Chapitre 10 (4ème partie)

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Notre retour donna lieu aussitôt à l'organisation d'une fête et, alors que je retrouvais le grand abri de ma famille, j'entendis bien vite les uns et les autres s'activer au-dehors. Mais beaucoup aussi voulaient déjà entendre le récit des lunes écoulées, savoir comment nous avions vécu, comment nous nous étions organisés, ce qui nous avait décidé à revenir plus tôt que prévu, du moins s'il y avait une autre raison que le bébé.

Si Arouk était demeuré au-dehors, détachant nos affaires du travois avec l'aide de Gourn, ma mère, Ilya et Kari m'avaient suivie dans l'abri. Ma mère ordonna à Kari de pousser les affaires qu'elle avait déposées dans le recoin qui était jusqu'à ce que nous partions pour le grand rassemblement mon propre coin, avec le creux formé pour ma couche, les petites encoches dans la structure où je rangeais mes bijoux, mes couteaux, mes petits outils, et la plus large où j'entreposais mes fourrures, mes vêtements. Ilya l'aida à déplacer tout cela, alors que je m'asseyais près du foyer et que ma mère me proposait déjà un peu à manger et qu'elle s'activait à me préparer une boisson chaude.

- Ourga ! Ma fille ! dit-elle en s'asseyant près de moi et m'entourant encore une fois de ses bras. Tu nous reviens avec un bébé ! Tu n'auras pas beaucoup à attendre avant qu'il soit là... Je le devine déjà. Mais il faudra voir la Grande Mère très vite. Depuis combien de lunes ne saignes-tu plus ?

- Six, maman. Six, avec certitude.

- J'avais bien pensé que nous te retrouverions ainsi, mais seulement l'été venu... pas que tu aurais été honorée si vite et que les esprits auraient jugé bon de te faire porter si tôt un enfant... Mais ton futur foyer n'en sera que plus honoré.

- Arouk a veillé sur moi, maman... C'est lui qui a insisté pour que nous revenions tant que le voyage ne serait pas trop pénible pour moi. Mais moi, je ne voulais pas l'abandonner...

- Et tu ne l'abandonneras pas. La Grande Mère a raison de dire qu'il doit rester avec toi, maintenant. Surtout, maintenant.

- Que diront les autres clans quand ils sauront qu'il est revenu parmi nous tous plus tôt que prévu ?

- Ils n'auront rien à en dire, intervint Ilya qui avait suivi toute notre conversation. La Grande Mère a raison. Et son aura est puissante. En prenant soin de toi tout cet hiver, Ourga, Arouk a montré sa valeur. A ceux qui doutaient de lui, comme à ceux qui lui faisaient confiance, et à Grak le premier, à ta famille aussi, à tes amis. A tout ton clan et à tout notre peuple.

Je regardai mon amie. Les larmes me revenaient aux yeux. Elle se releva et vint s'asseoir de l'autre côté de moi, puis me serra dans ses bras à nouveau.

- Je suis si heureuse que tu sois revenue, Ourga ! Nous aurons peut-être nos bébés ensemble, ou presque... Quelle joie ! Quelle joie !

- Oui, réussis-je à articuler malgré mes larmes.

Ma mère laissa passer un petit moment, puis elle dit :

- Je crois, Ourga, que tu es un peu fatiguée. Il va falloir que tu te reposes si tu veux profiter de la fête, ce soir. Ilya, tu peux rester avec moi, bien entendu. Tu vas m'aider pour quelques préparatifs.

- Oui, bien sûr !

Je gagnai alors ma couche où Arouk avait déjà déposé nos fourrures. Pour ma mère comme pour Gourn, il allait de soi qu'Arouk partagerait notre abri, à moins que la Grande Mère et Grak n'en décident autrement. Il ne me fut pas difficile de retrouver mes habitudes et, avec l'aide d'Ilya, j'installai soigneusement mes fourrures. Puis elle me laissa et rejoignit ma mère qui entamait déjà des préparatifs pour la fête de ce soir. Je me glissai sous mes fourrures, gardant un moment les yeux ouverts pour les voir s'activer, mais la fatigue eut raison de moi et je m'endormis bien vite.

**

Quand je rouvris les yeux, la lumière déclinait. Le soir ne tarderait pas. Mais, au-dehors, de grands feux avaient été allumés. Je perçus toute l'activité liée aux préparatifs d'une fête et devinai que notre retour était une vraie occasion de se réjouir pour tous les miens. En hiver, les fêtes étaient rares et toute occasion était bonne à prendre, surtout quand l'hiver s'étirait et que le printemps nous semblait encore loin.

Je restai étendue sur ma couche un moment, regardant autour de moi, retrouvant mes repères dans ce lieu où j'avais grandi. Le foyer que mon père avait construit pour ma mère, alors qu'elle portait Lorg. Le foyer qui m'avait accueillie bébé, depuis ma naissance, et où Gourn avait trouvé sa place lorsque ma mère s'était unie à lui. Cet abri était mon foyer. Mais, dans le même temps, je ne pus m'empêcher de repenser au petit abri où nous étions restés Arouk et moi au cours des dernières lunes et qui était aussi notre foyer. Arouk avait lui aussi construit un petit abri pour moi, que nous avions dû quitter. Mais je ne doutais pas que, dès que le printemps serait installé, il entreprendrait avec Gourn et l'aide de quelques autres, la construction de notre futur foyer. Sans doute Kaarg envisageait-il d'en construire un aussi pour Ilya. A moins qu'ils ne restent vivre avec les parents de Kaarg, plus âgés que ma mère et Gourn.

La grande peau qui fermait l'abri se souleva soudain et je vis la haute silhouette d'Arouk se dessiner dans le jour avant qu'il ne la referme. Il fit quelques pas et s'approcha le plus silencieusement possible de ma couche. Il devait penser que je dormais encore. Je souris et dis :

- Arouk ?

- Ah, Ourga. Je pensais que tu dormais, je ne voulais pas te réveiller. Comment te sens-tu ?

- Bien. Je me suis bien reposée. Ca va.

- La fête va bientôt commencer. Tout est prêt. As-tu besoin de quelque chose pour te préparer ? Tu as retrouvé tes affaires ?

- Oui. Mais je n'ai pas commencé à ranger.

- J'ai déposé notre chargement juste à l'entrée de l'abri. Tu veux que je t'apporte tes vêtements ?

- Je vais mettre ma tenue de cérémonie. Elle est là, dis-je en désignant le recoin derrière moi où j'avais déjà déposé quelques vêtements et où ma mère avait soigneusement entreposé cette tenue que je n'avais pas emmenée avec moi.

Je me redressai alors, repoussant les fourrures. Je portais encore ma tunique de voyage et je ressentis soudain le besoin de me laver un peu. J'enfilai rapidement mes jambières et dis :

- Je vais aller me laver.

- Il fait très froid dehors, Ourga, me dit Arouk.

- Je ne serai pas longue. Tu peux venir avec moi si tu veux. Pour m'aider.

Il me sourit et, avant de sortir de l'abri, il me retint un instant et me prit contre lui. Je levai mon visage vers le sien et il me fixa un moment avant de m'embrasser.

- Je suis soulagé de te savoir maintenant en sécurité, Ourga, dit-il en relâchant son étreinte.

- Et moi si heureuse que tu puisses rester avec moi, dis-je en prenant sa main et en la posant sur mon ventre. Donne-moi encore un baiser.

Il sourit à nouveau et s'exécuta.

**

A la belle saison, quand la rivière n'était pas gelée, nous allions toujours nous baigner un peu en amont, près d'une petite plage facile d'accès depuis la rive. Mais là, il n'était pas besoin d'aller si loin, ni même de gagner la rivière pour nous laver. Je contournai les abris avec Arouk, pour atteindre l'extérieur du camp. Le soleil n'était pas encore couché, mais il n'était pas loin de disparaître tout au bout de la grande plaine. Les lumières que ses rayons lançaient sur la neige étaient très belles, la colorant de roses et d'ocres chauds.

Je trouvai rapidement un tas de neige propre, retirai d'abord ma tunique, me lavant vigoureusement avec un peu de neige. Arouk me frotta le dos. Puis j'enfilai ma tunique de cérémonie. Il me serra contre lui, me frottant à nouveau le dos à travers mes fourrures pour me réchauffer. Puis j'ôtai mes jambières et me lavai les jambes. Je terminai de m'habiller rapidement. Je n'avais pas eu vraiment froid.

Nous regagnâmes l'abri, Arouk portant mes vêtements de voyage. Il se changea lui aussi à l'intérieur, puis nous rejoignîmes les autres. Petit à petit, tous les membres de mon clan se réunissaient autour du grand feu. Grak était déjà là, bien entendu, ainsi que notre Grande Mère. Gourn, ma mère et Kari nous avaient gardé une petite place près du feu. D'autres feux plus petits avaient été allumés ça et là pour permettre à chacun de profiter du repas pris en commun sans avoir froid. Mais chacun portait de chaudes fourrures, car les nuits étaient encore glaciales.

Quand Grak estima que tout le monde était arrivé, il fit un petit discours pour rappeler les raisons de cette fête. Puis notre Grande Mère dit :

- Arouk a ramené Ourga jusqu'ici, pour qu'elle retrouve l'abri de sa famille, l'aide de tout le clan. Ourga porte un bébé et il naîtra bientôt. Certains pourraient trouver à redire au fait qu'Arouk soit revenu avant le terme de la sentence prononcée par le Grand Conseil, l'été dernier. Mais en devançant son retour, pour des raisons justifiées, il prouve à tous qu'il a pris soin d'Ourga et qu'il veut avant tout la mettre en sécurité. Un homme qui agirait avec violence vis-à-vis d'une femme ne chercherait pas à prendre soin d'une autre.

Elle marqua une courte pause, laissant ses paroles gagner tous les esprits. Puis elle reprit :

- Ourga avait dessiné le cercle de pierres l'été dernier pour Arouk. Ils avaient montré leur souhait de s'unir et de fonder un foyer. Cette union sera célébrée lors du rassemblement de l'été prochain. Mais Ourga apportera déjà, avant cette union, un bébé dans leur futur foyer. Il est nécessaire qu'Arouk reste auprès d'elle, pour veiller sur l'enfant et pour l'accueillir dans ce foyer. Nous avons donc décidé qu'il ne repartirait pas en exil, même pour les quelques lunes qui nous séparent du début de l'été.

Elle se tut et son regard se porta vers tous, faisant le tour de l'assemblée réunie autour d'elle. Certains hochaient la tête, d'autres murmuraient quelques mots à leur plus proche voisin. Dans l'ensemble, je perçus des signes d'acceptation. Un homme se leva cependant pour prendre la parole. C'était Darank, un des proches de notre chef, Grak. Il était aussi celui qui était resté présent près d'Arouk lorsque ce dernier avait été isolé, avant que les conseils ne prennent leur décision concernant l'accusation que Nema avait portée contre lui.

- Je me réjouis du retour d'Ourga parmi nous, et qui plus est, avec un bébé à venir. C'est une très bonne nouvelle pour notre clan que les esprits l'aient honorée si vite, alors même qu'elle n'a pas encore pu construire son foyer. Je me réjouis aussi que nous retrouvions un aussi bon chasseur qu'Arouk, alors que, bientôt, nous repartirons pour de grandes chasses, au début du printemps. Arouk a prouvé sa valeur et son sens des responsabilités en veillant sur une des femmes de notre clan. Il est juste de l'accueillir comme il se doit et cette fête est bienvenue !

Ses derniers mots furent ponctués par des éclats de rires, des cris de joie et certains frappèrent même dans leurs mains. Grak et Darank échangèrent un rapide regard, puis quelques personnes se levèrent et se saisirent des morceaux de viande qui rôtissaient sur les feux, commençant la distribution.

Ce fut une belle et joyeuse fête et, malgré le froid de la nuit, beaucoup veillèrent tard. Beaucoup aussi vinrent s'installer près de nous, parler avec nous. Nous dûmes raconter plusieurs fois comment nous nous étions installés, je décrivis avec précision l'endroit où nous avions érigé notre abri et que certains connaissaient pour s'être déjà rendus jusqu'au pied de la falaise, sur l'autre rive. Beaucoup étaient intéressés par la construction de notre abri et même sans l'avoir vu, ils le jugèrent solide et ayant pu résister aux chutes de neige et aux vents parfois violents. Il y eut aussi de nombreux hochements de tête quand nous racontâmes avoir laissé là-bas des provisions pour le retour d'Arouk. C'était une preuve supplémentaire que celui-ci n'avait entrepris le voyage jusqu'au camp d'hiver que pour me protéger, sans avoir l'intention de rester. Même si c'était loin d'être un élément primordial, c'était cependant une preuve de plus de sa volonté de respecter la décision du Grand Conseil.

Nous ne parlâmes cependant pas de notre rencontre avec le banni, ni de sa mort, mais Arouk raconta comment nous nous étions retrouvés face à une meute de loups et que j'avais failli être attaquée par un lynx. A ces mots, ma mère, qui était assise à mes côtés, me serra fort contre elle, de peur rétrospective.

Même si j'étais heureuse de retrouver les miens, de revoir des visages amis et proches, je ne veillai pas aussi longtemps que les plus enthousiastes. Ma mère me raccompagna jusqu'à notre abri, alors que Gourn, Arouk et même Kari demeurèrent encore un moment autour des feux. Ilya nous avait quittés un peu auparavant, devant elle aussi s'allonger car son bébé bougeait beaucoup et la fatiguait.

Ma mère m'aida à me dévêtir, après avoir relancé le feu qui brûlait en permanence dans notre abri. Son regard s'arrêta sur mon ventre arrondi. Puis elle tourna son visage vers moi et me dit, avec un sourire plein de tendresse :

- Il sera bientôt là. Quelle joie ! Je ne cesse de le répéter, je sais... Je ne pensais pas, qu'après ce qui était arrivé, les esprits t'auraient honorée si vite... Je pensais qu'ils auraient attendu ton union et qu'Arouk et toi ayez votre foyer...

- On ne sait jamais ce que vont décider les esprits, n'est-ce pas, maman ?

- Non, jamais...

Elle se détourna sans rien ajouter, et s'approcha du feu. Elle étendit à côté mes fourrures et celles d'Arouk, puis me demanda :

- Tu n'as pas froid ?

- Non, il fait bon dans l'abri.

- J'ai pensé chaque jour à vous deux, craignant que vous ne rencontriez des difficultés. La faim, le froid...

- Notre abri était bien conçu, maman. Et nous avions du bois facilement. Nous n'en avons pas manqué pour les feux, simplement, parfois, il était humide et c'était plus dur de les alimenter.

Elle hocha la tête :

- Oui, comme toujours en cette saison. Allons, ce n'est pas parce qu'il ne fait pas froid ici, que tu dois rester debout toute nue ! Là, les fourrures se sont réchauffées. Allonge-toi et dors.

Elle m'aida à m'installer, me recouvrit avec les fourrures qui, effectivement, avaient pris la chaleur du feu sans être brûlantes. Je me sentis immédiatement bien, protégée et au chaud.

- Je vais retourner un peu avec les autres, veiller aussi à ce que Kari ne tarde pas à se coucher.

En disant ces mots, elle ajusta encore les fourrures autour de moi, mais alors que je fermai déjà les yeux de sommeil, je lui dis :

- Maman... Tu sais... Je ne pouvais pas trouver meilleur homme pour mon foyer qu'Arouk.

Elle sourit simplement, se releva et sortit de l'abri.

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