Chapitre 7 (1ère partie) : Le grand conseil

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Après l'abattement et le chagrin qui m'avaient envahie, la visite d'Ilya m'avait réconfortée. Je sentis un regain d'énergie en moi, alors que les chants de la fête me parvenaient plus nettement. C'était comme si j'étais sortie de ma torpeur. Je quittai moi aussi la tente, regardant vers les grands feux. Il n'était pas encore très tard et rares étaient les personnes qui avaient déjà regagné leurs abris, peut-être seulement quelques mères avec des petits enfants.

Je pris une profonde inspiration et, d'un pas décidé, je tournai le dos aux grands feux pour me diriger vers l'extérieur du campement, là où les conseils avaient demandé à Arouk de demeurer, le temps qu'une décision soit prise le concernant. En approchant, je vis une seule silhouette, ce qui ne m'étonna pas vraiment : les "gardiens" avaient dû s'arranger entre eux pour se relayer et participer ainsi, à tour de rôle, aux festivités.

- Ourga ?

Je souris dans l'ombre. Je connaissais bien cette voix, puisque c'était celle d'un des hommes de mon clan, Darank, un des proches de notre chef.

- Oui, Darank, c'est moi.

- Tu n'es pas avec les autres ?

- Non, je n'avais aucune envie de participer à la fête. Je n'ai pas le coeur à rire, même si je suis heureuse pour mon frère et pour mon amie Ilya.

- Tu aurais dû être avec eux et Arouk aussi, me dit-il. Un homme comme lui ne commettrait pas ce dont on l'accuse.

Ces mots me touchèrent. Je ne pensais pas que l'un des miens se serait exprimé aussi clairement en faveur d'Arouk, du moins, tant que les conseils ne s'étaient pas réunis. Il poursuivit :

- Tu veux le voir ?

- Oui. Je peux ?

- Bien sûr. Si tu me promets de ne rien faire pour qu'il s'en aille.

- Je ne ferai rien en ce sens, je te le promets.

Il s'écarta alors et, avant de rentrer sous l'abri où se trouvait Arouk, je jetai un regard en arrière et le vit s'éloigner un peu, pour nous laisser une certaine intimité. Je lui en fus silencieusement reconnaissante.

Et je soulevai alors le pan de peau qui refermait la tente.

**

Arouk était assis à l'intérieur, tourné vers l'entrée. Un tout petit feu brûlait sur un côté, dégageant surtout un peu de lumière. J'aperçus ses fourrures soigneusement étalées derrière lui, ainsi que quelques affaires, sans doute un peu de nourriture également.

- Ourga ?

Sa voix était teintée d'inquiétude, mais aussi de joie à me revoir. Mon coeur se serra en l'entendant et une émotion violente me saisit, à m'en faire mal, amenant des larmes au bord de mes cils. Mais je les chassai en respirant bien fort. Je n'étais pas venue pour pleurer.

Je m'approchai de lui et il se leva alors. Nous nous regardâmes un long moment, sans nous toucher. Mon coeur me faisait toujours aussi mal. Je l'aimais. Je compris alors mieux encore le sens de ces mots. Aimer, c'était partager le plaisir à un point si intense que l'on pouvait tout oublier. Mais aimer, c'était aussi souffrir avec l'autre quand il souffrait. Et c'était affronter les difficultés ensemble.

Ce que nous allions avoir à faire.

- Arouk..., dis-je en m'efforçant de poser ma voix, pour qu'elle ne tremble pas - ce dont je ne fus pas certaine de pleinement réussir. Je suis venue parce que je voulais que tu saches... que je te fais confiance et que je sais que tu n'as pas commis d'acte de violence sur Nema.

Je vis ses épaules retomber, son poing se détendre et son visage s'éclairer. A ce moment seulement, je pus remarquer les traits sombres sur ses joues.

- Merci, Ourga, me dit-il. J'ai besoin de ta confiance.

Je ressentis alors un violent désir, celui d'être dans ses bras, pour lui montrer tout ce que je pouvais éprouver. Je franchis les deux pas qui nous séparaient et il m'ouvrit ses bras, me serrant fort contre lui, à m'en faire mal.

- Oh, Ourga..., me souffla-t-il.

Et il me sembla entendre un sanglot dans sa voix. La douleur enfla dans ma poitrine, mais je le serrai fort contre moi en retour. Nous restâmes ainsi un long moment, et un lointain souvenir remonta à ma mémoire. J'étais encore enfant, plus jeune que Kari aujourd'hui. Je m'étais baignée dans la rivière, mais le courant était vif, l'onde gonflée par la fonte des neiges. J'avais été emportée, ballotée, jusqu'à ce que je puisse m'accrocher à une grosse branche, elle aussi entraînée par le courant. J'avais fini par m'échouer sur un banc de sable, assez loin en aval. Gourn et d'autres chasseurs m'avaient cherchée longtemps, alors que je remontais vers le campement, frissonnante et glacée. Oui, je me sentais un peu comme ce jour-là, ballotée sans pouvoir m'aggriper à quoi que ce soit. Jusqu'à ce que là, maintenant, je retrouve l'abri des bras d'Arouk. Mais il devait être tout autant balloté que moi et s'accrochait à moi autant que je m'accrochais à lui.

Il finit par s'écarter légèrement, me gardant cependant contre lui. Il me fixa un moment avant de parler :

- Les conseils vont se réunir demain. Grak me l'a dit cet après-midi.

Je le regardai avec étonnement. Je n'avais pas eu vent de cela.

- Personne n'est venu me parler, dis-je. Enfin... je veux dire... de la réunion des conseils. Ma Grande Mère non plus ne m'a pas parlé depuis deux jours. Mais je sais que Grak l'a fait avec Gourn et ma mère. C'est tout. Enfin... je veux dire, peut-être que d'autres gens ont parlé avec eux, mais je n'en sais pas plus. J'ai reçu la visite de ta mère et de Kian. Ils m'ont aussi donné de tes nouvelles.

- Je sais. Je leur ai demandé de le faire. Et ils m'en ont donné des tiennes en retour. Mais je préfère te voir. Je suis heureux que tu sois venue. Cela me fait du bien.

Je posai ma main sur sa joue. Sa peau était un peu rêche sous mes doigts, il n'avait pas coupé sa barbe depuis plusieurs jours. Puis mes doigts glissèrent dans ses cheveux, l'attirant plus près de moi. Je voulais l'embrasser, je voulais goûter à ses lèvres, recevoir un baiser, comme une promesse, une certitude, un réconfort aussi. Mais il m'arrêta.

- Cette nuit... aurait dû être aussi notre nuit, dis-je, les larmes à nouveau proches de couler. Je ne supporte plus les bruits de la fête. Je voudrais les oublier.

- Il est plus sage d'attendre la décision des conseils, Ourga. Et je devrai m'y plier.

- Ils peuvent te condamner à l'exil. A ne plus être des nôtres...

- Certains ont toujours eu du mal à accepter que je sois reconnu comme l'un des vôtres. Je pensais... oui, j'avais espéré, aussi, qu'en devenant ton compagnon, cela aurait été oublié. Que j'aurais été mieux accepté encore comme étant un des vôtres.

- C'est pour cela que tu as voulu notre union ?

- Ce n'est pas la seule raison, Ourga, tu le sais bien. Etre ton compagnon avant tout. Prendre soin de toi et de ton foyer. Des enfants que tu y feras naître. Mais oui, aussi, c'était important pour moi d'obtenir cette reconnaissance.

Je baissai la tête un instant. Il reprit :

- L'exil m'amènera à retourner vers les miens. Mais l'hiver sera là bientôt et il ne sera pas prudent que j'entame alors un si long voyage. Mais nous ne pouvons pas présumer encore de ce que les conseils décideront. Il se peut aussi qu'ils ne reconnaissent pas les propos de Nema...

- Cela causerait alors un grand trouble parmi les clans, soupirai-je.

- Oui, répondit-il et un air sombre s'afficha alors sur son visage.

Je reposai ma tête contre son torse. Son coeur battait régulièrement, mais je l'entendais nettement à mon oreille.

- Ourga...

Sa voix fut soudain hésitante.

- Oui ?

- Je... Tu seras peut-être appelée à témoigner. Les conseils voudront certainement t'entendre. Que diras-tu ?

- La vérité, répondis-je sans hésitation. La vérité. Que jamais tu ne m'as forcée à partager le plaisir avec toi. Que tu es attentionné vis-à-vis de moi. Et je rappellerai aussi ce que j'ai dit à ma Grande Mère quand elle m'a parlé de ta désignation pour la cérémonie des rites initiatiques. Que je te faisais confiance pour prendre soin de la jeune fille et tu l'as fait. Et je ne suis pas la seule qui pourra en témoigner.

- Merci, dit-il simplement.

Et il resserra son étreinte autour de moi avant de me relâcher.

- Va, maintenant, Ourga. C'est mieux que je reste seul.

Cette fois, les larmes coulèrent sur mes joues. Mais je ne savais plus que dire. Il avait raison, sans doute. Il n'aurait pas été bon pour lui que l'on me surprenne en sa compagnie, alors que les conseils ne s'étaient pas encore réunis. Mais qu'il me fut difficile de m'arracher à ses bras ! Qu'il me fut difficile de sortir de la tente...

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