Mardi 6 octobre, 15h.

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J'ai décidé de me faire passer pour malade à l'hôpital. Il faut vraiment que j'aie une conversation avec Ma' immédiatement. J'ai choisi de la laisser tranquille tout l'après-midi, mais là, ça devient urgent. Je finis par la trouver non loin de la maison, assise sous un palmier, en train de pleurer. Je m'approche doucement.

  • Ma... Marie ? Je dis avec hésitation.

Elle relève vers moi ses grands yeux tristes.

  • Quoi ? Tu veux encore me ridiculiser ?
  • C'est jamais ce que j'ai voulu, tu le sais très bien. Mais c'est juste que je comprends pas... Comment tu l'as su. Je sais que je remue le couteau et... Mais on avait vraiment rien fait, alors tu pouvais pas le savoir.
  • J'ai trouvé du rouge à lèvre et un parfum de fille sur une de tes chemises, elle souffle en regardant l'horizon, puis elle reniffle un peu.

Putain.

  • C'est Kelly, je comprends d'un coup.

Elle relève des yeux pleins de colère sur moi.

  • Parce que tu m'as AUSSI trompé avec une fille ? Tu voulais tester, savoir ce que tu préfères ?! son ton recommence à monter, alors je me dépêche de rectifier.
  • Non, Kelly, c'est une fille avec qui Aiden a couché. C'est sa chemise... Elle est pas à moi.

Je me rends compte de ce que j'ai fait. Des aveux qui ne sont pas les miens, sur bases d'indices qui ne m'appartiennent pas. Je me sens con. J'aurais vraiment dû insister sur la raison de ses doutes.

Elle ouvre la bouche, puis la referme, incrédule. Elle commence à avoir un rire nerveux.

  • Alors tu me l'aurais jamais dit, hein. Comme une conne j'ai cru à des trucs faux, je m'attendais à ce que tu m'aies trompée, je m'étais même dit que je pourrais te pardonner. Et là tu me sors un truc encore pire que j'aurais préféré ne jamais avoir entendu. C'est ridicule, tellement ridicule.

Elle rit encore un peu, mais ses yeux pleurent et la douleur s'y lit.

  • Je suis vraiment désolé, Ma'. Je comprends pas non plus... Je sais pas... Je me connais plus. Depuis que je suis ici, je sais plus qui je suis. Et chaque jour je m'en veux de ressentir des trucs pareils et j'essaie de les ignorer. Mais c'est plus possible... Et il fallait que tu le saches.
  • Je vais partir. Je peux plus rester ici. Je monte dans le prochain vol, et en attendant j'irai dans un hôtel. Je veux plus te voir, Jay, elle me dit d'un ton calme mais déterminé.
  • Je comprends. Je voulais pas... Que ça se finisse comme ça. Je sais que je devrais même pas le dire maintenant, mais j'espère qu'un jour tu me pardonneras... Que tu comprendras que c'était pas un choix.

Je suis encore choqué qu'elle l'ait appris d'une façon si brutale, de ma part, sans même qu'elle ait pu s'y attendre. Mais je suis soulagé qu'elle sache enfin, un poids énorme s'envole de ma poitrine. Je peux à nouveau respirer. Elle a mal, elle souffre comme jamais, et moi aussi j'ai un pincement au coeur. J'aime pas la voir comme ça. Je l'aime d'un amour différent, mais je l'aime quand même.

Elle devait le savoir. C'était pas la meilleure des façons mais c'était nécessaire. Je n'aurai plus à lui mentir en la regardant dans les yeux, plus à faire semblant d'être quelqu'un d'autre. Je me sens libéré, complètement libéré. A partir d'aujourd'hui, je vais enfin pouvoir être moi-même, qu'importe ce que ça a coûté.


Mardi 6 octobre, 20h.

Elle est partie. Elle n'a rien dit à nos parents, juste qu'on avait rompu, qu'on n'avait pas su tenir la distance et qu'on avait tous les deux trop changé. En à peine un mois et demi... C'est une fille bien. Elle n'a pas foutu le bordel, elle aurait pu, pour se venger. Je l'aurais peut-être fait, à sa place. Sûrement, même.

Aiden n'est pas encore rentré. Il est peut-être avec des amis... Il est parti travailler ce matin, lui. On ne pouvait pas rester tous les deux, et de toute façon ça n'aurait pas été vraiment génial qu'il reste avec Marie dans les parages.

Moi, je ronge mon frein. Je suis chez moi. Je ne parle plus à Matt, je ne peux pas le dire à mon père, je n'ai personne à qui expliquer ce qui m'arrive... À qui parler, simplement. Et ça me pèse. Je n'ai qu'Aiden, mais même avec lui je ne sais toujours pas où j'en suis. Et en plus, il n'est pas là. Il faut que je me confie...

Je décide de partir faire un tour. Je profite des derniers rayons de soleil. Je n'ai pas mangé, je n'ai pas faim de toute façon, je ne peux rien avaler. J'ai envie de croiser une personne que je ne connais pas, qui soit ouverte d'esprit et qui m'écoute jusqu'au bout. J'ai envie de balancer tous mes ressentis, toutes mes pensées, qu'on me dise que je suis con, et qu'on me comprend, et que j'ai fait de mauvais choix mais qu'au final ça devait être comme ça. Tant que personne ne me le dit clairement, j'aurai beau le penser cent fois, je ne pourrai pas y croire.

Alors je marche, pieds nus, en réfléchissant à ces derniers jours et à l'influence qu'ils auront sur les prochains. En pensant à tout ça, je me rends compte que j'arrive dans un coin apparemment fréquenté par les jeunes de l'île. Je ne veux pas trop m'approcher d'eux, je n'ai pas envie de me mêler à une foule d'inconnus. Je longe la place en regardant devant moi, par terre. Je recommence à me perdre dans mes pensées.

  • Jay !

Quelqu'un m'appelle. D'abord je pense avoir mal entendu, mais je vois quelqu'un se détacher du groupe et me rejoindre en trottinant. Je ne le reconnais pas tout de suite. Il faut dire que je ne l'ai vu qu'une fois il y a deux semaines, et que je n'ai pas été très longtemps dans mon état normal.

  • Andrew ! je dis avec un sourire.

C'est avec lui que j'ai bu un peu au bal de médecine, et avec qui j'ai discuté un petit moment.

  • Tu vas bien ? Ça fait longtemps ! Je savais pas que tu vivais sur cette île, il me dit en suivant mon pas, marchant à côté de moi.
  • Bah, si, tu vois... Je sors très peu ces temps, c'est pour ça, je réponds sans vraiment le regarder.
  • Tu viens d'emménager, non ? C'est à cause du changement ? Ça fiche un coup, hein ? Moi je suis là depuis un an et j'ai toujours du mal... Haha !

Je le regarde enfin, étonné. Il a pourtant l'air très bien intégré. C'est la première fois que je rencontre quelqu'un de "nouveau" comme moi.

  • Ouais, y a de ça.
  • Dis, je voulais savoir, tu es gay ? il me demande, en s'arrêtant.
  • Euh... Quoi ?

Je suis abasourdi par sa franchise, et je ne comprends pas pourquoi il me demande ça. Est-ce que tout à coup je suis devenu efféminé, en me levant ce matin ? Est-ce que quelqu'un l'a gravé sur mon visage ? Et pourquoi cette question, là, tout de suite ? Est-ce qu'il a senti que j'avais besoin de parler de ma foutue orientation sexuelle ?

Je le regarde en clignant des yeux, sourcils relevés.

  • Bah, au bal de médecine ça avait grave dégénéré... il se justifie. Tu t'en souviens pas ? T'avais beaucoup bu, il faut dire... Tu voulais pas me suivre quand je t'ai proposé de te raccompagner, tu te rappelles ? (Non, je ne m'en souviens pas du tout. Je le laisse continuer). Quand Aiden est arrivé, t'avais l'air hyper content de le voir... D'ailleurs, comment tu le connais ? (Il ne me laisse pas l'occasion de lui répondre et poursuit). Tu me diras plus tard. Tu lui as sauté dessus. Ensuite y a ces types qui sont arrivés et qui ont insulté la communauté gay... Tu te souviens vraiment pas ? il insiste.
  • Non, je m'en souviens vraiment pas, mais on m'a raconté... (Intéressant. Je vais enfin avoir une version externe). Dis-moi, il s'est passé quoi ensuite ?
  • Ben t'as collé ton poing dans la figure du type qui a lancé l'insulte et Aiden t'a tiré vers lui en te disant d'arrêter, que t'étais trop bourré pour ça... Il avait pas tort ! (Il a un rire léger. Il reprend). Tu lui as hurlé qu'il était trop mignon de s'inquiéter pour toi et tu lui as pincé les joues. T'aurais dû te souvenir de sa tête, c'était géant, je l'ai jamais vu comme ça ! Ensuite, c'est devenu n'importe quoi et tout le monde se tapait dessus. Franchement, tu te débrouillais bien ! Tu fais un sport de combat, non ? Tu me diras plus tard ! Et t'as disparu d'un coup avec lui. Fin de l'histoire, j'en sais pas plus. J'ai eu peur qu'on te retrouve noyé ou un truc comme ça ! Plus de signe de vie !

J'essaie de faire le point. Alors la version d'Aiden était la plus proche de la réalité. Je ne m'en souviens pas bien, mais je sais en tous cas que si on s'était embrassés, Andrew l'aurait mentionné... Non ? Surtout s'il se questionne sur ma sexualité ; c'est sûrement le premier truc qu'il m'aurait dit. Je me souviens vaguement aussi qu'Aiden m'ait parlé de lui avoir dit des trucs apparemment embarrassants. Ce que je ne comprends vraiment pas, c'est pourquoi Matt aurait inventé toute cette histoire de baiser ? Maintenant, je sais qu'ils ont eu une relation, mais ça aurait changé quoi si on s'était embrassés ? Il s'attendait peut-être à ce que je trouve ça dégoûtant et que je lâche l'affaire... Ça me semble le plus plausible, quelque part. Il serait jaloux de ma relation avec Aiden ? J'ai du mal à le saisir.

  • Je te remercie Andrew. Tu m'aides vraiment, j'avais pleins de doutes sur cette soirée, c'était pas clair. T'as illuminé un gros vide dans ma tête ! je dis en riant.
  • Et donc, Aiden et toi vous êtes un couple ou un truc comme ça ? Si c'est le cas, je dois quand même te prévenir qu'il est pas vraiment homo et qu'il se tape toujours pleins de filles, alors-
  • Non. On n'est pas en couple. Il fait ce qu'il veut. Son père et le mien sont juste de bons amis, je le connais comme ça.

Je ne sais pas ce qu'Andrew pense d'Aiden. Je ne veux pas qu'il sache qu'on vit ensemble, pour l'instant.

  • Ah, donc t'es pas gay ? il me demande encore une fois.
  • Si, je le suis.

C'est la première fois que je le pense et que je l'admets à voix haute. C'est la première fois que quelqu'un le sait, et je suis aussi surpris que lui par mes mots. Je suis vraiment enfin moi-même, alors. C'est tellement étrange, parce que j'ai mis du temps avant de penser que peut-être, ça pourrait être le cas. Et plus encore, à me voiler la face. Et puis c'était juste inimaginable ; enfin il faut dire que je ne me suis jamais vraiment posé la question avant. Et pourtant, c'est tellement simple, d'un coup, de l'admettre à voix haute. Je crois que le fait que j'aie déménagé et que je sois face à des personnes qui ne me connaissent pas y fait beaucoup. Quelque part, je suis reconnaissant d'avoir eu droit à cette nouvelle chance, pour me permettre d'accepter réellement qui je suis. Avec les potes de Paris, ç'aurait certainement été très différent.

Je fais un grand sourire à Andrew, heureux de me sentir juste... Moi.

  • Bon, je dois y aller. Merci Andrew. À une prochaine fois !

Et je rentre. Je dois vraiment faire le point avec Aiden.

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