Chapitre 7 (2ème partie)

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L'air était lourd. Le ciel était d'un blanc-gris éblouissant. Sans doute qu'un orage se préparait. Mais l'air était lourd aussi des tensions accumulées depuis ces derniers jours, depuis les révélations de Nema.

Sans doute la fête de la dernière cérémonie d'union avait-elle été réussie, si je me fiais aux allures de quelques-uns. Sans doute plusieurs des couples étaient-ils heureux de leurs premières heures d'union et avaient-ils passé une belle nuit. Mais pour beaucoup, ce jour, ce lendemain de fête, était attendu pour toute autre chose.

Alors que le soleil, avant d'être caché par les nuages chargés de pluie, était encore en pleine ascension, les chefs et les Grandes Mères s'étaient réunis dans la grande tente. A l'extérieur, plusieurs familles attendaient et principalement celles de Nema, d'Arouk et de la mienne. Mais aussi des proches. On pouvait compter une grande partie des membres du Clan de l'Ourse et du Clan de l'Auroch. Les uns en soutien à moi-même, les autres pour soutenir Nema. Eda se trouvait là aussi et nous eûmes l'occasion d'échanger un long regard. J'y puisai un peu de réconfort. Elle aussi serait certainement appelée à témoigner, suite à ce qu'elle avait révélé. Mais tous attendaient surtout Nema et Arouk.

Nema fut la première à entrer dans la grande tente après que les chefs et les Grandes Mères l'y eurent invitée. Elle y resta longtemps et ne fut pas autorisée à en sortir lorsqu'Arouk fut appelé à son tour. Le temps passait, le soleil était déjà au plus haut point de sa course. Ma mère et Gourn étaient venus avec moi et elle s'éloigna un instant pour retourner à notre tente, chercher à manger et à boire. L'air de plus en plus lourd nous desséchait la gorge. Je m'étais assise un peu à l'écart de tous, même si je pouvais percevoir le soutien d'une grande partie des miens. Avant que ma mère ne revienne, Ilya me rejoignit et s'assit en silence auprès de moi, me prenant un bref instant la main. Je la remerciai d'un regard, incapable de dire le moindre mot. Par moments, Gourn me passait la main dans le dos ou sur l'épaule, sans doute quand il sentait que je flanchais. Et plus encore, lorsque nous avions vu Arouk gagner la grande tente. Il avait marché droit devant lui, sans regarder personne, sans même chercher à croiser un regard. J'ignorais s'il avait remarqué ma présence. Mais son pas était décidé et, alors qu'il se penchait légèrement pour soulever la peau fermant l'entrée de la tente, je ressentis une bouffée d'admiration pour lui.

Ma mère revint peu après, me tendit un morceau de viande séchée, mais je n'avais pas faim. Je ne pus que boire un peu. Ce n'était plus le même manque d'appétit, c'était la peur, l'angoisse. Qu'allaient décider les conseils ? Qu'allait devenir Arouk ? Et moi ?

Je me sentais maintenant si proche de lui. Je l'aimais. J'avais compris le sens de ce mot. Aimer. Je ne pouvais imaginer vivre sans lui à mes côtés. Devrais-je partir moi aussi ? Sans pour autant avoir pu m'unir à lui ? Les enfants de mon foyer seraient-ils alors protégés ? Oui, en cela, j'avais peur.

Enfin, après un temps qui me sembla avoir duré une éternité, alors que le soleil avait cette fois totalement disparu derrière les gros nuages chargés de pluie, la peau de l'entrée de la tente se releva. Nema, puis Arouk en sortirent, suivis par Grak et un autre chef de clan. Ceux-ci désignèrent plusieurs hommes pour les entourer et les isoler. Nul ne devait parler ou échanger avec eux. Avant de retourner dans la tente, Grak fit un signe à Eda et celle-ci le suivit. Elle demeura beaucoup moins longtemps que les autres, puis ce fut mon tour d'être appelée.

**

Tous les chefs et toutes les Grandes Mères étaient assis en un cercle presque fermé. Ce fut la Grande Mère du Clan de la Chouette qui m'adressa la parole. Je compris que c'était elle qui "menait" le conseil, dans le sens où aucun des protagonistes n'étaient liés à son clan.

Elle me dit :

- Ourga, tu seras la dernière que nous entendrons. Tu sais que ce qui arrive est grave, car aucun homme n'a le droit de forcer une femme à partager le plaisir si elle ne le souhaite pas. Aussi, les accusations que Nema porte à l'encontre d'Arouk méritent-elles d'être entendues et nous devons prendre une décision concernant ces faits. Mais il est grave aussi d'accuser faussement. Tu as passé une grande partie de ce rassemblement avec Arouk et tu as tracé le cercle de pierres pour lui, montrant ainsi ta volonté de t'unir à lui, de fonder un foyer avec lui. Il est donc très important que nous entendions tes paroles, que tu nous dises comment les choses se sont passées entre toi et lui.

Je déglutis, hochai la tête, puis, après un petit temps de silence et de réflexion, je commençai mon récit :

- Dès le premier jour où j'ai croisé Arouk, il m'a plu. J'ai eu envie de le connaître. Mais aussi de partager le plaisir avec lui. La première fois qu'il est venu me parler, j'étais au bord de la rivière, seule. J'avais pêché quelques poissons et je me reposais au soleil, après m'être baignée. J'étais nue. Il s'est approché de moi et nous avons fait connaissance. Puis, à un moment, il m'a dit qu'il avait envie de partager le plaisir avec moi et je lui ai répondu de même. A aucun moment, il n'a fait le moindre geste violent envers moi.

- Est-ce à dire que, si tu avais refusé, tu penses qu'il n'aurait pas insisté ?, demanda la Grande Mère du Clan de l'Auroch.

A travers sa question, et même si sa voix était posée, je pus percevoir son trouble.

- Je ne pense pas qu'il l'aurait fait, dis-je d'une voix assurée.

- Comment les choses se sont-elles passées ensuite entre vous ?, demanda la Grande Mère du Clan de la Chouette.

- Il a toujours été respectueux de moi, dis-je. Et... il sait être patient, aussi. Il attend toujours que je sois prête.

Je marquai un temps de silence, me demandant si on allait me poser d'autres questions, puis je repris la parole :

- La dernière fois que j'ai eu ma période sanguine, juste après la cérémonie des rites initiatiques, il m'a attendue à nouveau. Il n'a pas profité de la grande fête pour aller vers une autre femme que moi. Il aurait pu.

Je sentis courir comme un frémissement dans toute l'assemblée et en particulier, parmi les chefs. Rares étaient les hommes qui se comportaient ainsi. A l'occasion des grandes fêtes, quand la compagne d'un homme avait sa période, la plupart d'entre eux passaient la nuit avec une autre femme. Oui, Arouk était vraiment différent.

- Bien, dit la Grande Mère du Clan de la Chouette. Il était important que tu nous dises tout cela, Ourga. Nous allons maintenant prendre notre décision. Tu vas pouvoir retourner avec les tiens.

Je me levai alors, fis un bref signe de tête pour les saluer, mais j'hésitai encore un instant. Ma Grande Mère perçut mon hésitation et prit alors la parole :

- Veux-tu dire autre chose, Ourga ?

- Juste... que c'est avec lui que je veux m'unir. Je veux qu'il soit l'homme de mon foyer.

Personne ne me répondit, mais plusieurs Grandes Mères firent un petit signe en ma direction que je perçus comme amical. Je quittai alors le cercle des conseils et me dirigeai vers l'entrée de la tente. Quand j'en sortis, un sourd grondement de tonnerre se fit entendre dans le lointain, se répercutant tout le long de la haute falaise.

**

J'avais rejoint ma mère et Gourn, Ilya et Kaarg qui lui tenait la main. Je perçus toute l'inquiétude de mon amie et je me dis qu'elle avait de la chance d'avoir maintenant un compagnon tel que Kaarg à ses côtés, pour la soutenir. Lorg était présent aussi, avec Oda. Cette dernière me confiera plus tard qu'elle avait pensé que le conseil l'aurait fait appeler. Mais sans doute que les dires des Grandes Mères avaient été suffisants pour témoigner du comportement d'Arouk avant et pendant la cérémonie des rites.

Je m'assis près de ma mère qui m'entoura de ses bras. Je vins me nicher contre son épaule. Puis Oda s'assit à mes côtés et posa sa main sur mon bras. Je me retournai, un peu surprise. Elle me sourit doucement. La timidité avait déserté son visage et même son allure, depuis qu'elle avait été initiée. Je fus soudain frappée du changement qui s'était opéré en elle. Sans doute mon frère y était-il pour beaucoup.

- Ourga... Je suis certaine qu'Arouk n'a pas forcé Nema. Je voulais te le dire.

- Merci, Oda, répondis-je simplement car je ne savais pas quoi ajouter.

Puis je reposai ma tête contre l'épaule de ma mère et je demeurai ainsi, tant que le conseil dura.

Les nuages devenaient de plus en plus épais, de plus en plus gris. Le tonnerre résonnait désormais en continu et, au loin, au-dessus de la plaine où s'étaient déroulées les grandes chasses, on pouvait déjà voir les éclairs zébrer le ciel. D'ici peu, l'orage serait sur nous et nous devrions tous rejoindre nos abris. L'orage nous effrayait toujours. On ne savait jamais où il allait frapper. Je vis plusieurs familles rejoindre les tentes, des enfants commençaient à s'agiter, à crier, à manifester leur peur. J'avais peur aussi, mais l'orage en était la dernière des raisons.

Enfin, Grak apparut, suivi des Grandes Mères et des autres chefs de clan. Ma Grande Mère fermait la marche. Arouk et Nema furent appelés et ils se placèrent, debout, face aux membres des conseils. Nous formions tous plus ou moins un grand demi-cercle autour d'eux. Grak prit la parole.

- Les Conseils ont entendu toutes les personnes concernées, suite à l'accusation portée par Nema d'avoir été forcée par Arouk. Les Conseils ont pris leur décision et chacun devra la respecter, clan, famille ou membre de notre peuple. Ceux qui ne le feraient pas pourraient se retrouver gravement en tort.

Je frémis à ces mots. La peur me nouait le ventre. Je ressentis soudain une violente nausée, mais ma mère me serra fort contre elle et cela me calma. Grak poursuivit :

- Nous tenons à rappeler combien nous estimons tous qu'il est grave de vouloir forcer une femme aux plaisirs si elle ne le veut pas. Chaque homme se doit de respecter cette règle. En cela, nous avons entendu les dires de Nema. Mais, vous le savez tous, il est difficile aussi de savoir, surtout plusieurs lunes après les faits, si cela s'est vraiment produit. Nema n'aurait pas dû être forcée, mais elle aurait dû venir trouver sa Grande Mère ou toute autre Grande Mère présente juste après. D'une part pour être réconfortée et d'autre part, pour que celui qui avait commis cette violence soit puni. De plus, Nema aurait dû alerter les Grandes Mères quand elles ont désigné Arouk pour les rites initiatiques. Nous avons entendu aussi deux femmes qui ont partagé les plaisirs avec Arouk et toutes deux nous ont parlé de son attitude, de l'attention qu'il leur accordait, du soin qu'il prenait d'elles. Nous savons aussi que le rite initiatique d'Oda s'est très bien passé. Et c'est tant mieux. Aussi, nous avons décidé qu'il était difficile de savoir la vérité. Nous avons donc voulu, par notre décision, rappeler les devoirs de chacun et chacune. Arouk ne pourra pas demeurer durant une année avec nous tous. Il devra rester à l'écart et ne pourra nous rejoindre que l'été prochain, lors du petit rassemblement. A lui le choix de rejoindre le petit rassemblement auquel participera le Clan du Lynx, son clan, ou le Clan de l'Ourse, celui d'Ourga. Si, l'été prochain, Ourga souhaite toujours s'unir à lui, cette union sera alors célébrée lors de la première des cérémonies d'union du rassemblement. Nul ne pourra plus rien lui reprocher. Mais je voulais aussi rappeler à toutes les femmes leur devoir : nous ne pouvons tolérer que de tels actes soient rapportés tardivement, car il en va de l'équilibre de nous tous, de la protection que nous devons assurer à toutes et, principalement, aux plus jeunes. Aussi, quand le Clan de l'Auroch aura rejoint son campement, Nema devra-t-elle passer trois lunes en compagnie de sa Grande Mère pour entendre sa parole et sera isolée de son clan. Voilà ce que les conseils ont décidé.

Grak se tut. Durant un long moment, personne ne dit rien. Arouk demeurait debout, fixant les membres des Conseils et principalement Grak. Il me sembla plutôt soulagé, même si son innocence n'avait pas été reconnue. Il n'avait pas non plus été formellement reconnu comme coupable de ce que Nema lui reprochait. A bien y réfléchir, la décision des Conseils était plutôt sage, préservant l'harmonie entre tous, mais rappelant aussi les devoirs de chacun et chacune. Je ne savais pas comment Nema vivrait de devoir demeurer avec sa Grande Mère durant trois lunes, sans pouvoir parler avec ses proches, mais je me disais que ce ne serait pas forcément très agréable pour elle. Mais je pensais surtout à Arouk, qui allait devoir passer tout l'hiver et le printemps seul, sans la moindre aide, sans la moindre présence humaine. Il n'était pas chassé de notre peuple, il n'était pas condamné à l'exil. Mais il serait loin de nous tous, isolé, et cela pouvait être dangereux. S'il tombait malade, s'il se blessait, s'il était attaqué par un animal, il ne bénéficierait d'aucun soutien et pourrait mourir. A cette pensée, je frissonnai et ma mère me serra plus fort encore contre elle.

Du côté du Clan de l'Auroch, les réactions étaient mitigées, mais nul n'osa élever la voix, pas même le père de Nema. Il s'avança cependant vers sa fille, la prit dans ses bras et la ramena sans un mot vers leur campement. Ce fut comme un signal et tous s'éloignèrent, les uns après les autres. Quand presque toute l'assistance fut partie, Arouk se dirigea vers Kian et Liki. Ils l'entourèrent et parlèrent un moment. Je compris qu'ils allaient rejoindre le campement du Clan du Lynx, mais, avant, Kian s'approcha de nous de sa démarche cahotante.

- Ourga, Arouk voudrait te parler, mais il pense que ce n'est pas le bon endroit. Il a dit que tu pouvais le rejoindre tout à l'heure près de la rivière, que tu saurais où. Si tu veux le voir, bien sûr, ajouta-t-il après une petite hésitation.

- Dis-lui que j'irai, répondis-je simplement.

Puis je regagnai notre abri avec ma mère et Gourn.

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