Chapitre 7 (3ème partie)

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Je ne demeurai pas longtemps avec ma famille. Ma mère était inquiète pour moi, Gourn aussi, je le devinais. Mais je n'avais pas le temps de leur parler, d'évoquer cette décision avec eux. Tout ce que je savais, c'était qu'Arouk demeurerait loin de nous durant tout un hiver.

Je quittai notre abri alors que l'orage s'approchait, mais, malgré les éclairs de plus en plus blancs, je me dirigeai avec assurance vers la rivière. Je n'avais pas le temps de réfléchir, pas le temps de revenir sur ma décision. Je voulais voir Arouk, c'était la seule pensée qui me guidait.

J'arrivai près du gué alors qu'une première grosse goutte s'écrasait sur mon visage, je franchis la rivière rapidement pour me diriger vers notre bosquet. Arouk s'y trouvait déjà.

- Viens, Ourga, me dit-il en me prenant la main et en m'attirant sous le couvert des arbres.

Il avait tendu une grande peau entre les branches, pour nous faire un abri tout relatif contre la pluie. Nous nous y assîmes et, gardant ma main dans la sienne, il commença :

- Je vais me plier à la décision des conseils. Je pense que c'est la décision la plus sage qu'ils pouvaient prendre.

- Ils n'ont pas reconnu ton innocence ! m'exclamai-je, sentant la colère remonter en moi.

- Il était difficile de la prouver...

- Ils auraient dû entendre d'autres personnes !

- Les chefs et les Grandes Mères ont parlé séparément avec plusieurs personnes de chaque clan. Le père de Nema a ainsi été entendu avant que les conseils ne se réunissent.

- Il défend sa fille !

- C'est normal. Gourn te défend aussi.

Je me tus. Il avait raison.

- Mais tu ne peux pas rester tout seul ainsi !

- Je ne suis pas condamné à l'exil et je ne suis pas chassé de ton peuple, c'est déjà beaucoup pour moi, Ourga. Et devoir rester seul ne signifie pas rester loin. Bien entendu, tout contact avec les tiens sera impossible, aussi, je pense que je demeurerai près du campement d'été. D'une part parce que je ne serai qu'à quelques jours de marche de ton propre campement, ce qui me permettra de vous rejoindre aisément l'été prochain. Et d'autre part, parce qu'il restera ici suffisamment d'affaires qui n'auront pas été emportées et qui pourront m'être utiles.

- Mais s'il t'arrive quelque chose ! Comment feras-tu ? Tu pourrais te blesser, être attaqué par un animal...

- Nous avons beaucoup chassé dans les alentours et les prédateurs se sont éloignés. Bien sûr, je cours toujours un risque, mais en entretenant soigneusement plusieurs feux, je pourrai les éloigner. Ce n'est pas ce que je crains le plus. Par contre, il va me falloir chasser encore pour avoir assez de provisions pour tenir tout l'hiver. Quand on est au campement, c'est différent. Et on peut partir aussi chasser dans la neige, à plusieurs. Même si le gibier est plus rare. Et tant que la rivière n'aura pas gelé, je pêcherai aussi.

- Tu as déjà réfléchi...

- Oui, me répondit-il avec assurance. Maintenant... j'espère pouvoir revenir auprès des tiens l'été prochain.

- Pourquoi ne le pourrais-tu pas ?

- Voudras-tu encore de moi, Ourga ? Si tu ne le veux plus, alors, autant que je parte dès maintenant pour la Grande Mer Salée.

Je le regardai avec inquiétude et tristesse. Comment pouvait-il penser que je le rejetterais ? Alors que j'étais convaincue qu'il n'avait rien fait ? Je pris une longue inspiration et dis :

- Quand j'ai parlé devant les conseils, avant de m'en aller, j'ai dit que je voulais que tu sois l'homme de mon foyer, que je voulais toujours m'unir à toi. La décision des conseils ne change rien pour moi. Je sais que tu n'as pas forcé Nema. Je le sais.

Il me fixa un long moment, puis m'attira contre lui, m'embrassa longuement. Son baiser devint vite plus fort, plus fougueux. Je lui répondis tout autant, ressentant soudain le besoin intense de le retrouver, après avoir été tant privée de lui au cours des derniers jours. Sans nous soucier de la pluie qui frappait la peau tendue au-dessus de nous, nos mains fébriles partirent à l'assaut de nos corps, soulevant nos vêtements, dénouant nos lanières, nos ceintures.

Bientôt je fus nue et lui de même. Sans attendre plus, je m'assis sur ses genoux, pris sa tête entre mes mains et l'embrassai à nouveau. Ses mains couraient dans mon dos, empoignaient mes fesses, caressaient ma nuque. Nos langues dansaient dans nos bouches, se fouillant, se cherchant, comme affamées l'une de l'autre. Contre mon ventre, son sexe dressé vint buter, me marquant déjà de son envie brûlante. Mon propre jus inondait mes cuisses. Son premier gémissement mourut dans ma bouche, mais je rompis alors notre baiser et, haletante, je me soulevai légèrement pour venir m'empaler sur lui. Je ne pouvais plus attendre. Mon désir était encore plus violent que lorsqu'il s'était absenté durant la grande chasse ou que nous avions dû patienter durant ma période sanguine.

Le sentir en moi me fit me cambrer et je m'accrochai à ses épaules, alors que ma tête partait violemment en arrière et que mon cri s'élevait vers la nue. Ses coups de reins répondaient à mes mouvements de hanches, mais, bien vite, j'eus le sentiment de ne plus rien maîtriser sans savoir qu'il en allait de même pour lui. Notre plaisir fut très fort et alors que je serrai vivement mes jambes autour de la taille d'Arouk, il plongea son visage dans mon cou, en refermant ses bras autour de mon dos.

Ce fut un violent coup de vent, emportant notre maigre abri, et l'eau se déversant du ciel qui nous sortirent de notre étreinte.

- Oh !, criai-je en sentant la pluie s'abattre sur nous et mon réflexe fut alors de me coller plus encore à Arouk.

- Ourga..., me dit-il d'une voix encore essoufflée et marquée par le plaisir. Il faut rentrer au camp. L'orage est au-dessus de nous...

Je levai alors les yeux et, à travers les branches, maigres et futiles protections, je vis les éclairs éclater dans le ciel.

- Tu as raison...

A regrets, nous nous séparâmes et Arouk rassembla nos affaires. Nos vêtements avaient déjà pris l'eau et nous nous rhabillâmes comme nous le pûmes. Puis, courant sous la pluie, nous retournâmes à la rivière et la traversâmes au gué. Par chance, l'eau ne montait pas encore, mais d'ici peu et si l'orage durait, son lit se gonflerait et il deviendrait plus difficile de traverser. Arouk décida de regagner la tente de Liki et de Kian et je rejoignis les miens.

**

Toute la nuit, le tonnerre gronda, la pluie tomba. Au petit matin, le camp avait triste allure. La terre sèche était devenue une boue spongieuse qui collait aux pieds. Plusieurs abris avaient été endommagés. De jeunes enfants pleuraient, victimes d'une nuit trop courte et trop effrayante. Si la cérémonie des unions et le dernier conseil devaient marquer la fin de notre rassemblement, l'orage allait décider au moins deux des clans à partir. Les hommes et les femmes du Clan de l'Auroch et de celui du Lynx commencèrent à rassembler leurs affaires, à charger les paniers, les sacs de peau. Et, dès le surlendemain, ils nous quittèrent. Nous ne les retrouverions que dans cinq étés maintenant et, ma foi, je n'eus aucun regret à imaginer ne pas revoir Nema avant tout ce temps. A cause de ses mensonges, j'allais repartir avec les miens sans mon compagnon.

J'assistai de loin aux adieux entre Arouk et sa famille adoptive. D'ici deux à trois jours tout au plus, ce serait à moi de lui dire au revoir. Je ne pouvais accepter cette idée. J'en dormais mal, je me réveillais souvent, glacée, en proie à des cauchemars effrayants dans lesquels je le voyais succomber à de terribles blessures ou mourir de faim dans la neige. Parfois, aussi, une ombre l'accompagnait et je reconnaissais alors mon père. C'était pour moi un mauvais présage que mon père accompagne Arouk dans mes rêves. Comme s'il voulait me dire qu'ils allaient désormais faire route ensemble, dans le monde des esprits.

Une nuit, ce rêve fut si effrayant que je me réveillai en sursaut, en sueur, mais frissonnante de froid. Il me sembla avoir crié et quand je repris mes esprits, je craignis d'avoir réveillé les miens, mais je constatai bien vite que Kari dormait toujours profondément et que Gourn tenait ma mère enlacée sans qu'ils aient bougé le moins du monde. En soupirant, je reportai mon regard vers la porte de notre abri : il faisait encore nuit noire.

Je fermai les yeux durant un moment, espérant replonger dans le sommeil, mais les images de mon rêve me revinrent trop nettement à l'esprit et je sentis les larmes rouler sur mes joues sans que je puisse les arrêter. La mort de mon père était un souvenir lointain, mais terriblement douloureux, et imaginer qu'il puisse arriver la même chose à Arouk me donnait l'impression d'être au-dessus d'un précipice. Une légère nausée monta en moi, semblable à celles que j'avais ressentie le jour du grand conseil.

Je fixai alors le plafond de notre abri et, petit à petit, une idée s'imposa à moi. Elle me parut à peine folle, mais au final, très sensée. Au fur et à mesure que j'y réfléchissais, que je l'envisageais, le calme revint en moi, ma nausée s'éloigna et je pus retrouver le sommeil jusqu'au matin.

**

Durant le jour, nous nous activions nous aussi à nos préparatifs. Une fois les premiers clans partis, je retournai voir Arouk. Il s'était installé dans l'abri que Kian, Liki et lui-même avaient érigé au début du rassemblement. Il se trouvait dans le campement, mais quand même seul.

- Ca va, Ourga ?, me demanda-t-il en me voyant arriver.

- Pas très bien, dis-je. Je n'accepte pas l'idée de repartir sans toi.

- Tu vas devoir le faire, pourtant.

Je secouai la tête.

- Les conseils ont dit que tu ne pouvais pas demeurer avec nous jusqu'au prochain rassemblement. Ils n'ont pas décidé que tu devais rester seul. Je vais rester avec toi.

Il ouvrit de grands yeux.

- Ourga... Ce n'est pas possible !

- Et pourquoi est-ce que ce ne le serait pas ?

- Mais... Que dira Grak ? Et ta Grande Mère ? Sans parler de tes parents...

- Je ne leur en ai pas parlé, pas encore. Mais ma décision est prise. Et personne ne pourra m'obliger à repartir avec le Clan de l'Ourse. Je suis libre de rester, si je le veux.

Il demeura silencieux un moment. Puis dit :

- Bien sûr que c'est dangereux de rester seul. Si tu es avec moi, ce sera dangereux pour toi aussi. S'il t'arrive quelque chose, Ourga... Je ne le supporterai pas.

- Et si c'est à toi qu'il arrive quelque chose, c'est moi qui ne le supporterai pas, dis-je avec conviction. Arouk... pas plus qu'on ne peut m'empêcher de rester, tu ne peux m'obliger à partir avec les miens.

Il baissa la tête, soupira, la secoua, puis me regarda droit dans les yeux.

- C'est juste.

- Alors, je resterai, dis-je en tendant la main vers son visage.

Je laissai mes mains courir sur ses joues qu'il avait débarrassées de sa barbe naissante. Sa peau était douce sous mes doigts. Il me fixa sans ciller, jusqu'à ce que j'effleure ses lèvres des miennes et l'embrasse tendrement. Puis je m'écartai et, avant de retourner vers les miens, j'ajoutai encore :

- Je t'aime et ma place est avec toi. Ici ou là-bas.

**

Le Clan de la Louve fut le sixième à quitter les lieux. Je dis au revoir à mon frère et à Oda, espérant les revoir l'été prochain. Puis, le lendemain, ce fut celui du Renne et ce fut au tour d'Ilya de dire adieu aux siens. Le soir-même, je gagnai la tente de ma Grande Mère pour lui parler. Le grand campement paraissait bien vide, après avoir tant bruit de vie et d'animation.

- Entre, Ourga, me dit-elle alors que j'approchai et qu'elle se trouvait dans sa tente.

Elle n'avait pu me voir arriver, mais sans doute avait-elle senti ma présence. Je me glissai alors dans sa tente et vins m'asseoir face à elle.

- Bois ceci, tu as soif, n'est-ce pas ?

- Oui, c'est vrai, dis-je et j'acceptai la préparation chaude qu'elle me tendit.

Nous restâmes silencieuses quelques instants, puis je dis :

- Grande Mère, je voulais te voir pour te dire...

- ... que tu vas rester avec Arouk, termina-t-elle ma phrase alors que j'avais marqué une courte hésitation.

- Oui, dis-je en baissant la tête.

- N'aie pas honte de ton choix, Ourga, me dit-elle pour que je la regarde à nouveau.

- Je n'en ai pas honte. Mais je ne veux pas rester sans lui. Je... je sens que je dois rester avec lui.

Elle me fixa sans rien dire, puis hocha simplement la tête.

- Je vais préparer quelques plantes qui vous seront utiles durant l'hiver, si vous tombez malades ou si vous vous blessez. Bien sûr, il vous faudra être prudents, surtout quand vous irez chasser.

- Oui, c'est le principal danger, dis-je. Merci.

- Quand nous serons de retour chez nous, j'irai à la rencontre des esprits et je leur demanderai de veiller sur vous.

Je souris gravement, mais ne dis rien.

- Je parlerai à Grak ce soir, ajouta-t-elle. Va maintenant. Partage ta dernière soirée avec ta famille.

- Merci, Grande Mère.

- Nous nous reverrons demain. Bonne nuit, Ourga.

- Bonne nuit, Grande Mère.

Je ressortis de sa tente et rejoignis directement la nôtre. Ma mère me dit :

- Ourga, où étais-tu ? Tu as encore des affaires à préparer...

- J'étais avec notre Grande Mère, maman. Je voulais lui parler.

- Ha, dit-elle en s'interrompant et en me fixant avec gravité.

- Oui, dis-je, en m'asseyant face à elle. Je vais rester avec Arouk et je vous rejoindrai, avec lui, l'été prochain.

- Tu... tu vas rester avec lui ? Mais... les conseils ont décidé...

- Ils ont décidé qu'il ne pouvait repartir avec nous ou avec le Clan du Lynx. Pas m'interdire de rester avec lui. Maman, c'est lui que je veux comme compagnon ! Je ne peux pas l'abandonner maintenant ! Je... je dois rester avec lui.

A mes mots, elle me regarda plus gravement encore, un peu comme ma Grande Mère l'avait fait. Elle soupira et dit :

- Bien. Alors, si tu restes avec lui, je vais te laisser aussi des affaires dont vous pourriez avoir besoin. Tu garderas les plus chaudes fourrures, nous, nous aurons de quoi faire. Et de la nourriture aussi. Tu prendras une part sur ce qui nous revient de la dernière grande chasse et que nous avions fumé.

- Merci.

- Il faudra vous construire un abri solide et chaud.

- Nous aurons de quoi faire avec ce qui va rester ici.

- Il faudra le faire plus loin, et plus haut, surtout.

- A cause de la crue de printemps, oui, je sais, dis-je. Je le dirai à Arouk. Il ne connaît pas assez bien les lieux.

- Ne vous éloignez pas trop, cependant, me dit-elle encore. Ainsi... ainsi, vous serez plus proches de nous pour nous rejoindre.

- C'était ce que nous avions l'intention de faire.

- Tu lui as dit ce que tu voulais faire ?

- Oui. Il a essayé de m'en dissuader, mais j'ai refusé.

- D'accord. Allons, aide-moi, puisqu'il faut organiser notre voyage un peu différemment...

Je passai donc la fin de la journée à aider ma mère et Gourn qui, de son côté, avait réalisé de grands supports de bois pour porter et tirer les charges les plus lourdes. Quand je lui fis part de ma décision, il me prit dans ses bras et me dit simplement :

- Arouk a beaucoup de chance de t'avoir avec lui. J'espère qu'il prendra soin de toi.

- Il le fera, dis-je. Comme si nous avions pu nous unir.

Il hocha la tête et n'ajouta rien.

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