Chapitre 9 (4ème partie)

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La neige dans mon dos était glaciale. Le poids sur mon corps était lourd, pesant. Malgré mon ventre un peu rond, je luttais de toute la force que je possédais pour échapper à la poigne puissante qui emprisonnait mes mains. Je donnais des coups de pied, j'avais mordu, aussi, et le sang qui s'échappait de la joue de l'homme m'aveuglait.

- Laisse-toi faire, femelle !

Et il me plaqua au sol violemment, puis tira sur ma ceinture et arracha mes jambières. Je donnai encore de vigoureux coups de pied, mais les forces commençaient à m'abandonner. Depuis qu'il avait surgi par derrière, comme un fauve qu'on n'entend pas, alors que j'étais seule autour du foyer, Arouk étant parti à la chasse vers l'aval, je tentais de lui échapper.

- Je me doutais bien qu'il n'était pas seul... Je ne sais pas pourquoi tu es avec lui, mais je vais bien profiter de toi ! Et de vos provisions aussi...

- Lâche-moi ! Je porte un enfant...

- Pff ! Racontars que tout cela ! Une femme avec un enfant ne doit pas être loin de son clan ! Ou alors, tu as commis un crime affreux et alors qu'importe !

Et il me bloqua durement au sol. Le sang et les larmes maculaient mon visage. J'étais encore plus effrayée que lorsque j'avais dû affronter Drong. Je pensais à mon bébé. Je voulais protéger mon bébé de cet homme et de sa violence. Prenant une profonde inspiration, de toutes mes forces, je hurlai :

- Arouk !

Mais l'homme me bâillonna de sa bouche. Son baiser était dégoûtant et j'eus aussitôt un haut-le-coeur. Mon dégoût augmenta encore lorsque je sentis ses mains parcourir mes cuisses, glisser sur mon ventre et fourrager dans ma toison. Ma peur était devenue terreur et j'en oubliai le froid de la neige.

Je crus bien basculer dans l'horreur absolue lorsque soudain l'homme fut tiré en arrière et j'entendis alors le cri d'Arouk :

- Lâche-la ou je te tranche la gorge !

Tremblante, j'ouvris les yeux et, malgré le sang et mes larmes, je vis Arouk tenant l'homme par les cheveux, un de ses couteaux appuyant sur la bosse de sa gorge. Il tremblait maintenant. C'était son tour de trembler et d'avoir peur. Frissonnante, je reculai loin de lui, me traînant sur la neige, une main posée sur mon ventre comme pour protéger encore mon bébé.

- Lâch... laisse... laisse-moi..., souffla l'homme d'une voix faible.

- Tu as déjà fait ça, hein ? Tu as déjà fait violence à une femme, n'est-ce pas ? Tu n'es pas à la chasse... Tu es un banni !

L'homme tentait de se débattre, mais Arouk le tenait fermement, bloquant ses jambes par ses propres genoux. Je voyais toute la fureur se déployer sur son visage et je pouvais me douter qu'il se contenait difficilement. Déjà une goutte de sang perlait sous la lame du couteau.

- Ourga est ma compagne, lâcha Arouk avec rage. Tu ne la touches pas. Elle attend un enfant. Elle est sous ma protection. Tu sais ce qu'on fait à ceux qui violentent les femmes et plus encore, si elles attendent un enfant ?

- Ar... argh... Je... je suis... comme toi...

- Comment ça ?

Le couteau s'écarta à peine de la gorge de l'homme, mais il le sentit et parla plus nettement :

- Toi aussi... tu es... un banni...

Puis il reprit sa respiration et ajouta :

- Toi aussi, tu as forcé une femme.

Arouk maintenait sa poigne, mais se figea à ses mots. L'homme n'ajouta rien, ferma les yeux et il lança un violent coup de coude dans le ventre d'Arouk. Celui-ci étouffa un cri, se plia légèrement, mais sans lâcher la tête de mon agresseur. Cependant, l'autre en profita pour le faire basculer dans la neige, le frapper encore et se jeter sur lui. Il s'en suivit une violente mêlée. Les coups répondaient aux coups, le sang giclait sur la neige. Arouk n'avait pas lâché son couteau, mais je craignais aussi que ce sang ne soit le sien.

Je m'étais redressée d'un bond, lorsque l'homme avait projeté Arouk au sol. A demi-nue, debout près du foyer qui me séparait des deux hommes, mon regard, hagard, ne pouvait se détacher du combat qui se menait à quelques pas de moi. Dans mon esprit, mes pensées se bousculaient. Enfin, l'une parvint à prendre le dessus : je devais moi aussi trouver une arme. Dans le foyer, je saisis alors une branche dont seule une extrémité avait commencé à brûler. Un tison rougi la marquait.

Le combat se poursuivait. La neige voletait autour d'eux. L'homme semblait posséder plus de force et d'énergie que sa mine fatiguée et lasse nous avait laissé supposer. Mais j'avais moi-même eu à faire à cette force, quelques instants plus tôt, et je craignais alors qu'il ne soit un rude combattant pour Arouk.

Un grand cri retentit et je vis l'amas de fourrure s'effondrer. Un des combattants avait été sérieusement blessé, c'était certain. Mais lequel ? Alors qu'une longue traînée de sang s'écoulait maintenant sur la neige, jusqu'à toucher les pierres entourant notre foyer, je vis Arouk se redresser et repousser son adversaire, qui se retrouva sur le dos. Du sang s'échappait de sa bouche, mais c'était une plaie béante à son cou qui marquait ainsi la neige.

- Arouk !

J'avais voulu crier, mais mon appel n'était qu'un gargouillis sortant péniblement de ma gorge. Je m'effondrai au sol, épuisée, frissonnante autant de peur que de froid dont la sensation me revenait maintenant. Je laissai s'échapper de mes mains le morceau de bois. Arouk se redressa et se précipita vers moi, m'entourant de ses bras.

- Ourga... Est-ce que ça va ? T'a-t-il... ?

Je secouai la tête, incapable de prononcer le moindre mot. Quelques instants plus tôt, je croyais ma fin venue et maintenant... j'étais sauve et mon enfant de même. Mais le choc était si violent que je ne pus que me laisser aller contre Arouk en sanglotant. Il me garda un instant contre lui, puis me souleva et m'amena dans l'abri, m'étendit sur notre couche. Je tremblais encore, de peur autant que de froid. Il ramena nos fourrures sur moi, me caressa doucement la joue et dit :

- Calme-toi. Maintenant, tout va bien. Il ne te fera plus aucun mal.

Il se leva alors, raviva le feu à l'intérieur de l'abri et s'activa à faire fondre de la neige, à me réchauffer un peu de soupe qu'il nous restait de la veille. Il sortit pour récupérer mes jambières, les regarda avec soin, puis les étendit près du feu pour les réchauffer. Il revint ensuite avec le tout et la chaleur qui émana de mes fourrures me calma un instant, car je claquais si fort des dents que j'étais incapable d'avaler la moindre gorgée. Arouk m'aida à m'asseoir, puis me reprit contre lui. Seule sa présence put faire cesser mes tremblements et je bus avec soulagement le bouillon.

- Peux-tu me parler, Ourga ?

Je hochai la tête. Il me demanda alors :

- Que s'est-il passé ? J'ai entendu un bruit de lutte en approchant, tu as crié aussi, n'est-ce pas ?

- Oui... Juste avant... avant... Oh, Arouk ! J'ai eu si peur... si peur pour... pour mon bébé...

Il me serra fort contre lui, les larmes jaillirent à nouveau de mes yeux.

- Il n'a pas eu le temps de te forcer, n'est-ce pas ? Dis-le moi, mon amour, que je suis arrivé à temps...

- Oui... Oui. Tu es... arrivé à temps.

Je sentis alors tout son soulagement et remarquai simplement combien il était encore tendu, tant ses muscles étaient durs. Je m'inquiétai alors :

- Il t'a blessé ?

- Rien de grave. J'ai plus de son sang sur moi que j'ai versé du mien. Mais je vais aller nettoyer cela.

Nous restâmes un long moment enlacés, puis il me dit :

- Repose-toi. Je vais... j'ai à faire, dehors.

Je le suivis des yeux, inquiète déjà qu'il s'éloigne de moi. Mais, vaincue par toutes ces émotions, je m'étendis sur notre couche, bien au chaud sous les fourrures, tentant de vaincre les derniers frissons qui m'agitaient encore dès que je repensais à ce qui venait de se produire.

**

Toute la nuit qui suivit, je fus très agitée, dormant mal, me réveillant par à-coups. Arouk dormit mal lui aussi, et pas uniquement parce que je le tirais du sommeil à chaque cauchemar ou vision effrayante. La pire fut vers le matin, quand j'eus à l'esprit l'image de cet homme dévorant mon bébé. Arouk me câlina comme il le put, se fit aussi rassurant que possible. Mon bébé était toujours en sécurité dans mon ventre.

Oui, je dormis très mal, je revoyais le combat, le sang sur la neige, mais aussi l'homme se jeter sur moi alors que j'étais accroupie près du foyer. Il avait surgi par-dessus le rocher, sans que je l'entende. Sans doute observait-il notre petit campement depuis un moment et avait-il attendu qu'Arouk soit assez loin pour s'en prendre à moi. Mais il ignorait qu'Arouk n'allait pas si loin que cela pour relever les collets qu'il posait encore, ayant repéré des traces de lièvres dans la neige fraîchement tombée, un peu vers l'aval.

Arouk était revenu à temps. Je n'étais pas blessée, tout juste des marques rouges autour de mes poignets et sur une de mes cuisses, mais qui s'effaceraient bien vite, en quelques jours. Non, je n'étais pas blessée et mon bébé allait bien.

Mais Arouk avait tué un homme. Tué pour que je reste en vie et mon bébé aussi. Un homme qui avait, par le passé, forcé au moins une femme pour être banni de son peuple. A quel clan appartenait-il vraiment ? Le saurions-nous un jour ? Il était de notre peuple, c'était indéniable. Mais depuis quand avait-il été banni ? Cela devait remonter loin...

Arouk avait, avant la tombée de la nuit, traîné le corps le plus loin possible de notre abri : il savait qu'il attirerait bien vite des charognards et voulait éviter que ceux-ci ne viennent ensuite jusqu'à nous. Il était impossible de toute façon de l'enterrer, en partie à cause de la neige, mais surtout du sol gelé. Et la rivière étant elle aussi de glace, le courant ne pouvait l'emporter. Il avait déposé ses affaires à côté de son corps. Il ne voulait rien garder qui lui appartienne, hormis son amulette que nous ramènerions à ma Grande Mère pour qu'elle puisse faire appel aux esprits.

Puis il était revenu jusqu'à notre abri, avait nettoyé soigneusement les traces de sang autour du foyer, refait du feu aussi. Enfin, il m'avait rejointe dans l'abri, s'était allongé près de moi et m'avait serrée fort contre lui. Ni lui, ni moi, n'avions eu d'appétit ce soir-là et nous nous étions endormis sans manger. Difficilement, certes, mais endormis quand même.

Dans la matinée, alors qu'un pâle soleil d'hiver jetait ses rayons sur la neige argentée, je m'étais quand même relevée, poussée par un besoin pressant. Mon visage portait encore les preuves de ma nuit difficile, mais je me sentis soulagée en voyant que toutes les marques du combat et de la mort du chasseur avaient été effacées au mieux. J'en eus les larmes aux yeux de constater combien Arouk avait pris soin de m'épargner jusqu'à la plus petite trace de ce terrible souvenir. Un feu allumé en direction de la rivière était vif et un lièvre rôtissait en faisant tomber parfois quelques gouttes de graisse sur les braises de notre petit foyer, devant notre abri. Arouk avait allumé un troisième feu, derrière l'abri, pour éloigner les animaux. Malgré toutes ses précautions, il n'avait pas été facile d'éliminer toutes les traces de sang, notamment celles qui avaient marqué la neige alors qu'il traînait le corps du chasseur le plus loin possible. Il me dit l'avoir emmené jusqu'au-delà du premier éboulis, au pied de la falaise. Même si on ne voyait en cette saison aucune trace de l'éboulis, à cause de la neige, cela faisait quand même une assez belle distance.

Après avoir uriné, je revins vers notre abri en marchant doucement, presque précautionneusement. Je me sentais fatiguée, mon dos était raide et j'avais encore, par moments, des frissons qui me descendaient tout le long de l'échine, quand je repensais à ce qui était arrivé. En approchant du feu, pourtant, soudain, je m'arrêtai. Arouk était accroupi et surveillait la cuisson du lièvre. Il releva la tête en m'entendant arriver, mais surtout, en entendant mon long soupir.

- Ourga ? Ca va ?

- Arouk...

J'étais debout, immobile à quelques pas de lui. Mon regard était fixé sur un point lointain que je ne voyais pas. Lentement, je portai mes mains vers mon ventre, les posant sous le renflement que mes fourrures cachaient à peine et encore moins quand je les plaquais contre ma peau. Je déglutis et soufflai :

- Le bébé... je le sens bouger.

Arouk se leva prestement et vint jusqu'à moi. Il s'arrêta avant de me toucher, me fixa droit dans les yeux. Son regard débordait d'une émotion qui me fit chavirer, mais il tomba à genoux devant moi et m'entoura alors de ses bras, puis reposa doucement sa tête sur mon ventre.

- Oh, Ourga... C'est bon signe, c'est très bon signe...

Je laissai couler mes larmes sans chercher à les retenir : oui, c'était bon signe. Mon bébé allait bien et je devais aller bien, moi aussi, maintenant.

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