Chapitre 11 (2ème partie)

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Cette nuit-là, nous entendîmes le vent souffler très fort. Plus d'une fois, cela me réveilla, un peu comme j'avais été, certaines nuits, sortie du sommeil lorsque nous étions dans notre petit abri, Arouk et moi, et que le vent violent se levait en s'engouffrant dans la vallée, longeant la falaise. Une ou deux fois, j'entendis Kari se tourner sur sa couche, se relever aussi pour rejoindre ma mère et Gourn. Alors qu'elle titubait un peu, j'avais failli me lever à mon tour pour l'aider, mais Gourn avait été plus rapide et l'avait accompagnée. Arouk était réveillé lui aussi et m'avait prise dans ses bras pour m'aider à retrouver le sommeil.

J'étais plongée en plein rêve quand je perçus soudain un grand bruit violent, comme un arbre que le vent aurait arraché, ou qui aurait fait craquer son écorce. Peu après, on vit danser des lueurs au-dehors, il y avait de l'agitation, des bruits de toute sorte. Arouk se leva pour voir ce qui se passait et Gourn le suivit. Assise sur ma couche, je me frottai encore les yeux et passai les mains dans mes cheveux. Ma mère, réveillée elle aussi par le bruit, s'approcha de la porte de l'abri que les deux hommes venaient de refermer soigneusement. Elle jeta un œil au-dehors, mais revint bien vite vers le foyer. Me voyant réveillée, elle vint s'asseoir à mes côtés. Etrangement, tout ce bruit n'avait pas tiré Kari du sommeil. Tendant les oreilles, nous guettâmes ce qui provenait du dehors. Bien vite, la voix forte de Grak se fit entendre par-dessus le vacarme du vent violent et nous comprîmes qu'un des abris avait été endommagé par le vent. Mais ce fut seulement lorsque Gourn nous rejoignit que nous en apprîmes un peu plus.

- Une partie du toit de l'abri de Tyma s'est effondrée, expliqua-t-il. A l'entrée. Elle est coincée dans son abri, mais a pu nous faire savoir qu'elle n'était pas blessée. Grak envisage de commencer à faire dégager l'entrée, mais dans la nuit et avec le vent qui souffle, ce n'est pas aisé. On va raviver le grand feu et en allumer deux petits, près de son abri, pour voir ce qu'on peut faire. Mais il faudra peut-être attendre demain matin pour travailler de façon plus aisée.

Ma mère hocha la tête et moi de même. Je dis :

- C'est une chance que Tyma ne soit pas blessée…

- Oui, répondit Gourn en plissant le front d'un air soucieux. J'espère que nous parviendrons à la sortir de là sans lui faire courir de risques.

- Oui, dit ma mère. Mais je l'imagine déjà n'ayant aucune crainte, une fois passée sa première peur quand tout est tombé !

- Tu imagines bien, dit Gourn en souriant légèrement. On l'entendait déjà plaisanter à travers la paroi et nous dire d'aller nous recoucher ! Elle ne veut pas qu'on prenne froid à cause d'elle et nous assure avoir des provisions et de l'eau pour plusieurs jours, si jamais nous mettions tout ce temps à la dégager.

Nous sourîmes de concert ma mère et moi. Tyma était une des femmes les plus âgées de mon clan, mais elle avait tout un caractère. Elle avait perdu son compagnon il y a de nombreuses années, alors que son fils, Olong, était encore bien jeune, plus petit que Kari aujourd'hui. Un temps, elle avait pris un autre compagnon, mais ils ne s'étaient pas bien entendus et il était retourné dans son clan, le Clan de la Chouette. Elle avait élevé alors quasiment seule ses deux enfants, sa fille, Dyoma, avait environ 12 printemps. Elle était née un printemps avant ma mère. Aujourd'hui, cette dernière vit au Clan de l'Auroch, avec son compagnon et ses enfants, et son fils est parti pour le Clan de la Jument. Tyma est restée seule avec nous depuis de nombreuses années. Elle aurait pu faire le choix d'aller vivre avec un de ses enfants, mais elle a préféré demeurer parmi nous, disant qu'elle nous connaissait tous comme si nous étions ses enfants ou ses petits-enfants. Elle était très respectée, car elle avait toujours été de bonne compagnie, très courageuse et vaillante. Elle allait même à la chasse après la mort de son compagnon, alors que ses enfants restaient au campement, sa fille surveillant son garçon. Nous avions le plaisir de les revoir lors des rassemblements d'été et je les aimais bien. Ma mère s'entendait bien avec eux et Dyoma et elle avaient longtemps été proches, un peu comme Ilya et moi. Elles se revoyaient toujours avec plaisir et échangeaient beaucoup.

Mais ce qui arrivait là à Tyma était quand même tout un événement et j'espérais bien que les hommes pourraient dégager tout son abri demain, qu'elle pourrait en sortir sans difficulté.

Arouk ne tarda pas à nous rejoindre et à confirmer ce que Gourn nous avait déjà dit : Grak avait finalement estimé qu'il était trop difficile, voire dangereux, de tenter de dégager la partie de l'abri de Tyma qui s'était effondrée, qu'il valait mieux attendre le jour d'autant qu'elle n'était pas blessée et assurait ne pas avoir froid, même si le vent pouvait s'engouffrer par les ouvertures. Nous nous recouchâmes tous, mais en ayant encore plus de difficultés à nous rendormir, songeant à notre aïeule qui, je n'en fus pas étonnée lorsque j'allais pouvoir lui reparler, assura avoir bien terminé sa nuit, malgré ces aléas.

Au petit matin, tout le campement fut debout tôt. Chacun voulait voir au grand jour ce qui avait causé tant de frayeur et d'agitation au cours de la nuit. Toute l'entrée de l'abri de Tyma s'était effondrée. La base de la structure, solide à l'origine, était rongée par l'humidité et les morceaux de bois qui soutenaient le toit s'étaient brisés près du sol, entraînant avec eux une partie du toit. Tyma dormait fort heureusement dans la partie arrière, un peu à l'image de Gourn et de ma mère. Elle n'avait pas été blessée, mais certains morceaux de bois et d'os avaient été projetés jusqu'à son foyer, approximativement au milieu de l'abri. Elle avait eu beaucoup de chance, car elle ne dormait pas loin. De l'extérieur, les dégâts étaient impressionnants, mais j'imaginais sans difficulté que, depuis l'intérieur, il en était de même.

Tout le clan ou presque s'était rassemblé autour de l'abri de Tyma et Grak ainsi que quelques hommes évaluaient déjà la situation et réfléchissaient à la façon de s'y prendre pour dégager l'entrée, sans abîmer le reste de la structure. Ils estimèrent qu'il fallait d'abord tenter de faire sortir Tyma, en dégageant un passage entre la partie effondrée et celle qui avait tenu le choc, sur un des côtés. Mais il fallut d'abord ôter plusieurs morceaux de bois et d'os empilés. Cela occupa les hommes une bonne partie de la matinée, mais quand, enfin, le passage fut suffisant pour laisser passer Tyma, tous l'attendaient avec impatience et une certaine fébrilité.

Avec précaution, la vieille femme franchit l'amas de pierres, de morceaux d'os et de bois qui n'avait pas été enlevé. Grak et Darank l'aidèrent à l'escalader et à sortir de son abri. Elle fut accueillie par des cris de joie et de soulagement et une de ses voisines lui tendit d'emblée une coupe en bois contenant une infusion.

- Hum, cela fait du bien. Mais tout va bien, je vous rassure. Enfin, moi, je vais bien, dit-elle en se tournant vers son abri et en le désignant. Lui, c'est autre chose…

- Tu viendras chez nous, Tyma, dit Grak. Le temps qu'on répare tout cela. Il va falloir aussi nous assurer que ce qui tient debout est encore bien solide. Sinon, il faudra te reconstruire un abri.

- C'est mon homme qui l'avait construit pour moi, dit-elle un peu pensive. Il était solide. Ton père l'avait aidé ! Et aussi le tien, et le tien, dit-elle en désignant deux autres hommes qui se trouvaient là.

- C'est un des abris de notre campement parmi les plus anciens et qui n'avait pas été renforcé ces derniers étés, dit Grak en fronçant les sourcils. Bien, ajouta-t-il, maintenant, continuons ! Ce serait bien de dégager toute l'entrée avant le soir. Afin qu'on puisse récupérer des affaires de Tyma à l'intérieur.

Il fut fait ainsi et chacun aida à la mesure de ses moyens. Les hommes les plus solides et les plus vaillants dégagèrent les morceaux de la structure, les donnant à d'autres qui attendaient autour pour les emporter un peu plus loin. Tout fut conservé, pour une réutilisation éventuelle, soit pour les réparations à venir, soit pour servir à alimenter les feux. A la fin de la journée, il ne restait plus de l'abri de Tyma qu'une petite moitié environ encore debout, soit la partie la plus éloignée de l'entrée et celle du milieu. La structure avait résisté à peu près jusqu'à hauteur du foyer, mais, dès le surlendemain, quand les hommes observeraient plus en détail toute la partie encore debout, ils décideraient bien vite d'ôter encore quelques morceaux de la structure qui avaient résisté : la partie qui s'était effondrée avait en effet fragilisé ces pans de bois et de grands os et il était préférable de les enlever pour reconstruire des pans vraiment solides. Néanmoins, Tyma put aisément récupérer ses affaires et trouva un petit coin dans l'abri du chef pour se loger. Il ne manquait pas, de toute façon, de familles volontaires pour l'accueillir si besoin.

**

Durant toute cette première lune de printemps, ce fut donc un chantier quasi-incessant dans notre camp pour permettre à Tyma de retrouver rapidement un abri digne de ce nom. Mais les bâtisseurs furent vite moins nombreux, car, avec la fin de l'hiver, avait repris la chasse. Arouk participait à certaines expéditions, celles qui ne duraient qu'une journée, mais, bien souvent, il préférait aider à reconstruire l'abri de Tyma : il estimait qu'il apprendrait ainsi beaucoup pour construire le nôtre. Néanmoins, lorsque Grak décréta qu'une chasse plus longue allait être organisée, il se prépara à son tour avec soin pour une absence de quelques jours. Tous les chasseurs étaient mobilisés et plusieurs femmes les accompagneraient. Gourn se préparait lui aussi. Ma mère, en revanche, resterait au campement avec Kari et moi-même. Elle ne voulait pas s'absenter alors que j'entamais ma dernière lune avant la naissance et me laisser seule avec ma petite soeur qui, bien qu'attentive à mon état, pouvait aussi se révéler fatigante.

C'était la veille du départ. Ilya et moi étions assises devant l'abri de mes parents, pendant qu'Arouk préparait ses armes, accroupi à nos côtés. Il vérifiait soigneusement les fixations de ses pointes, couteaux et sagaies, ainsi que le tranchant des lames, n'hésitant pas à réajuster certaines, à aiguiser d'autres. Il emportait aussi avec lui un sac avec des fourrures de couchage, un peu de viande séchée et quelques fruits secs qui nous restaient. On voyait, dans les réserves, s'amenuiser les provisions amassées l'été dernier, et notamment tout ce qui était fruits et légumes, tubercules. Heureusement, la terre commençait à se réchauffer et les premières pousses pouvaient déjà être cueillies, ce qui nous apportait de la nourriture fraîche, bien appréciée à cette période de l'année.

Il faisait bon, au-dehors, Ilya et moi discutions tranquillement, Arouk participant de temps à autre à notre conversation. Le soleil dardait ses rayons et nous profitions de sa chaleur, bien agréable après les longues journées hivernales.

Un peu plus bas que notre abri, à mi-distance environ avec la rive, se trouvait le chantier de l'abri de Tyma. Quelques personnes s'activaient encore autour, des hommes qui en avaient terminé de leurs préparatifs de chasse. Des femmes aidaient aussi, même si leur force ne leur permettait pas de soulever d'aussi longs et lourds morceaux de bois ou d'os, elles en apportaient de plus petits, aidaient à fixer les attaches ou à creuser les fondations. Comme nous l'avions fait Arouk et moi avec notre propre abri, chaque branche ou chaque grand os planté pour former la structure était entouré, à la base, par des pierres ou des petits os. Il fallait veiller à ce qu'ils ne bougent pas, car c'étaient eux ensuite qui soutiendraient le toit. Néanmoins, la reconstruction de l'abri avait déjà bien avancé.

Nous étions donc là, tranquilles, quand nous vîmes approcher notre Grande Mère. Nous la saluâmes avec plaisir, mais elle s'adressa plus particulièrement à moi :

- Ourga, je voudrais passer un moment avec toi. Pouvons-nous aller dans ton abri ?

J'acquiesçai et, soulevant la peau de l'entrée, je la précédai. Une fois près du foyer, elle me dit :

- Je voudrais voir comment tu vas et comment va le bébé. La naissance est proche et il faut surveiller tout signe.

- Oui, bien sûr, dis-je avec un sourire mêlé d'un peu de crainte.

Plus les jours passaient et plus je me demandais quand je ressentirais les premières douleurs, les premiers signes de la naissance. Je retirai ma tunique, mais restai debout. Elle s'assit près du foyer, posa ses mains sur mon ventre, en de douces palpations, à plusieurs endroits. D'abord sur les côtés, puis le ventre lui-même, enfin dans mon dos. Elle revint enfin encore sur mon ventre.

- Je sens sa tête bien en bas, me dit-elle. C'est bien. La tête est dure et elle ouvre le passage pour que le bébé puisse sortir. Tu ne ressens pas de douleurs dans le dos ?

- Non, pas du tout. Hormis si je reste trop longtemps debout ou assise.

- Pas de douleur fulgurante, comme si tu te brûlais avec un tison ?

- Non.

- Bien. Allonge-toi sur ta couche. Je vais encore tâter ton ventre.

Une fois allongée, mon ventre était vraiment proéminent. Ma Grande Mère reprit ses palpations, attentive, concentrée. Je respirais lentement, demeurant silencieuse. Ce n'était pas la première fois qu'elle agissait ainsi depuis mon retour, et j'étais habituée à ses gestes. Les premières fois, j'osais à peine respirer, mais elle m'avait encouragée à me détendre pour mieux sentir le bébé.

Enfin, elle se redressa et dit :

- Il est encore bien au chaud. Arouk va pouvoir accompagner les chasseurs. La naissance n'aura pas lieu durant leur absence.

Je poussai un soupir de soulagement : je voulais qu'Arouk soit avec moi quand le bébé viendrait au monde. Ma Grande Mère me sourit, me dit simplement qu'elle allait maintenant s'occuper d'Ilya, puis quitta l'abri alors que je renfilai ma tunique. J'étais encore à l'intérieur quand je l'entendis parler à Arouk :

- Tu peux aller à la chasse, Arouk. Le bébé ne naîtra pas durant votre absence. Du moins, pas si vous êtes absents moins de trois journées. Si vous deviez rester plus longtemps, il faudra revenir. Je vais parler à Grak pour qu'il organise un premier retour si la chasse devait durer plus de trois jours.

- D'accord, répondit simplement Arouk. Tout va bien pour Ourga ?

- Oui, dit-elle d'un ton très rassurant qui me réconforta aussi un peu plus.

Je sortis à ce moment et déjà elle se tournait vers Ilya :

- A toi, maintenant, Ilya. Allons à ton abri. Est-ce que Kaarg s'y trouve ?

- Oui. Il devait finir ses préparatifs lui aussi et nous rejoindre ici. Puisqu'il n'est pas encore là, je pense qu'il est toujours à l'abri.

La Grande Mère hocha la tête et elles s'éloignèrent toutes deux.

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