Chapitre 12

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Chapitre 12


    Me voilà arrivée à mon baraquement. Il fait déjà nuit et la température commence à baisser.

    Je suis encore en vie. Je n'arrive pas à y croire. Je me demande encore pourquoi il m'a laissé en vie. D'autres de ses chers compatriotes n'auraient pas hésité un seul instant à me faire éclater la cervelle.

    Lui non. Pourquoi ? Probablement pour jouer avec mes nerfs.
    " Il est étrange."

    Fixateur me pousse vers mes "camarades" et s'en va sans se retourner. 

    J'ai encore des larmes qui ruissellent sur mes joues.

    Autour de moi, je vois certaines femmes se balader dans le camp. Seule, par deux ou par trois.

    Je n'ai pas envie de rentrer dans notre taudis. Même si j'ai froid, je préfère rester dehors. Je m'assois sur un banc et lève les yeux au ciel. Il n'y a aucune étoile. C'est triste. Je prends une grosse bouffée d'oxygène.

" Tiens, quelque chose a changé. "

    Je ne sens plus l'odeur de cadavres alors que les cheminées marchent toujours. Je désespère car il est évident qu'au bout d'un jour et demi, mon corps s'est habitué à cette odeur immonde. C'est fou ce que notre esprit est capable de faire à notre insu.

    - Bonsoir, je peux me joindre à toi ?

    "Oh ! Une voix douce et frêle."

    Je baisse les yeux et devant moi, une femme se tient debout. Elle me sourit du coin des lèvres. Elle est fatiguée. Ça se voit.

    - Oui bien sûr.

    Elle se pose à côté de moi.

    "Enfin une compagnie, une présence amicale."

    - Je m’appelais Jessica avant de devenir L-115713.

    - Moi c'est L-120183, enchantée.

    Je ne veux pas lui dire mon prénom. Je ne sais pas pourquoi. Pour me protéger sans doute.

    - Pas trop dur ta première journée ? Je sais que ma question est stupide. Engager la conversation dans cet endroit est compliqué.

    - Je comprends et je ne t'en veux pas. J'ai survécu, c'est déjà ça. D'autres n'ont pas eu cette chance.

    - Cette chance ? Tu sauras qu'il vaut mieux parfois mourir que survivre dans cet enfer. Ce n'est pas une chance, mais une libération.

    - Depuis combien de temps tu es là ?

    - Je ne sais pas. Je n'ai plus la notion du temps. Tout ce que je peux te dire, c'est qu'ils sont venus me chercher le 12 juillet, le jour de mon anniversaire. Je fêtais mes vingt-deux ans.

    - Ils nous ont attrapé mon père et moi le matin du 21 octobre. Nous sommes le 22 aujourd'hui.

    - Cela fait plus de trois mois... Oh Seigneur... Je suis dans cet enfer depuis  plus de trois mois... Je n'arrive pas à croire que j'ai survécu aussi longtemps. Avec tout le travail qu'ils nous obligent à faire, le peu de nourriture qu'ils nous donnent et les maladies qui rôdent... Je pensais survivre un mois maximum. En plus, ils nous exécutent parfois sans raison.

    Je n'ose plus rien ajouter à ses dires. Je n'ai même plus envie de parler. Je veux partir. Partir loin d'ici.

    - Bon, je vais te laisser. Demain s'annonce encore dur pour nous. Ils vont nous réveiller aux aurores, nous obliger à rester debout dans un froid glacial jusqu'à sept heures.

    - Ah bon ? Ils font ça aussi ?

   - Ma pauvre... Tu n'imagines pas. Je ne saurais même pas par quoi commencer tellement ils nous font subir de trucs. Tu as de la chance pour le moment, tu es au tri. Mais quand ils en auront marre de voir ta tête, ils te mettront au travail forcé. Et là...

    - ... je n'ai pas envie de connaitre la suite.

    J'entends un tir provenir du camp des hommes.

    - Encore un mort, me dit-elle. Une habitude que tu devras prendre.

    - J'ai déjà commencé à la prendre malheureusement.

    - C'est encore ces pauvres Sonderkommandos qui vont nettoyer leur sale boulot à ces connards.

    " Elle est colère !"

     - Les quoi ?

   - Les Sonderkommandos. Ce sont des unités de travail composées uniquement de prisonniers juifs. Ils ont pour but de nettoyer le camp de tous les morts. Ils les emmènent dans les fours crématoires ou dans les fosses. Ils sont parfois forcés d'achever leurs compatriotes juifs. Il participe à la Solution Finale, qui consiste à exterminer tous les juifs.

    "Mais quelle horreur !"

    - Tu devrais aller dormir.

    Après tout ce qu'elle vient de me dire, comment peut-elle espérer que je dorme ? C'est impossible.

    Elle se lève et va dans le baraquement.

    - Attends, lui demandé-je. J'ai besoin d'aller... faire mes...

    - Les toilettes sont au bout du camp. Un conseil, ne reste pas longtemps sinon, tu risques d'attraper un typhus ou un truc du genre.

    A ces mots, je me bloque, hésitant entre y aller ou pas. Mais j'ai une grosse envie.

    Je fonce.

    Je traverse le camps où j’aperçois de nombreuses femmes encore dehors, en train de discuter ou de pleurer. Je fonce tête baissée. J'ai trop envie...

    J'arrive devant... une sorte d'écurie.

    J'entre. Je vomis.

    " Bon..."

    Ça pue les excréments. Je me bouche le nez et la bouche pour retenir ma prochaine régurgitation.

    Le sol est jonché de terre humide. Au milieu, il y a un morceau de tôle long de plusieurs mètres, dans lequel il a plusieurs trous d'environs cinquante centimètres de diamètre. 

    Pour faire sa petite ou sa grosse affaire, il faut s'asseoir sur ces trous et nous laisser aller. Je n'ose pas mettre mes fesses dessus. Comme me l'a dit Jessica, je risque d'attraper la mort. Je pose donc mes mains de part et d'autre du trou et me soulève à l'aide de mes bras. Mais quelle horreur ! Les trous sont pleins !

Je décide finalement de ne pas rester ici. Ça m'a coupé l'envie.

Je sors.

"Punaise, si j'ai envie..."

    Je rerentre.

    Je pousse sur mes bras et me laisse aller, sans penser à où je fais mon affaire. Je remonte mon pantalon dare-dare, sans m'être essuyée car pas de papiers forcément, et je cours hors de cet endroit délabré et empesté par l'odeur de merde. (Et le terme est faible).

    J'entends quelqu'un venir. Mon premier réflexe est de me cacher. J'avais peur que ce soit un Allemand. J'attends que ce quelqu'un parte. Mais il ne part pas. J'entends les gémissement d'une femme, puis la voix d'un Allemand. Je tends un œil pour observer ce qui se passe.

    "Oh merde..."

    Il la viole contre le mur des toilettes.

    Je mets mes mains devant ma bouche pour ne pas me faire entendre et je pleure.

    La femme pleure aussi. Ce sale nazi prend son pied. Il a la hargne. Elle continue de pleurer. Il lui hurle dessus. Je ne comprends pas ce qu'il dit.

    Ça dure et ça dure... C'est horrible. J'entends et j'arrive presque à ressentir ce que subit cette femme.

    "Boum !"

    Un tir. Il l'a tuée.

    Je l'entends partir. Je penche de nouveau ma tête. Je la vois. Elle est étendue au sol, à moitié nue. J'avance vers elle machinalement. Elle a les yeux larmoyants et le regard apeuré.

    - Tu devrais partir.

  Je me retourne rapidement. C'est un prisonnier juif. Un Sonderkommando.

    - Il l'a...

    - Je ne veux pas savoir ce qu'il lui a fait... Va-t-en sinon, tu risques de subir le même sort.

    Il la prend dans ses bras et s'en va.

    Je retourne à mon baraquement en courant.

    J'entre et me mets à ma place. Elle est vide. Mes voisines ne reviendront plus. Je n'ai plus de couverture. Les autres filles ont dû me la prendre.

    Jessica vient vers moi. Elle ne dort toujours pas.

    - Je peux dormir à côté de toi ? J'ai une couverture si tu veux.

    - Bien sûr, viens.

    Sa présence me rassure, me réchauffe. Elle se colle à moi et nous met la couverture.

    Certaines filles continuent de discuter dans leur lit pendant ce temps.

    

    Je crois que Jessica dort maintenant. Moi non.

   Je pense encore aux toilettes, au fait que je suis affreusement sale, au pistolet pointé sur ma tempe et à la pauvre femme morte violée.

    Comme je suis mal..., comme j'ai mal...

    Encore une nuit qui promet d'être longue et mouvementée.






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