Retour à la réalité

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Au petit matin, Grégory se réveilla en sursaut, il n’avait plus l’habitude d’avoir quelqu’un dans son lit. Il fut pris d’un petit vent de panique ; il devait faire ses soins ; s’auto sonder et si possible vider ses intestins… Le genre de chose qu’il ne voulait vraiment pas montrer à Françoise… Il devait agir avant d’avoir un accident dans le lit.

Gonflé d’orgueil la veille, il n’avait pas voulu mettre un étui pénien relié à une sonde devant elle, mais cela lui demandait d’agir vite et maintenant, pour éviter tout débordement.

Il l’entendit marmonner quelque chose alors qu’il se déplaça vers sa chaise, il lui caressa la joue et lui souffla ;

— Je m’éclipse dans la salle de bain, reste dormir Fran.

Il s’activa et constata que c’était « tout juste ». Tout en effectuant ses soins, il pensa ; comment pourrais-je lui expliquer ce que je fais, ce que j’ai besoin de faire… Si elle me voit un jour avec une perte d’urine ou de selles… Ce sera foutu, elle va s’encourir vite fait ! J’ai tellement envie qu’elle reste avec moi, mais il n’y a pas à dire ; un mec qui doit se sonder pour uriner et se masser le bide pour déféquer, ça n’a strictement rien d’érotique !

Il fut sorti de sa bulle de réflexion par du bruit qui venait de l’extérieur de la salle de bain. Il tendit l’oreille et capta que Françoise était levée et qu’elle était dans la cuisine. Il l’entendit se rapprocher, elle toqua à la porte et lui demanda, au travers de celle-ci,

— Tu veux du café pour déjeuner ? Je te propose d’aller chercher des petits pains à la boulangerie du coin pendant que tu fais tes soins, je dois prendre tes clés où tu penses que tu auras fini entre-temps ?

Grégory fut un peu saisi … Qu’est-ce qu’elle sait des soins que je fais ? Il se ravisa, et lui répondit,

— Prend toujours les clés, elles sont sur le petit porte clé dans le couloir d’entrée, mais je pense que j’aurais fini, et toi, tu es thé ou café ?

— Plutôt café, allez, je file !

Il termina, à l’aise, puis sorti de la salle de bain et prépara la table pour le petit déjeuner. Alors qu’il attendait sereinement le retour de Françoise, il entendit le bruit de la clé dans la serrure de la porte de l’appartement et leva la tête avec un grand sourire… Qui s’effaça lorsqu’il reconnut sa mère.

— Oh mon petit Grégory, comment vas-tu aujourd’hui ? Je suis désolée pour hier, je me suis emportée.

— Mais… Maman, je ne t’attendais pas ce matin ! Que fais-tu ici ?

— Ah… Mais, il y a deux tasses… Tu… Tu attends quelqu’un ?

— Oui, j’attends Françoise qui est partie chercher des petits pains pour notre petit déjeuner.

— Ah !

Devant le ton sec de sa mère, le sien se fit aussi plus rude.

— Quoi maman ?

— Je… Je ne pensais pas qu’elle resterait.

— Je pense surtout que tu aurais préféré qu’elle ne reste pas, je me trompe ?

— Mais enfin, Grégory, ce n’est pas une fille pour toi…

— Et c’est quoi maman, « une fille pour moi » ?!

Il avait haussé le ton et était particulièrement irrité par l’ingérence de sa mère dans sa vie intime.

— Mais… Je ne sais pas… Pas elle.

— Tu lui reproche quoi à Françoise ? Explique moi-ça s’il te plait !

— Mais… Je ne sais pas…

— Elle ose te dire les choses telles qu’elles sont et tu n’apprécies pas, c’est ça ?

— Entre autres… Elle doit avoir une idée derrière la tête…

— Et toi, tu as quelle idée derrière la tête quand tu tentes par tous les moyens de me couper du monde ?

— Mais Grégory, je fais ça pour ton bien !

A ces mots, Grégory éclata et cria en s’adressant à sa mère.

— C’est pour mon bien que tu lui as claqué la porte au nez lorsqu’elle voulait reprendre contact avec moi ? C’est pour mon bien que tu veux que je n’ai plus d’ami, plus de vie sociale ?

— Mais enfin…

— Mais tu t’en fous complètement de ma vie en fait ! Tout ce que tu veux c’est l’image d’une mère dévouée à son fils handicapé ! C’est pour expier le fait que tu continues à rejeter ta propre fille, c’est ça ?

Agressivement, sa mère lui répondit,

— Mais qu’est-ce que tu viens avec elle !

— Elle au moins elle me comprend et elle s’inquiète de mon moral et du fait que je dois lutter pour continuer à vivre.

— Elle t’a monté la tête, c’est ça ? Et cette Françoise, c’est son amie depuis toujours… Elles sont pareilles !

— Tu ne comprends strictement rien maman, lâche-moi, va vivre ta vie et laisse-moi vivre la mienne !

Aucun des deux n’avait repéré l’arrivée de Françoise qui était restée figée, dans l’encadrement de la porte, elle n’avait qu’une envie, planter un couteau entre les omoplates de la mère de Grégory, mais se ravisa. Elle prit une profonde respiration et tenta, le plus sereinement possible, de s’introduire dans la conversation.

— Bonjour Madame, permettez que je puisse déposer les petits pains que j’ai achetés pour votre fils sur la table ? Enfin, si respirer le même air que moi ne vous dégoûte pas trop !

Vivement, la mère de Grégory lui rétorqua,

— Vous ! Que faites-vous ici ?

— Et vous ? Avez-vous été conviée par votre fils ?

Outrée, elle répondit,

— Mais je suis sa mère, je n’ai pas à être conviée pour lui rendre visite, moi !

— Ça, ça s’appelle « s’inviter » chez quelqu’un, surtout après les remarques d’hier, un minimum de décence aurait voulu que vous vous annonciez, histoire de laisser le choix à Grégory.

La mère de Grégory la détailla, de la tête aux pieds en hochant négativement de la tête.

— Et vous ? Vous vous êtes aussi invitée, non ?

— Non, c’est moi qui l’ai invitée et j’aimerais que tu nous laisses, maintenant, maman !

Elle le regarda, furieuse. Elle lui lança violemment,

— C’est ça, tu mets ta mère dehors pour une petite prétentieuse sans cervelle ! Tu verras Grégory, c’est dans mes bras que tu pleureras quand elle partira, parce qu’elle partira, dit-elle, en regardant Françoise, quand elle en aura marre d’être dans le lit d’un infirme incontinent.

En colère, Françoise se retint d’être grossière en répondant à la mère de son amant.

— Madame, vous êtes ignoble ! Parfaitement ignoble et vous n’avez aucun respect pour votre fils.

Livide, c’est sur un ton très froid et qui ne laissa aucune alternative à sa mère que Grégory lui dit,

— Sors de chez moi, Maman.

Françoise et Grégory la regardèrent quitter les lieux, Françoise se remit à respirer dès qu’elle eut franchi la porte d’entrée et qu’elle entendit cette dernière claquer. Elle s’affala sur la chaise la plus proche de Grégory et posa la main sur celle que son amant avait posée sur l’accoudoir de sa chaise roulante. Elle lui demanda alors,

— Est-ce que ça va ?

Il avait pris sa main dans la sienne, en la serrant, tout en s’essuyant les yeux qui baignaient dans les larmes avec son autre main.

Françoise se rapprocha et le pris dans ses bras, il s’appuya contre elle, posant sa tête contre sa poitrine et passa ses bras autour de sa taille. Il la serra très fort. Dans un sanglot, il lui dit,

— Je suis désolé que tu aies dû assister à ça.

— Greg, elle a toujours été comme cela avec moi tu sais, elle n’a fait que dire clairement ce qu’elle pense réellement.

— Mais… Elle n’a pas complètement tort non plus.

— Pourquoi ? Parce que tu penses que je vais m’encourir le jour où je te verrais faire tes soins ? Que je serais dégoûtée de toi le jour où tu oseras porter une protection devant moi, c’est ça ?

Il fut interloqué … Elle semblait connaitre pas mal de chose sur son quotidien, il se décolla d’elle et lui demanda,

— C’est Valentine qui t’as parlé de ça ?

— De quoi ?

— Des soins et tout ça.

Elle lui caressa les cheveux et tenta de le rassurer.

— Valentine m’a mise sur la voie, elle ne voulait pas que je me fasse d’illusion… J’ai pris mes renseignements, j’ai posé des questions sur plusieurs forums, cela m’a éclairé sur pas mal de choses. Et ça m’a préparé aussi à ce que pourrait être l’intimité avec toi.

Grégory se sentit mal, à la fois heureux qu’elle se soit autant investie pour connaitre son quotidien, mais apeuré par les détails sordides qu’elle avait dû recevoir …

— Ah…

Le voyant démuni, elle lui expliqua,

— Mais oui, tu n’imagines quand même pas que je suis restée sans rien faire ni chercher pendant presque deux ans, non ?

— Mais, tu en penses quoi, ça n’a rien de glamour tout cela, non ?

— C’est une réalité avec laquelle pas mal d’autres paraplégiques s’accommodent dans leur couple. Je n’ai aucun souci à te laisser faire tes soins en toute intimité, comme ce matin. C’est une question de santé, je n’ai pas envie que tu te bousilles les reins parce que tu n’oses pas me dire que c’est l’heure d’aller te sonder.

Il eut un rire nerveux puis soupira profondément avant de pouvoir lui avouer,

— Oh ma chère Françoise, j’étais tellement stressé à l’idée de devoir te parler de ça, je ne savais pas comment amener la chose.

— Voilà, c’est fait.

— Oui, je suis à la fois enchanté et… Un peu stressé ; je ne sais pas quelle image tu as de moi, en fait, tu sais, suite à tes recherches dans les forums.

Elle soupira puis lui expliqua en tenant ses mains dans les siennes,

— Tu sais, j’ai eu quelques chocs, c’est vrai, quand j’ai appris tout ce que la paraplégie pouvait entraîner ; côté « pipi-caca », mais aussi côté « sexuel » ; ça ne re-fonctionne pas pour tout le monde, j’espère que tu n’auras besoin que de viagra pour te booster un peu … je n’ai pas envie que tu sois obligé de te faire des injections locales. Et puis, côté possibilité de bébé, le taux de fécondité est réellement moindre et il faudra faire pas mal de manipulations.

Grégory fut ébahi… Elle lui parlait sereinement de tout ce qu’il appréhendait de lui dire.

— Je… Mais… Et… Donc tu as été choquée. Tu es toujours choquée ?

— J’ai fait mon petit bonhomme de chemin Greg, tu sais, quand Valentine me donnait de tes nouvelles, ça me permettait d’aller sur les forums avec des questions plus précises.

— Tu as discuté avec d’autres paraplégiques ? Ou d’autres partenaires de paraplégiques ?

— Les deux, et ça m’a aidé à forcer la main de Valentine pour qu’elle m’introduise auprès de toi. Ton appartement m’apparaissait comme une forteresse imprenable, gardée par un dragon… Ta mère.

— Le dragon n’est plus là maintenant et je remercie la ténacité de ma sœur pour avoir fait le forcing et de t’avoir prêté ses clés.

— Oui, c’est tant mieux… Rien que de te savoir avec elle et d’entendre qu’elle t’empêchait de faire les travaux chez toi, cela m’horripilait. J’ai toujours été heurtée de la façon dont elle traitait Valentine, mais toi, après ton accident, j’ai eu l’impression qu’elle a fondu sur toi comme un rapace sur une proie.

— Oui, mais elle reste ma mère.

— Je sais, mais il n’empêche, je ne lui pardonnerais jamais l’esclandre qu’elle a fait à l’hôpital lorsque tu avais décidé de rompre, elle a été ignoble avec moi, comme là tantôt en fait ; blessante et prenant plaisir à faire mal.

Elle passa ses bras autour de son cou et posa sa tête sur son épaule, il lui caressa le dos.

— Tout ça pour dire que je suis au courant de pas mal de choses de ta situation, je sais que ce n’est pas romantique, mais sache que je comprends et qu’il n’y a qu’en en parlant franchement entre nous que nous pourrons savoir si une vie au quotidien est possible pour nous deux.

Grégory en eut les larmes aux yeux, il soupira, un gros soupir, qui venait de loin.

— Fran, c’est déjà cet état d’esprit qui m’attirait chez toi, avant. Tu as l’art de faire sauter toutes mes défenses, de me mettre à nu.

— Mmh oui, j’aime te mettre nu.

Il pouffa de rire.

— Oui, bien évidemment, là encore, je te reconnais bien.

Il l’embrassa dans le cou puis lui dit,

— J’ai toujours peur de te dégoûter à un moment où à un autre, Fran, et il arrivera un temps où tu auras envie d’autre chose, côté sexuel, je ne veux pas que tu te sentes lié à moi ou que tu restes avec moi par pitié.

Elle se redressa et le regarda dans les yeux lorsqu’elle lui précisa, avec un petit sourire,

— Bon, mon petit Greg, je n’ai aucune pitié pour toi ; si nous restons ensemble, ne t’inquiète pas, tu le sauras bien vite ; ce n’est pas parce que tu es en chaise que tu pourras ne rien faire dans l’appart ! Et puis, côté cul, oui, c’est clair que nous ne pourrons plus pratiquer certaines positions, mais j’ai envie de faire l’amour avec toi, pas de « baiser pour baiser ». J’ai eu quelques amants depuis l’accident, je te le dis clairement, je n’ai pas fait la nonne.

— C’est ce que je voulais, que tu ailles voir ailleurs, Fran.

— Je l’ai fait Greg, mais ça n’a jamais eu la même intensité qu’avec toi.

— Avant…

— Non, hier soir, je l’ai retrouvée cette intensité… C’est être avec toi qui me fait de l’effet.

Ils restèrent enlacés encore un moment, savourant l’instant, ils s’apaisèrent l’un l’autre, puis Françoise lui dit,

— Dit, on ne mangerait pas les petits pains ? Je meurs de faim, moi !

Il desserra son étreinte et lui dit,

— Oui, j’ai faim aussi, je mets la cafetière en route, installe-toi !

— Dis, pour ton appart, Valentine m’a dit que son homme travaille avec des ergothérapeutes qui pourraient te donner des conseils pour la transformation, ça te tente ?

— Pourquoi pas… En plus, il m’a l’air bien sympa ce gars, Sébastien, c’est ça ?

— Oui, je l’aime bien, Valentine a l’air bien, je pense qu’elle est heureuse avec lui.

— Oui, elle rayonnait hier, mais je n’ai pas été aussi attentif que toi, je crois, je ne pensais qu’à toi et à ce qu’il pourrait se passer avec toi après… Ou pas.

— Oh ! Monsieur l’obsédé ! Je ne le dirais pas à ta sœur, je garderais cet aveu pour moi. Par contre, ce serait l’occasion pour toi de les revoir, en ayant le cerveau au bon endroit cette fois-ci.

Elle éclata de rire, il la regarda amoureusement, sourire aux lèvres.

***

En consultant son téléphone portable, Valentine lança,

— Tiens, un message de Françoise !

— Et il dit quoi ?

— Qu’ils t’ont tous les deux apprécié et qu’ils aimeraient nous revoir, notamment pour ta proposition de conseils pour l’aménagement de l’appartement de Greg.

— Pas de souci, ce sera avec joie que je les aiderais.

— Eh bien, j’ai l’impression que Fran a l’intention de s’installer chez mon frère… Elle va devoir se confronter à ma mère !

— Elle n’apprécie pas ton amie ?

— Ma mère ?

— Oui.

— Oh, le fait qu’elle soit mon amie n’aide pas, bien entendu… Et en plus, elle a son caractère et ne sais pas se taire. J’ai déjà assisté à des éclats de voix entre elles deux quand nous étions adolescentes.

Elle secoua la tête en se remémorant quelques scènes, Sébastien sourit et lui dit,

— C’est le beau fixe quoi ! J’imagine qu’elle va devoir croiser ta mère d’ici peu si elle s’occupe tous les jours de ton frère comme tu me l’as expliqué.

Valentine reçu un autre message entre temps, ses yeux s’écarquillèrent en le lisant, elle répondit à Sébastien,

— Elle et Greg l’ont… Foutu à la porte ! Selon Fran, elle aurait été ignoble avec lui…

Sébastien la vit réfléchir et sourit, il finit par lui dire,

— Moi je crois que tu as envie de savoir ce qu’il s’est passé, non ? Tu veux les revoir où tu sauras attendre la fin du weekend ?

Elle fit une petite moue crispée avec sa bouche, il éclata de rire. Elle retorqua,

— Eh, quoi ?

— Viens par ici, je te propose de décider de quand et comment dans mes bras.

— Oui, aide-moi à décider…

Elle se pelotonna contre lui en gloussant,

— C’est vrai, j’ai envie de savoir, mais j’ai aussi envie de profiter de toi ce weekend, je la verrais lundi ou mardi.

— Et tu me raconteras, j’imagine.

— Si le sujet t’intéresse, oui.

— Mais oui, il m’intéresse ; je veux aussi connaitre les histoires de famille de ton côté.

— Et j’apprendrais à connaitre les tiennes Sébastien. Au fait, tu as prévu une entrevue avec Sandy ?

— Je lui ai envoyé un message, elle va voir avec son emploi du temps, ça te dirait de rester à Mons jusque vendredi inclus ? Si tu reviens dès mercredi soir, ça nous donnerait plus de temps à deux et plus de possibilités pour Sandy.

— A voir, ce doit être possible, et j’en profiterais pour faire un saut chez Marcelle l’après-midi du mercredi, en espérant ne plus tomber sur l’autre.

— J’ose espérer qu’il ne retentera pas ce genre de chose…

— On fait comme ça alors, et savourons cette journée entre nous.

Le couple continua à se découvrir et à s'aimer tout le weekend.

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