Chapitre 11 (1ère partie) : Un nouveau foyer

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Un peu plus d'une lune après notre retour, nous commençâmes à percevoir d'autres signes annonciateurs du printemps. Dans le ciel, on voyait passer souvent les grands oiseaux se dirigeant vers leurs terres d'été. Puis, un après-midi que je me reposais, je fus réveillée par des craquements et des bruits bien caractéristiques : la rivière reprenait vie et la glace qui la couvrait se fendait, créant alors de gros blocs qui bougeaient lentement, se frottaient les uns aux autres, avant de s'entrechoquer. Cela durerait plusieurs jours et ferait parfois un tel vacarme que même les cris de tous les enfants de tous les clans réunis ne pourraient être plus forts.

Au cours de ces journées, Arouk fit plus et mieux connaissance avec les membres de mon clan. Il sympathisa très vite avec plusieurs chasseurs, dont Darank, mais aussi avec Kaarg. Nous avions souvent l'occasion de voir ce dernier, compagnon d'Ilya, puisqu'il ne se passait pas une journée sans que j'aille voir Ilya ou qu'elle ne vienne me voir. Et Kaarg était souvent avec elle, veillant sur elle et le bébé avec autant d'attention qu'Arouk le faisait avec nous.

Un jour que nous étions toutes les deux seulement, dans mon abri, Kari jouant au-dehors, Arouk et Gourn ayant accompagné d'autres chasseurs pour une première petite chasse, ma mère vaquant aussi à ses occupations, Ilya me confia :

- Tu sais, Ourga, je n'ai aucun regret. Je veux dire... de m'être unie à Kaarg.

- Cela me rend heureuse, Ilya. Kaarg est un garçon bien. C'était un des meilleurs amis de Lorg, je le connais bien, j'ai beaucoup joué avec lui aussi quand nous étions enfants.

- Oui, et moi aussi lorsque nous nous retrouvions pour les rassemblements d'été, tous ensemble. Nous étions une joyeuse petite bande !

- Aussi joyeuse que celle de Kari et de ses amis aujourd'hui, dis-je.

- Oui, bien sûr... Mais je n'aurais jamais pensé m'unir à lui, même si nous nous connaissions bien. Un peu comme... comme je n'aurais pas imaginé m'unir avec ton frère. Tu me comprends ?

- Oui. Tu le voyais en ami, comme tu vois un ami en Lorg.

- Exactement. C'est aussi pour cela que je m'étais confiée un peu à lui, l'été dernier, lors de la grande chasse. C'était plus facile pour moi de parler avec lui qu'avec n'importe quelle autre personne. Mais... mais je ne pensais pas que nous serions devenus si proches, même après avoir partagé les plaisirs.

- L'important, c'est que tu sois heureuse et que tu aies avec toi un homme qui saura veiller sur ton foyer et sur les enfants de ton foyer, dis-je avec assurance.

- Tout à fait. Il m'a aussi confié qu'il se sentait très attiré par moi, depuis l'été de nos rites, mais qu'il n'avait pas osé venir vers moi à ce moment-là, parce qu'il avait du mal à imaginer que j'étais devenue une jeune femme et plus la petite fille avec laquelle il jouait quand il était lui aussi petit garçon. Ca lui faisait un peu... étrange. Mais quand il m'a revue, au début du grand rassemblement, il a compris qu'il voulait vraiment se rapprocher de moi et pas comme un ami. Seulement, moi... je ne voyais que Drong, laissa-t-elle échapper avec un soupir de regret. J'aurais pu commettre une grossière erreur sans toi et sans Kaarg, ajouta-t-elle.

- Mais tu ne l'as pas commise, Ilya, répondis-je. C'est cela qui compte maintenant.

Nous nous tûmes un instant. Puis Ilya me dit :

- Je suis vraiment heureuse que tu aies pu revenir avant la fin de l'hiver et qu'Arouk puisse rester aussi. Cela va être merveilleux pour toi d'avoir ton bébé ici, avec nous tous pour t'entourer et l'accueillir ! Mais il vous faudra songer à créer votre foyer, même si vous n'êtes pas encore unis. A moins que vous ne décidiez de rester vivre avec tes parents ? Ils n'ont plus que Kari maintenant, vous pourriez partager le même abri...

- Je ne sais pas encore. Nous n'avons pas discuté de cela. Mais je sais que j'ai apprécié aussi certains moments où nous étions seuls, au cours des lunes passées. C'était dur par moments, mais à d'autres, c'était aussi très agréable.

Elle me sourit, compréhensive :

- Pour partager le plaisir sans être entendus ou vus ?

- Oui, mais pas seulement... Aussi pour partager d'autres choses, des souvenirs, des confidences. Et même, juste pour, parfois, faire quelque chose ensemble, comme tanner une peau, ou réparer un outil, ou cuisiner.

Elle hocha la tête.

- Mais maintenant que tu es de retour au clan, cela te manque ? Ces moments, juste avec lui, je veux dire ?

- Non, pas vraiment, en fait. Le plus important pour moi est que le clan l'ait accepté, l'ait autorisé à rester et que tous le sachent innocent.

- Quelques-uns ici pouvaient douter, mais ils étaient rares et avaient surtout tendance à se conformer au jugement des conseils, plutôt qu'à envisager l'innocence d'Arouk. Mais, pour beaucoup, il était innocent. Cela a alimenté suffisamment de conversations lorsque nous sommes arrivés au camp, à la fin de l'été, pour que je m'en souvienne ! Et maintenant, je crois que tout le monde est soulagé par la décision de la Grande Mère et de Grak. Car cela est plus conforme à ce que chacun attendait pour toi, pour une fille de leur clan.

Je souris car cela rejoignait mes impressions.

A ce moment-là, ma mère entra dans l'abri et proposa alors à Ilya de venir partager le repas du soir avec nous tous et Kaarg. Elle accepta et nous quitta pour aller le rechercher et amener leur contribution.

**

Ce repas fut à l'image des repas d'hiver que nous partagions souvent entre familles, entre voisins. C'était l'occasion de nous retrouver en un cercle un peu élargi, de prendre des nouvelles des uns et des autres, d'évoquer des souvenirs ou des projets.

Au cours de ce repas, Kaarg aborda la question de notre futur abri, à Arouk et moi :

- Comment vous installerez-vous au printemps, Ourga ? Quand ton bébé sera né ?

- Nous n'avons encore rien décidé, dis-je. Nous sommes à peine de retour ! Et vous deux ?

- Nous restons dans l'abri de mes parents, après avoir passé l'hiver avec eux, nous en avons conclu que ce serait le mieux pour nous tous et cela m'évitera d'avoir à construire un abri, rit-il. Je ne suis pas fainéant, mais c'est du travail. Et celui de mes parents est grand, ajouta-t-il.

- Tu aurais eu de l'aide, intervint Gourn en souriant. C'est toujours un grand moment que de construire un nouvel abri !

- J'aiderai Arouk si c'est son projet, répondit notre ami. Ce sera déjà bien assez !

Je souriais de cet échange. J'y retrouvais un peu d'humour, mais aussi le côté toujours très enthousiaste de Kaarg. Et je me disais qu'Ilya l'avait bien choisi : il était un compagnon toujours si jovial ! Mais il pouvait être sérieux aussi et aidait les uns et les autres plus souvent qu'à son tour, malgré ce qu'il en disait.

Arouk écoutait avec attention, mais sans dire grand-chose. Les gens du Clan du Lynx vivaient un peu différemment de nous, construisant leurs abris le long d'une falaise. Ils se servaient de la roche pour constituer un des pans de l'abri, un peu comme nous l'avions fait avec le gros rocher. Mais c'était encore plus impressionnant, du moins, de ce que j'en avais entendu raconter, car je ne m'étais jamais rendue au campement d'hiver du Clan du Lynx, car il était vraiment très éloigné du nôtre. Mais quelques-uns parmi les miens y avaient séjourné tout un hiver.

Nous, nous vivions dans la plaine, le relief était peu accidenté, marqué principalement par les rivières qui la traversaient. Mais nous avions des ressources en abondance, eau, gibier, bois, roches. Tout cela pouvait être utilisé pour aménager nos abris : le bois ou les grands os pour en créer la structure, les végétaux, les peaux, voire de la boue séchée pour les recouvrir. En installant notre campement d'hiver il y a bien longtemps, dans un léger creux de terrain, nos ancêtres l'avaient aussi protégé au mieux des vents violents d'hiver. Mais il se trouvait aussi suffisamment haut par rapport à la rivière et nous n'avions pas à craindre ses crues.

C'était déjà un campement de belle taille, comptant de nombreux abris, car nous formions aussi un des plus anciens clans de mon peuple, comparativement au Clan de la Louve qui était le plus récemment formé, depuis deux générations seulement, alors que le nombre de générations étant passées au nôtre se perdait dans la nuit des temps. Malgré tout, ajouter de nouveaux abris était encore possible, le long de la rive. Mais ce serait toute une décision à prendre, entre les discussions entre Arouk, moi, mes parents, mais aussi Grak et ma Grande Mère pour le choix d'un futur emplacement. Et il nous faudrait l'aide de nombreux hommes pour le réaliser. A travers les mots de Kaarg, cependant, j'avais bien senti l'envie de mener un tel projet. Ce n'était pas tous les ans qu'un nouvel abri était construit ; au mieux, on améliorait l'existant, on renforçait certaines structures, on réparait leur étanchéité. Mais une nouvelle construction, c'était toute une affaire qui occuperait le clan pour les lunes du printemps avant le rassemblement d'été, et même, peut-être, à notre retour du rassemblement.

- Nous verrons cela bientôt, Ourga et moi.

La voix d'Arouk me tira de mes pensées. Il était assis à côté de moi et je tournai mon visage vers lui, un peu surprise. Il me sourit en retour, conscient sans doute que je n'avais pas tout entendu des derniers échanges avec nos invités.

- Oui, répéta-t-il, nous verrons pour le futur foyer.

- Oui, dis-je simplement ne sachant qu'ajouter.

Je croisai alors le regard de Gourn qui me sourit avec tendresse. Il reprit la parole :

- C'est une décision qu'il faut prendre le temps de mûrir. Nous en avons déjà parlé, ta mère et moi. Vous pourrez rester ici, avec nous. Nous aurons assez de place pour nous tous. Cet abri, c'est ton père qui l'avait construit, Ourga. Même si je faisais encore partie du Clan du Renne, nous étions quelques-uns à être venus l'aider. Nous avions pu le terminer avant le rassemblement d'été et ton frère y était né au retour. Puis toi. Certains abris sont plus grands, comme celui de Kaarg, on peut y loger aisément deux familles. Mais nous, nous sommes juste trois et un jour, Kari partira.

- Peut-être qu'elle voudra rester ici, dis-je.

- Peut-être. Mais nous ne devons pas décider en fonction de ce qu'elle voudra, mais de ce qui arrive maintenant. Mais si j'ai dit que vous pouviez rester, vous pouvez aussi envisager de construire votre propre abri. Il y a assez de place. Cela agrandira encore le clan.

Je restai pensive. Deux envies m'habitaient, m'entraînant chacune dans un sens opposé. J'avais renoué avec les miens avec joie, je profitais de leur présence, de la sécurité de tout le clan. Arouk avait été accepté et il ne pesait plus sur lui la moindre suspicion. Nous avions le soutien de tous les miens. Nous nous étions installés avec Gourn, ma mère et Kari. J'avais retrouvé là aussi la chaleur et la sécurité de ma famille. Et accueillir mon bébé dans cet abri me plaisait assez. Mais, au cours de l'hiver, nous avions appris Arouk et moi à vivre seuls, à nous débrouiller seuls, pour nous nourrir, nous protéger, nous réchauffer. Nous avions fait face à chaque difficulté, voire chaque menace, sans pouvoir compter sur l'aide des autres. Nous avions aussi développé notre entente, notre propre intimité, et il n'était pas toujours aisé d'y laisser libre cours désormais. Et, malgré la joie des retrouvailles avec les miens, je devais aussi reconnaître que cette intimité avec Arouk me manquait.

Mon regard fit le tour de l'abri. Il était à l'image des autres abris du camp, plus long que large, même s'il présentait un endroit central assez grand pour y installer le foyer et de l'espace autour pour s'installer, cuisiner, tanner des peaux ou réparer les outils. Dans le fond, ma mère et Gourn entreposaient la nourriture, mais aussi des outils qui ne servaient pas en hiver, des vêtements d'été, des peaux ou des fourrures dont ils n'avaient pas besoin. Leur couche était installée à proximité.

La mienne se trouvait plus près du foyer, en vis-à-vis avec celle de Kari. Celle de Lorg avait autrefois été de ce côté, mais entre la couche de Kari et l'entrée de l'abri. De mon côté, mais près de l'entrée, on entreposait du bois pour le feu, une grande peau qui pouvait remplacer celle de l'entrée si elle venait à s'abîmer au cours de l'hiver. On laissait là aussi nos vêtements quand ils étaient mouillés par la neige. C'était un abri assez grand pour une famille comme la nôtre, qui pourrait accueillir encore quelques enfants. Nous pourrions y vivre Arouk et moi si telle était notre décision et si mes parents acceptaient que nous restâmes avec eux.

**

Si je pensais passer les deux courtes lunes du printemps tranquillement parmi les miens, il n'en fut rapidement rien. Kaarg avait sans doute trop parlé concernant notre futur abri, malgré nos dires et notre mesure. En effet, à plusieurs reprises, Grak ou d'autres vinrent aborder ce sujet avec Arouk et avant que la glace de la rivière n'ait complètement fondu, nous eûmes à prendre notre décision.

Ma mère et Gourn étaient heureux de nous compter dans leur abri, mais ils mesuraient bien aussi notre souhait de nous retrouver dans notre propre foyer. Ma mère et mon père, quand ils s'étaient unis, avaient à l'époque fait le choix de n'habiter dans aucun des foyers de leurs propres parents. Ce n'était pas rare, de même qu'il n'était pas rare que des plus jeunes demeurent avec les anciens, comme Kaarg et Ilya en avaient fait le choix. Cela se discutait dans les familles, dans un premier temps. Mais, déjà, Grak réfléchissait à un emplacement qui pourrait convenir.

Plus d'une conversation, au cours des jours suivants, fut donc consacrée à ce sujet. Plus d'une fois, Arouk me demanda mon avis, mais j'étais hésitante : d'un côté, j'appréciais de revivre avec ma famille, mais, de l'autre, je regrettais aussi de ne plus être seule avec lui. Et je savais aussi que les conseils de ma mère me seraient précieux quand le bébé serait là. Ce en quoi, ma mère savait aussi me rassurer :

- Un bon abri ne se construit pas en quelques journées, Ourga. Il ne sera pas prêt avant la naissance de ton bébé, et tu resteras avec nous tout ce temps. De même, il ne pourra être consacré par la Grande Mère avant votre union. Il ne pourra devenir votre foyer qu'après le rassemblement d'été et votre cérémonie d'union.

- Oui, maman, bien sûr, répondis-je. Mais… mais c'est un choix bien difficile, je trouve !

- Cela fait partie des choix qu'il faut faire, un jour ou l'autre. Tu as déjà fait des choix importants depuis l'été dernier, Ourga ! Et puis, ce n'est pas comme si vous aviez choisi d'aller habiter dans un autre clan. Vous restez avec nous, et c'est le plus important pour moi.

Je hochai la tête, comprenant ce qu'elle voulait me dire. Elle ne me forcerait pas à rester avec eux, mais elle serait heureuse de nous garder si tel était notre choix.

Mais ce fut un tout autre événement, sans lien apparent, qui allait finalement nous aider à préciser notre projet.

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