Histoires de famille

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Après s’être retrouvé plein de passion, le couple discuta, allongé dans le lit, dans les bras l’un de l’autre.

— Et toi, tu as aussi des trucs que je dois savoir côté famille ou amis ?

— Oui, j’ai aussi une mère un peu spéciale…

— Spéciale dans quel sens ?

— En fait, elle n’a pas été une mère très aimante pour moi.

Valentine se tut et soupira, Sébastien passa une main dans ses cheveux et lui caressa la joue,

— Qu’est-ce qu’il s’est passé, Valentine ?

— Elle ne voulait pas de moi… Quand elle a appris qu’elle était enceinte de moi, elle venait d’apprendre le décès de sa propre mère. Elle m’a mise au monde, complètement déprimée, elle ne s’est pas occupée de moi avant mes quatre ans. Entre-temps, j’ai été ballotée dans la famille, du côté de mon père. Mon frère est resté chez mes parents, il avait déjà cinq ans et mon père savait s’en occuper, mais il venait fréquemment avec moi les weekends, lorsque j’étais chez ma grand-mère paternelle.

— Et quoi, elle a finalement repris contact avec toi ?

— Oui, elle m’a tolérée par la suite, mais son rejet était latent.

— C'est-à-dire ?

Valentine chercha comment expliquer la chose à son amant. Elle finit par lui faire part d’un incident récent.

— ce rejet, elle l’a bien exprimé après l’accident de mon frère ; Grégory a réchappé à un carambolage sur l’autoroute, mais il est resté paraplégique. Lorsque je suis arrivée à l’hôpital, ma mère a voulu m’empêcher de le voir et m’a hurlé qu’il aurait mieux valu que cet accident me soit arrivé à moi plutôt qu’à mon frère, qu’elle aurait eu moins de chagrin dans ce cas-là. Mon père lui a crié dessus et l’a fait sortir de la chambre de Grégory pour que je puisse lui dire bonjour. Il était atterré de ce qu’il venait d’entendre, mon frère aussi en était abasourdi.

Valentine fit une pause. Sébastien lui caressa les cheveux et la laissa continuer.

— Il est cloué dans un fauteuil… Au grand contentement de ma mère qui s’occupe de lui presque jour et nuit.

— Et lui, il est content de ça ? Que ta mère soit tout le temps chez lui ?

— Non, il en a horreur, mais il est coincé ; elle l’a empêché de faire les travaux qui auraient dû être faits pour plus d’autonomie dans son appartement et en plus, elle se mêle de sa rééducation ; elle a déjà fait fuir deux infirmières et un kiné… Je la soupçonne de vouloir le maintenir dépendant d’elle ; cela lui permet de rester « indispensable » face à lui.

— Et, tu le vois comment, si elle est, tout le temps, fourrée chez lui ? Et ton père, il dit quoi, ils sont toujours ensemble tes parents ?

— Oui, ils sont toujours ensemble, mais ils font des choses chacun de leur côté. Mon père lui dit souvent qu’elle doit le laisser vivre sa vie, qu’elle est trop présente pour son fils, elle lui répond que c’est « son » fils etc. Je crois que mon père a appris à ne plus trop discuter avec elle, elle est butée. Je rends visite à Grégory quand je sais que ma mère n’est pas là ; deux fois par semaine, elle a une activité de tricot ou crochet, je ne sais plus, mais elle y tient. Cela me laisse le temps de papoter avec lui.

Valentine sourit, cela rassura Sébastien, au moins avec son frère, elle semblait bien s’entendre. Tout à coup, Valentine lui dit,

— Dis, tu sais, Françoise, mon amie, je crois qu’elle en pince toujours sérieusement pour mon frère… Malgré le handicap.

Sébastien haussa les sourcils, il ne connaissait pas l’histoire.

Valentine la lui raconta.

Avant l’accident, il y a un an et demi, Françoise et Grégory avaient flirté ensemble lors d’une fête qu’ils avaient organisé pour les 28 ans de Valentine et les 33 ans de Grégory.

Valentine avait invité Françoise qui lui demandait souvent des nouvelles de son frère ; elle lui avait dit qu’elle ne savait pas si elle était « au goût » de son frère. En fait, elle savait très bien que Grégory la trouvait très à son goût… Mais elle lui avait interdit de lui briser de cœur !

Fin de soirée, Valentine les avait retrouvés enlacés, un peu à l’écart, plus au calme. Elle avait souri, Françoise le lui raconterait sûrement bientôt. Son amie était aux anges, Valentine la voyait déjà « belle-sœur » en plus d’être son amie, mais le sort en décida autrement, trois semaines plus tard ; lorsque Valentine apprit l’accident et après l’esclandre de sa mère, Grégory lui expliqua, sur son lit d’hôpital, qu’il avait rompu par texto avec Françoise.

— Quoi ? Mais t’es un vrai goujat Greg !

— Val, je ne sens plus mes jambes… Je suis foutu !

— Mais elle t’aime !

— Non, elle ne m’aimera plus, Val, je ne suis plus un homme… Le médecin m’a expliqué qu’il se pourrait bien que plus rien ne fonctionne là en bas… Je n’ai pas envie d’être comme ça devant elle. Je ne le supporterais pas, moi !

Devant l’air désespéré de son frère elle avait voulu le rassurer,

— Greg, attend, on ne connaît pas encore l’ampleur des dégâts, tu auras peut-être de la chance !

— Non, Val, je préfère qu’elle se trouve quelqu’un d’autre, je l’aime trop pour lui imposer un mec handicapé dans son lit !

— Mais Greg… ?

Son frère s’était écroulé en lui avouant les sentiments qu’il éprouvait pour Françoise.

— Merde, petite sœur, on ne l’a fait que cinq fois elle et moi… C’était super… Je l’adore, Françoise, j’avais des projets pour nous deux. Mais là, je ne suis plus capable de faire ce que je voudrais faire avec elle. Elle est sportive tu sais… Je ne suis plus de taille, je ne suis plus un homme, Val. Il faut qu’elle se trouve quelqu’un d’autre, il faut qu’elle m’oublie !

Grégory avait laissé ses larmes couler, son grand frère, si fort d’habitude, pleurait dans ses bras. Valentine avait tenté de le consoler mais avait fini par pleurer avec lui, Grégory lui avait aussi avoué qu’il se rendait bien compte que sa vie allait changer du tout au tout, qu’il ne serait plus jamais prof d’éducation physique. Il se voyait condamner au célibat et ne voyait pas comment vivre le semblant de vie qu’il entrevoyait.

— Tu vois Sébastien, le moral de mon frère a dégringolé bien bas et ma mère a mis le grappin dessus entre-temps, mais il remonte la pente, tout doucement, il aime encore Françoise. Et elle aussi, elle l’aime encore ; elle a connu d’autres hommes entre-temps, mais elle en revient toujours à lui.

— Ils se sont revus depuis l’accident ?

— Non, enfin, jusqu’à tout récemment, en fait, ma mère, encore elle, a fait obstacle. Elle considérait que comme Grégory avait dit qu’il ne voulait plus la voir, elle avait l’autorisation, lorsque Françoise venait sonner chez lui, de lui claquer la porte au nez.

Abasourdi par ce que lui dévoilait Valentine il constata,

— Ça n’a pas dû aider… Mais tu disais jusqu’à récemment, ta mère a lâché du lest ?

— Non, j’ai indiqué les « périodes favorables » à Françoise et je lui ai prêté mon trousseau de clés de l’appartement de Grégory.

— Et ?

— Elle est arrivée chez lui, il a été surpris, d’abord en colère contre moi, puis ils se sont parlés et ont pleuré dans les bras l’un de l’autre. Du coup, depuis deux semaines, Grégory reprend du poil de la bête, il résiste plus à notre mère et a repris rendez-vous pour des séances de rééducation plus soutenues.

— C’est positif, mais est-ce que tu comptes les aider ? Est-ce que cela ne sera pas trop lourd pour toi, avec ta mère ?

— En plus de rencontrer ton ex et ta mère ? Bah, je tente de rester zen !

Elle éclata de rire puis l’enlaça et colla son visage contre son torse.

— Je me dis que si c’est pour un mieux, je suis prête à mordre sur ma chique.

Sébastien réfléchit puis proposa à Valentine,

— Je pourrais peut-être t’aider aussi, je travaille avec des ergothérapeutes au cabinet, ils pourraient donner des conseils pour adapter l’appartement de ton frère.

— Pourquoi pas, je devrais peut-être penser à organiser une rencontre entre lui et toi.

— Pendant une « période favorable » ?

— Oui, bien évidemment !

Après ces quelques révélations, le couple s’endormit serein.

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