tu as raison Adélaïde. Je suis moi. Malgré ça, je sens, je sais que je l’ai perdue. Il n’y a pas de secret dans le I. On ne peut rien contre le A. Etc.

Ça y est, je comprends. Ce sont des slogans du réseau A. Elle n’était pas là pour Big ou pour Gaby.

  • Vous êtes son contact pour le réseau A. Quelle famille ! Et maintenant elle est à la Mairie.

Je rentre à la Caserne, j’ai peut-être ma place auprès de Hilde finalement. Greta est là.

  • Je viens d’apprendre pour… mais tu es sûrement déjà au courant.
  • Les alliances des réseaux, ici à l’Est, c’est plutôt simple. Je dois me coltiner tous ceux de l’Ouest au Conseil de Sécurité. J’ai l’impression d’être entre deux feux. Je ne cherche même plus à comprendre. Ne te formalise pas. Recentre toi, pense un peu à toi.
  • Justement Greta, je veux, je vais, faire l’Opération. Devenir une locale, une vraie. On n’est plus des terriennes. Je veux me connecter à mon homme.
  • Oui, pourquoi pas. On est des phénomènes de foire ici avec ces garçons lubriques qui veulent nous essayer. On devrait se mettre à niveau. Je ne te laisserai pas faire ça toute seule. Mais je dois d’abord accompagner Mona-Lisa.
  • L’Opération est simple. On se met dans un caisson. Et les ondes rectifient. On peut en faire venir un à la Clinique centrale. Merci de m’accompagner sur ce projet.
  • De rien. On a fait notre temps. J’ai bientôt 113 ans et toi ?
  • 120.

Du coup ma tombe prend tout son sens. Je suis en conversion. On doit se convertir. La Terre, c’est fini. Tu entends mes pensées ?

  • Oui. La Terre. Ma Terre. Il n’y a plus de vie. L’équilibre était plus fragile que prévu. Il y a eu un problème avec l’atmosphère. Et puis avec la pression. Et la pesanteur. Tout s’est évaporé. On est perdus dans l’espace. Définitivement. Loin, dans un autre univers. Là-bas, il fallait croire en Dieu. Ici, tout n’est plus qu’une légende.

Victor rentre, Hilde sort de ses appartements. Aurélie nous a laissé un colis. On va tous dîner ensemble.

Avec Scarlett, on est en face de lui, au pied de la navette qui va l’amener sur l’île C :

  • J’ai pris un avocat. Il a plaidé ma minorité. Je ne ferai pas perpétuité. Je reviendrai, m’excuser auprès de vous.

Scarlett est impassible. Il se retourne et il part. Je vois son avenir. Il va prier tous les jours, sans les compter. Quand on lui annoncera que c’est fini, il ne voudra pas revenir. Mais il vient de nous faire cette promesse. C’est ça qui va le ramener. On se regarde, on est tristes. On se prend par la main pour rentrer. Il n’y a pas de leçon à retenir de tout ça. On ne regrette rien.

*

  • Big, c’est toi qui lui a raconté.
  • Il le fallait bien.
  • Et aux pôles ?
  • Non.
  • Les stations ?
  • Celles d’Aurélie sont toujours là. Dans l’espace c’est le bazar.
  • Elle avait raison.
  • Oui.
  • La com.
  • La com ?
  • Avec les stations.
  • La plupart ont été évacuées.
  • La plupart. Greta est partie la dernière, juste au pied du mat de son Palais Royal.
  • Ils avaient une loc précise, c’était avant l’inversion des pôles et je ne sais quoi d’autre. Mais ça se mesure, ça se calcule.
  • Aurélie a les fréquences quantiques, pour la com.
  • Mais ça fait combien d’années ?
  • Trop.

Je regarde sur mon monolithe et je lui montre : 58 ans. Je le relance :

  • Il faut vérifier les âges. On a peut-être du 80+. Ou leur descendance.
  • Aurélie a arrêté de faire des rapports il y a bien longtemps. Personne n’a survécu. Il y a eu des tremblements de terre. Les stations ont cédé. Toute la croûte terrestre est devenu un puzzle sphère. Il n’y a plus aucune condition de vie.
  • Big, je veux juste un peu d’espoir même si il y en a pas, même si ça n’a pas de sens. C’est juste histoire d’être sûres de pouvoir dire adieu à notre civilisation. Greta et moi on va se convertir en locales. On doit faire taire les terriennes qui sont en nous. Fais-nous un dernier rapport sur la Terre.
  • Adé, je suis désolé, je ne veux pas te froisser mais je ne peux pas répondre à ta requête. Seule Greta peut me le demander. Tu ne peux pas parler en son nom.

Les bras m’en tombent. Je n’ai pas autorité. Je ne suis pas une autorité. J’ai juste des relations qui le sont. Et il est toujours l’astrophysicien attitré de Greta.

  • Très bien Big. Greta va te le demander. Et je vais aussi aller à la source le demander à Aurélie. Désormais lorsque j’aurai quelque chose à te demander, je le ferai par voie hiérarchique. Gaby. Hilde. Sarra ? Moi je ne suis qu’une Mère supérieure des services spéciaux du Vatican 4. Je ferai une prière pour toi. Et je regrette cette conversation. Je n’aurais pas du m’adresser à toi en amie.

Il me prend les bras parce que je suis prête à le gifler :

  • D’accord Adé. Tout doux. Je préfère me faire disputer par Greta plutôt que de me fâcher avec toi. Je vais faire ton rapport. Pour la MS des SS du V4 à la Basilique de Sylvania. Une voie officielle.
  • Merci Big. Ça fera de toi un contact occulte officiel du V4. Bienvenue dans l’Invisible.

*

Avant d’envoyer son rapport à Big, Aurélie vient me parler à la Congrégation.

  • Sympa le décor. Aline a déjà vu ? Ça lui rappelle des trucs ? C’est elle qui a reconstitué tout ça, non ?
  • Oui, mais elle ne s’en rappelle plus depuis la fusion.

On s’installe confortablement dans le petit salon avec des boissons chaudes. Elle n’est pas venu avec son fils. Il s’agit donc d’autre chose que nos petits jeux charnels.

  • Je vais envoyer un rapport à Big, sur les stations. Mais je viens te voir pour te rendre compte de la vérité. Officiellement, elles sont muettes. Mais en fait, elles répondent. Je préfère que ça ne se sache pas parce qu’il ne s’agit pas de mes agents. Tu as déjà entendu parler de la théorie des anciens astronautes ?
  • Les extra-terrestres ?
  • Ce n’est pas une théorie.
  • Je sais. Mais nous aussi on vient de Mars.
  • Nous, oui. Mais pas eux. Le pire, c’est qu’ils lancent des S.O.S. Non conformes bien-sûr. Big ne doit pas le savoir. Personne ne doit le savoir. Je ne veux pas que ça se termine en mission de sauvetage qui tourne mal comme dans les vieux films de science fiction. La Terre n’est plus qu’un piège menaçant. Ils ne peuvent pas nous rejoindre car la technologie de transit, elle vient d’ici. J’ai lancé l’autodestruction des stations mais ça n’a pas marché. Elles le sont sans doute déjà. Par sécurité, j’ai donc détruit les codes de transmission quantique. Tout ce que je te dis n’est donc plus vérifiable.
  • Et si leurs intentions étaient bonnes ?
  • Tu veux que je te fasse un résumé de l’histoire de l’Humanité ? Adé, on a perdu la planète A. On a perdu la planète B. Je veux bien qu’on perde la C, mais ce sera sans eux.
  • Greta. Elle est au courant.
  • Bien-sûr que oui. Je n’aurais jamais prise l’initiative seule. Et mon rôle à moi c’est aussi de nous faire subsister, sans menaces. Alice a pris un énorme risque en nous ramenant tous ici. Greta était la seule prévue au départ. Elle s’est portée garante pour nous tous. Et tout s’est bien passé.

*

  • Greta ?
  • Adé.
  • Comment as-tu réussi à convaincre Alice ?
  • Elle, moi, toute la civilisation ici, tout est de la main de Vivien Virein Volta. Il a été éliminé mais son œuvre lui a survécu. J’ai donc demandé à Alice de donner une seconde chance, à l’Humanité. Vous toutes et tous êtes notre seconde chance.
  • Et pour la conversion ? Est-ce que ça va tout changer ?
  • Non, ça va juste nous améliorer.
  • Et la fusion ?
  • Une simple loi de la physique, rubrique espace-temps, multivers combinatoire ou un truc du genre, une simple réaction des ondes immortelles, un artefact. On en a identifié que trois. Elles sont sous contrôle. Elles auront peut-être un jour leur utilité. On peut vivre avec cette inconnue. On doit faire confiance aux événements inexplicables. Tout n’est pas une menace. Et si c’en est une, il faut savoir prendre le risque, parce que ça vaut le coup. Parce qu’on a le contrôle de notre présent. On a tous ce pouvoir. Toi aussi tu prends ce genre de risque. Benjamin.
  • Tu rigoles ? Il était une erreur. Je me suis trompé. Il nous a trompé. Il a fait du mal à Scarlett.
  • Et vous prenez toutes le risque de le recroiser un jour. Confiance. Seconde chance.

Elle m’hypnotise. Elle met de l’Amour en moi. Et il entre, comme aspiré, parce que j’en suis vide. Je ne lutte pas.

  • Mais pour qui est cet Amour ?
  • Pour après la conversion. En attendant, Hilde va t’accompagner. De son Amour. De sa chaleur. De se baisers.

Et je la sens m’enlacer par derrière, je fonds en elle et elle me tire jusqu’à sa chambre où elle ferme la porte et claque des doigts pour me réveiller :

  • Adé ? Adé. Un peu de sérieux. Un peu de pleine conscience. De toi à moi, en dehors de Dieu, et de Greta aussi, de moi à toi, nous quoi.
  • Ça ne peux pas fonctionner.
  • Ah ça non. Impossible même. Aucune chance. Aucun risque.
  • Risque ?

Et elle m’embrasse. Je ferme les yeux. Elle me veut. Je succombe.

Le jour de la verrière nous réveille. On est sous la couette, nue l’une contre l’autre. Qu’est ce qu’on fait vraiment là ? Dans une Caserne de pompiers. Dans une chambre elle et moi. Chez Greta. Est-ce que ça a du sens ? Elle m’embrasse dans le cou pour me dire bonjour. Je laisse ma main descendre entre ses fesses. Elle se tortille sur moi. Oui, ça a du sens. L’instant présent.

*

Une rivière traverse la ville. C’est là qu’habite Hilde. Sur une péniche. Dans une péniche. Qu’elle est toujours en train de déplacer. Aujourd’hui elle s’est amarrée à proximité du marché couvert. Je l’accompagne avec une carriole. Il fait froid et humide mais elle a bien habillée avec le bisou à la fin et elle me tient par la main. Je suis là, silencieuse, j’observe sa façon de bouger, de regarder, de choisir les légumes. Régulièrement elle me regarde, elle me surveille, elle s’occupe de moi. On rentre préparer le repas. Une marmite bouillonne, ça sent bon. Elle a gardé son foulard qui cache sa nouvelle coiffure. Des cheveux lisses aux couleurs de l’automne.

  • Mais en fait, c’est quoi ta vraie couleur.

Elle s’interrompt. Ma question l’interpelle. Elle cherche un double sens. Et elle répond :

  • Tu le sais très bien. J’en ai gardé un échantillon. En bas. Allez viens m’aider au lieu de rêver.
  • Je ne rêve pas, je t’admire. Je t’intègre dans mes pensées, mon esprit, mon âme.

Elle pose son couteau, elle est vexée.

  • Et dans ton cœur ? Il reste de la place ou bien ?

Je me lève pour l’aider mais en fait je l’enlace et je l’embrasse. Mais elle résiste :

  • Bas les pattes, pas de devoir conjugal avant la tombée de la nuit.

Elle aime bien me parler comme ça. Elle me dit en fait qu’elle me veut, entièrement. Des messages à indice. Je l’embrasse sur la joue à chaque fois que je comprends.

  • Tu sens tellement bon. Ce n’est pas que ta soupe.
  • Si, c’est la souple de désir pour toi qui suinte entre mes cuisses. Tout à l’heure, pour me remercier de toutes ces attentions que j’ai pour toi, je vais m’asseoir sur ton visage et tu pourras y goûter aussi. Tiens, goutte celle-là pour commencer. J’ouvre la bouche et elle souffle dans une cuiller avant de la mettre doucement dans ma bouche et la retirer avec un sourire et ses beaux yeux bleus interrogateurs.
  • C’est bon. Ce n’est pas sucré pour une fois. Et ce n’est pas salé.
  • Sans artifice Adé, comme mon Amour pour toi.

J’en ai les larmes aux yeux. Je me sens aimée. Ça faisait si longtemps. En fait, personne ne m’a jamais aimée comme ça. Si. Ça y est, je me rappelle. Maman.

*

Les Dimanche après-midi en famille chez le professeur Bang. Un nid d’espions en zone franche. Je crois qu’il n’y a que Hilde qui ne trempe pas dans le renseignement, à part son secret médical. Mais ici plus de question étranges et de réponses flou. Même avec Tobias c’est moins tendu. Et je m’efforce de ne pas trop me perdre dans le regard de Sarra. Elle est mon Belzébuth, la tentation à l’état pur. Je dois être forte, l’affronter, surmonter mes sentiments. Et cette force je la tire de Hilde. De son Amour pour moi. Et qui sait, de mon Amour pour elle ? Bref, juste un bon repas, une bonne ambiance, un nouveau jeu de société et la promenade dans le jardin. Mais cet après-midi Big a prévu une activité. Du tir à l’arc. Il est l’arbitre. C’est une compétition. Il compte les points. C’est pour ça qu’il n’arrêtait pas de me servir du vin. On fait de notre mieux. Et tout d’un coup une flèche arrive en plein centre de la cible. Big la bouche bée en lâche son sifflet. On se retourne pour voir qui a tiré. C’est Gaby. Big en est tout émoustillé. Je vais le voir pour avoir son commentaire :

  • C’est ma dulcinée.
  • Big, je ne sais pas si je peux faire mieux. Ton truc c’est plus dur que l’arbalète. Au moins, en formation au Vatican, on avait un appui. On était plus stable.
  • L’arbalète ? C’était pas interdit par la religion ?
  • Justement.
  • Adé, je ne t’ai jamais rien demandé mais là, fais de ton mieux, donne tout.

Et j’entends mon instructeur des services spéciaux me crier d’ici : « Si on a pas tout donné, on a rien donné ! ». J’inspire, j’expire. Je me mets en position. Je vise, je ferme les yeux et je me concentre sur les murmures du passé du même instructeur qui me chuchotait : « Laisse partir la flèche, entre deux battements de cœur. » . Pas la peine de rouvrir les yeux. L’Invisible est avec moi. J’inspire, j’expire à moitié et j’écoute mon âme, mon esprit et entre deux pulsation je lâche la corde et j’ouvre les yeux. La flèche parfaite de Gaby est pulvérisée par la mienne. Je me retourne pour croiser le regard de Gaby et je lui dis :

  • Je viens de la Terre. J’étais mortelle. Je suis des services spéciaux du Vatican 4, 3, 2, 1 et avec mon pouce et mon index je lui fais un zéro.

Elle baisse la tête, elle s’incline. J’ai gagné. Je vais la voir et je lui dis :

  • C’est toi la meilleure Gaby. Moi j’ai triché, j’ai fermé les yeux et je me suis laissée guider par l’Invisible.

*

Hilde ouvre une armoire métallique de son cabinet à la Caserne. Elle prend une mallette grise et la pose sur la table.

  • J’ai récupéré un prototype qui avait été conçu pour Brigitte. Elle l’a utilisé avec Izzy. Et tu sais ce que ça a donné ?
  • Sabine.
  • Oui, ça n’aurait jamais du arriver. Brigitte à l’époque était avec Simone, elles l’ont utilisé pour que Simone fasse Boris.

Elle ouvre la mallette. C’est un tuyau transparent. Elle continue :

  • À l’époque il était unilatéral. Ça ne marchait que dans un sens. C’est pour ça qu’elles n’ont pas pu les faire en même temps, Boris et Sabine. Brigitte est allé jouer avec, avec Izzy, dans le sens qui va bien et quand elle l’a fait avec Simone il était déjà trop tard. Bri était fécondée par Izzy pour avoir Sabine. Quelle histoire, hein ? Depuis il a été modifié. Il est bilatéral mais on peut le débrayer et choisir le sens. Malheureusement, il n’est pas conçu pour toi et moi. Nos anatomies sont différentes. Mais si tu veux, après ta conversion, on pourrait l’essayer ?
  • Hilde, tu me demandes d’avoir un enfant avec toi ?
  • Deux. En même temps. Un dans ton ventre, un dans le mien. Pour la science. Il faudra bien valider la conversion !
  • Pour la science ?
  • Et pour moi aussi. Adé, je t’aime. Je veux ton bébé en moi. Je te veux pour l’éternité dans ma descendance. Avec mon enfant de toi, je t’aurai pour l’éternité, quoi qu’il arrive ensuite, parce que les couples ne durent pas aussi longtemps. Mais notre histoire, avec un enfant, sera éternelle.

Je la serre dans mes bras. C’est la plus belle déclaration qu’on m’a faite. Comment refuser ? Je regarde la mallette. Je la regarde :

  • Je veux bien t’avoir en moi et je veux bien être en toi. Je le veux. Parce que j’ai réalisé une chose, sur la péniche, en te regardant préparer la soupe, nue sous ton tablier. Avec tes bottes et ton foulard.
  • Quoi ?
  • Je t’aime.

On referme la mallette et on la range précieusement dans l’armoire forte. Maintenant on est lié. Maintenant on a un projet. Maintenant on est un couple, on est nous.

*

Je repense à la mallette et à l’histoire de Sabine. Déjà sur Terre, 10% des pères officiels n’étaient pas les bons. Et le mien, l’était-il vraiment ? Mais tout ça c’est fini. Perdu dans l’oubli. Au diable le passé. Je vais à la joaillerie du centre ville. Je donne un dessin pour une commande. Et je vais à la Basilique me préparer pour l’Office. On a de plus en plus de monde. Il fait chaud et sec. On chante. Je raconte des choses philosophiques. Ça plaît. Surtout que ça ne dure pas longtemps. C’est comme une pause temporelle dans la journée de tout le monde. Cette ville a besoin de respirer, spirituellement. J’ai tant de textes au choix pour mon homélie. Il y en a un sur la maternité. Je vais pouvoir parler de moi, de ma mère, de mes enfants. Inspirer. Expirer.

*

Mes sœurettes viennent me voir. Scarlett prend la parole :

  • C’était très beau. Et ça donne à réfléchir.
  • Merci. Vous verrez, vous serez bientôt prêtes à officier aussi.
  • Justement, après enquête, nous ferions mieux de repousser l’horaire. Beaucoup de monde du quartier des bureaux souhaiterait venir au moment de leur pause.
  • Les gens des bureaux. Mais bien-sûr. Qui plus qu’eux auraient besoin de croire ?

Les sœurettes gloussent.

  • Je programme donc les nouveaux horaires.

Elles vont pour partir mais je les retiens :

  • Mes Sœurs ? Dans mon sermon je pensais aussi à vous. Vous êtes mes filles, vous m’appelez Mère. Ne l’oubliez jamais. Je serai toujours là pour vous.

Mais je me pose des questions. L’Amour de Hilde pour moi, notre projet, ça fait remonter des souvenirs à la surface.

*

Hilde prépare le dîner dans la nuit de la rivière. La ville paraît tellement haute autour de nous, elle en impose. Sur la péniche, c’est comme si on flottait entre deux mondes.

  • Je pourrais en parler à Lisa, mais je trouve ça plus logique d’en discuter avec toi.

Elle baisse le feu sous les gamelles et vient s’asseoir en face de moi. Je lui ai préparé une eau pétillante très sucrée, avec une surprise au fond, cachée par les morceaux d’agrumes.

  • Depuis que je t’aime, des souvenirs de ma mère me reviennent. Des sensations, des impressions. Et notre projet fait remonter des angoisses qui n’existent plus. Sur Terre je n’arrivais pas à avoir d’enfant. J’ai été victime d’un virus de la sixième extinction de masse. J’étais enceinte. J’ai perdu le bébé. Lisa m’a sauvée. Je commence à oublier toutes ces années de fin du monde, de survie. Les souvenirs s’effacent. Et c’est tant mieux. Ils ne sont pas très bons. Ici on devient quelqu’un d’autre, notre corps, notre esprit, notre âme, tout. C’en est fini de la Terre. C’en est fini de la mortalité. Des fois je pense qu’on est tous vraiment morts et qu’on est au Paradis, surtout quand l’Amour m’envahit et avec toi c’est une grande vague de bonheur qui me lave et efface le malheur même dans mes souvenirs.

Elle me prend la main et sourit. Elle termine son verre et entend un cliquetis au fond. Elle regarde. Elle y voit quelque chose de suspect. Elle l’enlève avec une fourchette et remonte une chaîne avec un médaillon. Il est en forme de valise et il y a un cœur rouge dessus.

  • Avec cette mallette, je t’intègre dans mon cœur.

Elle y regarde plus près.

  • Il y a un A sur le cœur.
  • Retourne.

Il y a aussi un cœur rouge de l’autre côté, avec un H.

  • Laisse-moi deviner. Amour et Haine ?
  • Très drôle.

Et elle m’embrasse pour me remercier. Elle a l’air vraiment contente, et heureuse. Moi aussi.

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