Chapitre 3

3 minutes de lecture

                        Chapitre 3


Octobre 1944

 

    Cela faisait dix jours que je ne dormais plus. Dix jours que mes yeux pleuraient le départ de mon frère et de ma mère. Dix jours passés aux côtés d'un homme qui, secrètement, pleurait aussi le départ de son fils et de sa femme.

    " Nous allons nous en sortir, tu verras."
    " Pfff papa..."

    Souvenir, souvenir...

    Mon père essayait tant bien que mal de me rassurer, mais je n'étais pas dupe. Je savais qu'il me voyait encore comme un bébé. Un bébé que l'on veut protéger du mal. Malheureusement, ce mal était déjà parmi nous, et ce, depuis bien longtemps.

    Je me rappelle encore de ce mardi. Mon père était venu dans ma chambre pour me demander d'aller me balader avec lui, histoire de prendre l'air. Comme vous pouvez sûrement vous en douter, rester enfermer dix jours, sans aérer, sans quasiment rien manger, à ne rien à faire mis à part pleurer, ça n'avait pas que du bon.  Même si je n'avais pas envie de voir tous ces nazis arpenter nos trottoirs et nos rues, je ne pouvais pas refuser un tête-à-tête à mon père.

    J'ai donc attrapé mon vieux manteau noir pendu à la patère, je l'ai enfilé, "oh! il est un peu court au niveau des bras", mis un bonnet et une écharpe, (oui, ce jour-là, il faisait froid) et chaussé mes trotteurs "pfff ils sont trop justes". J'aurais tant aimé refaire ma garde-robe pour cet hiver...

    Une fois tous deux vêtus comme des bibendums, nous sommes sortis, avec une légère appréhension quand même.

    Je me souviendrai toujours de cette journée.

    A peine avions-nous mis le nez dehors qu'une odeur de mort nous avait pris à la gorge. Quelle horreur ! C'était pire que la dernière fois où ma m..." oh ma petite maman... " ma mère et moi sommes allées faire du troc pour de la nourriture.

     C'était abominable.

     Plus on essayait de la fuir, plus cette odeur pestilentielle se rapprochait de nous. Et là, avec mon père, nous avons vu une camionnette allemande débarquer devant nous.

    - Oh non, c'est pour nous cette fois papa !

    Mais heureusement, non. Pas pour cette fois. Ouf ! Elle a continué son chemin sur quelques mètres, avant de s'arrêter devant une rue isolée entre deux immeuble, et dont l'accès avait été condamné par un mur de brique. Seule une petite porte permettait de passer de l'autre côté. Mais, bien évidemment, elle était gardée par ces sales nazis.

    Mon père et moi étions sur le qui-vive. Pour ne pas se faire repérer, nous nous sommes accroupis derrière une voiture polonaise et avons épié la scène.

    Oh mon Dieu...

    Des Allemands derrière le mur ont ouvert la porte. Des juifs cadavériques en sont sortis un à un.

    Un ghetto.

    C'était donc vrai. Les ghettos existaient. Une infime partie en moi espérait que ce soit une rumeur. J'avais tellement espéré...

    Il y avait une dizaine de SS devant le ghetto, faisant sortir ces pauvres morts-vivants juifs. Sans comprendre pourquoi, l'un des SS a mis un juif à part des autres. Il a commencé par se moquer de lui, à le traiter de "Hund" de "Dreckiger Jude" (comprenez par là "sale juif"), puis, sans raison, il s'est mis à le frapper. D'abord des petites gifles, puis des claques, des baffes, des coups de poings et de pieds... Mon père m'a caché les yeux pour que je n'assiste pas à la scène. Mais mes oreilles savaient très bien interpréter les sons. Je l'entends encore dans ma tête, ce pauvre juif, en train de supplier ce sale boche d'arrêter. Mais les coups ont continué de résonner, comme un coup de poignard dans mon cœur. Une envie de vomir m'est monté à la gorge. J'ai mis ma main devant ma bouche pour me retenir.

    - Il faut partir ma puce, avant que l'on nous trouve.

    J'ai secoué la tête pour montrer mon accord. D'ailleurs, je n'entendais plus le juif battu. J'ai risqué un coup d’œil pour voir ce que ces assassins faisaient. "Han ! " Une vingtaine (plus ou moins, je ne sais plus) de juifs étaient alignés, des fusils braqués sur eux.

    Une exécution.

     - Feuer !

    Je me suis bouchée les oreilles tellement les tirs des fusils étaient bruyants. Mon père me serrait tellement fort que lui aussi aurait presque pu me tuer par asphyxie. Puis, dans la spirale de la peur, il m'a tirée par la main et m'a entrainée avec lui dans sa course aussi loin que possible de ce carnage. Curieuse de nature, je n'ai pas pu m'empêcher de me retourner. Tout en continuant de courir, j’apercevais la scène macabre s'éloigner de moi.
    - Halt !

    "Oh non."

    Trois SS. L'un m'a attrapée par les cheveux pour m'emmener avec lui je ne sais où, tandis que les deux autres frappaient mon père avec violence avant de le conduite en direction du ghetto où quelques minutes plus tôt, des juifs se faisaient lâchement exécuter.


Annotations

Vous aimez lire Lindsay Bourgeois ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0