Chapitre 14 (première partie) : Un nouveau foyer

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Le soleil était levé depuis peu, ses rayons éclairaient la plaine couverte de rosée. L'été allait s'achever et le rassemblement aussi. Déjà, les deux clans invités commençaient à rassembler leurs affaires. Il y a trois jours, Oda avait donné naissance à sa fille. Lorg me donnait le sentiment de ne plus toucher terre, d'être comme un oiseau planant au-dessus du sol, tant la joie irradiait de lui. La naissance avait été assez longue, commençant dans la nuit et s'achevant en fin d'après-midi. Mais Oda avait été courageuse et tout s'était bien déroulé. La Grande Mère avait eu raison de me rassurer : le bébé était bien tourné, contrairement à Kalya.

La petite Lora était donc le dernier des bébés à naître au cours de ce rassemblement et les Grandes Mères préparaient les dernières cérémonies. Il y aurait une nouvelle cérémonie d'union, pour un seul couple, mais surtout, la cérémonie de présentation aux esprits de tous les enfants nés depuis l'été dernier dans nos trois clans. Ils étaient neuf en tout, ce qui représentait un nombre important pour nos clans.

J'étais réveillée depuis le moment où le soleil avait pointé ses premiers rayons sur la plaine, Kourag réclamant son dû. J'avais pu me rallonger un peu avant que Kalya ne se réveille à son tour. Et, maintenant, je me préparais pour la cérémonie alors que les deux bébés dormaient côte à côte, recouverts l'un par sa peau de lynx et l'autre par un morceau de peau d'ours. Arouk était là, veillant sur le feu et préparant le premier repas. Je sortis de notre abri et lui dis :

- Je vais aller me laver à la rivière. Ils dorment encore.

- Je vais veiller sur eux, sois tranquille.

Il me regarda de son beau regard bleu et me prit un instant dans ses bras.

- Tu n'es pas trop fatiguée ?

- Ca va, dis-je. Mais je reconnais que j'aurais aimé que Kourag se réveille un peu plus tard... Quel petit vorace ! Il m'arrive de me demander s'il va en laisser assez pour Kalya et puis oui...

Arouk me sourit doucement :

- Va te préparer, à ton retour, tu mangeras et reprendras des forces.

- Merci, dis-je en l'entourant de mes bras. Tu prends si bien soin de moi !

- Oui, femme de mon foyer, répondit-il en me serrant en retour contre lui.

Puis il me murmura à l'oreille :

- Je t'aime.

Je nichai ma tête contre son épaule, fermant les yeux et savourant ce moment de tendresse et de plaisir. Puis je m'éloignai et gagnai la rivière rapidement. Je parvenais à me laver chaque jour et c'était un des rares moments de détente que je pouvais m'offrir, sans ressentir non plus de préoccupations particulières pour les deux enfants, sachant qu'il y avait Aourk, Kaarg ou l'un de nos proches avec eux.

En retournant vers notre campement, je vis que Kari était réveillée elle aussi et que Gourn avait rejoint Arouk près du foyer. De bonnes odeurs parvenaient jusqu'à mes narines et je sentis mon ventre gargouiller. Je m'assis prestement, après avoir jeté un regard à l'intérieur de la tente : les deux enfants dormaient toujours, couchés sur le côté, l'un face à l'autre.

Le repas fut cependant vite expédié car les Grandes Mères ne tardèrent pas à nous rejoindre. Nous commençâmes alors à préparer les enfants, Lora d'abord car elle était réveillée et venait de prendre sa première tétée, puis les deux autres. Ils furent lavés, changés, puis habillés avec de jolies petites fourrures que Gourn avait réalisées spécialement pour l'occasion. Soutenue par la Grande Mère du Clan du Renne et par Kaarg et sa mère, Ilya avait pu sortir de la tente et assister aux préparatifs de sa fille. Elle fut très émue en voyant Gourn tendre à Kaarg les vêtements pour l'habiller.

- Est-ce toi qui les as faits, Gourn ? demanda-t-elle. Il me semble reconnaître ta façon de broder des perles...

- Oui, Ilya, répondit-il en lui souriant doucement. Cela me faisait plaisir de réaliser aussi le vêtement de ta fille. Elle est un peu comme la petite-fille de mon foyer aussi, désormais.

- C'est vrai, dit Kaarg. Quand Gourn m'a proposé de s'occuper de son vêtement, j'ai accepté. Cela te fait plaisir ?

- Enormément, répondit Ilya et une larme coula de sa joue. Vous vous occupez tous si bien de Kalya ! Tous... sauf moi.

Et elle fondit en larmes. Kaarg la prit aussitôt contre lui et la câlina tendrement, l'embrassant dans les cheveux, passa ses mains dans son dos, ses épaules.

- Bientôt, tu pourras t'en occuper toi aussi. Aujourd'hui, c'est la cérémonie de consécration des enfants. Il ne faut pas pleurer, Ilya. Nous devons tous nous réjouir.

- Tu as raison, soupira mon amie en essuyant une larme de sa paume. C'est une telle chance... qu'elle soit en vie.

- Et toi aussi, ajouta Kaarg en la serrant à nouveau plus fort contre lui avant de relâcher son étreinte.

J'avais assisté à leur échange le coeur serré. Je mesurais le désarroi de mon amie, m'imaginant à sa place, ne pouvant prendre soin de Kourag, devant regarder les autres le faire, le nourrir, l'habiller, le bercer, sans être capable de le tenir sans aide dans mes bras. Ne pouvant, au mieux, que lui offrir quelques caresses sur la joue ou le regarder dormir un moment, près de moi. La main d'Arouk frôla mes reins. Je levai les yeux vers lui. Il me dit :

- Allons, maintenant que nous sommes prêts.

Ce fut le père de Kaarg qui prit Kalya dans ses bras pour la mener au centre du rassemblement, près du grand feu allumé depuis des jours. Petit à petit, chacun arrivait et le campement bruissait d'une agitation joyeuse. La cérémonie de consécration des nouveau-nés était toujours un moment important et réjouissant pour tous, symbole de la vie et de la continuité. Cette cérémonie était organisée aussi après une grande chasse et de beaux quartiers de viande tournaient sur les broches des petits foyers adjacents. Des légumes, des galettes de grains broyés mélangés avec des petits fruits, compléteraient ce repas de fête.

Arouk portait Kourag et Lorg portait Lora. Kaarg soutenait Ilya. Oda et moi suivions, entourées par nos mères.

Un grand espace avait été dégagé autour du foyer principal et les Grandes Mères et les chefs se trouvaient là à nous attendre. Les neuf couples ayant eu un bébé s'approchèrent et prirent place dans un premier cercle, le plus proche de grand feu. Les familles, les proches, les autres membres des clans s'assirent au-delà. Les pères portaient les bébés et une fois qu'Ilya se fut assise, Kaarg alla chercher leur fille dans les bras de son propre père, puis revint avec nous. Je m'étais assise juste à côté d'Ilya et la soutenais de l'épaule, même si elle pouvait se tenir assise sans avoir besoin d'une aide constante.

Les Grandes Mères commencèrent la cérémonie, invoquant les esprits, les remerciant pour avoir donné autant d'enfants à nos clans. Puis les pères furent invités à se lever et à s'approcher avec les enfants dans les bras. Chacun fut consacré. C'était un moment important pour eux : la reconnaissance de leur paternité, aux yeux des esprits, comme à ceux de chacun des membres des clans. Puis ce fut au tour des mères de les rejoindre et, aidée d'une autre jeune maman, je soutins Ilya jusqu'à Kaarg. Il lui mit Kalya dans les bras et la prit contre lui pour l'aider à se tenir debout, pour les quelques instants que durerait encore la cérémonie.

Arouk fit de même en me tendant Kourag que je pris contre ma poitrine. Notre fils était réveillé, et tournait son visage avec curiosité tout autour de lui. Un des autres bébés pleurait, mais fut vite calmé à retrouver la présence de sa mère. Lora dormait contre le sein d'Oda. Nos Grandes Mères tournèrent autour de chacune des familles formées là. Et quand elles le firent pour nous, je me sentis soudain à la fois toute petite et grandie, touchée par l'aura des esprits.

Et en paix.

**

- Nous ne repartirons pas avec vous.

La voix de Kaarg avait résonné, un peu grave, autour du foyer.

Nous étions tous rassemblés là, ma famille, celle d'Ilya, les parents de Kaarg. D'ici deux à trois jours, tout au plus, les chefs donneraient le signal du départ, l'été touchait à sa fin et chacun avait à coeur de retrouver son camp. Les paroles de Kaarg n'étaient pas une surprise pour nous tous, mais je sentis mon coeur se serrer à l'idée de les laisser derrière nous.

- Ilya n'est pas en mesure de marcher, même en faisant de courtes étapes, même en rentrant à son rythme, ajouta-t-il. Nous verrons cependant si nous pouvons rejoindre le camp du Clan de l'Ourse avant l'hiver ou si nous le passerons ici.

Je baissai les yeux : sur mes genoux, entre mes bras, dormaient deux petits enfants, bien loin de se douter des préoccupations qui étaient les nôtres, bien loin d'imaginer encore, pour Kalya, qu'elle allait être séparée de ses parents, peut-être pour de longs mois.

- Arouk, Ourga...

La voix de Kaarg avait flanché. Je relevai la tête et fixai notre ami.

- Nous sommes obligés de vous demander de veiller sur Kalya. De continuer à prendre soin d'elle. J'ai demandé son avis à notre Grande Mère, car j'avais songé que, peut-être, Oda aurait pu s'en occuper, la nourrir à son tour et que nous aurions pu tous rentrer ensemble. Mais Kalya s'est habituée à toi, à ton lait, à la présence de Kourag aussi.

- Je comprends, dis-je simplement d'une petite voix, incapable d'en ajouter plus.

Arouk intervint alors :

- C'est une grande marque de confiance que tu nous accordes, Kaarg, et je veillerai sur ta fille comme si elle était la mienne. Qu'il vous soit possible de rejoindre le camp avant l'hiver, ou que vous ne reveniez qu'au printemps suivant, vous retrouverez votre petite Kalya en bonne santé. Elle ne souffrira ni du froid, ni de la faim. Je t'en fais la promesse.

Et il tendit ses deux mains, paumes vers le ciel, en direction de Kaarg. Ce dernier hésita un instant, surtout surpris par la gravité des mots d'Arouk, puis il prit ses deux mains avec chaleur.

- Merci, Arouk. Et si nos enfants passent ainsi leurs premières lunes comme frère et soeur, alors, tu es pour moi un frère.

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