Première Partie :

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C'est dans la pénombre que se cache l'homme aux trois visages. Un sourire malveillant ourle ses lèvres ensanglantées alors qu'il admire son œuvre en jubilant. Dans une flaque visqueuse reposent les restes d'un corps mutilé. Les yeux ouverts, la victime semble fixer son bourreau avec terreur et supplication, pourtant c'est à un mètre de son buste que sa tête est laissée à l'abandon. La peau entaillée, l'homme aux mains tachées d'hémoglobine s'est vu emporté par une douce folie assassine. La lame d'acier a d'abord fait couler son propre sang dans des plaies plus ou moins profondes sur ses avant-bras, puis sur sa joue où quelques heures plus tôt s'est appuyée la bouche de sa nouvelle prétendante. S'il se délecte de la vision d'un être au bord de l'agonie, il exècre le contact humain et les murmures soufflés dans des râles de plaisir charnel. Bien que ce processus soit indispensable pour attirer ses jolies proies, il l'effectue en serrant les dents d'écœurement. Un dégoût de lui même qui lui ronge l'estomac lorsque son désir s'érige. Il se punit chaque fois que l'envie monte en lui, se scarifiant en soupirant pour effacer les traces d'un quelconque plaisir. Ce n'est pas d'un corps brûlant contre le sien qu'il fantasme, pas de gémissements ni de caresses paresseuses pour succomber à la jouissance. C'est dans l'éther qu'il trouve sa place, lorsque la vie s'échappe et que le souffle disparaît dans une cage thoracique aux ossements fracturés.

Dans un grognement de frustration, c'est dans l'abdomen de la fille frivole que sa dague s'est plantée avec lenteur et précision. Un rire démentiel s'est élevé dans le hangar désaffecté, se mêlant aux cris de douleur de la jeune femme au ventre lacéré. Ainsi a débuté l'horreur d'une nuit sans lueur. Ainsi s'est réveillée la bête tapie dans l'esprit malade d'un être à trois facettes.

Un an plus tard :

Installé sur un banc, dans un parc où rient de bon cœur les enfants du quartier, Hakeem se laisse aller à la contemplation du ciel. Les rayons du soleil lui brûlent les yeux malgré la monture aux carreaux fumés posée sur son nez. La fatigue engourdie ses muscles, ou plus probablement les réminiscences de cocaïne qu'il a inhalé la veille pour tenter d'oublier la monotonie de son existence. Esseulé depuis bien longtemps, il traîne sa carcasse dénué de sentiment en priant pour que cesse le calvaire d'une vie éteinte. Lorsque vient la nuit, le sommeil le fuit tel un pestiféré, rend ainsi les minutes trop longues et la solitude étouffante. Quand le manque de repos se fait sentir, qu'il succombe à Morphée et sa poudre d'or, ce sont d'affreux cauchemars qui le ramènent à la réalité.

Il souhaiterait trouver le courage de mettre un terme à cette routine désespérante, mais Hakeem le sait, il n'a jamais été doté de bravoure. Là est la raison pour laquelle Dalila, sa tendre aimée l'a rejeté il y a de cela des mois. C'est dans les bras de son meilleur ami qu'Hakeem a découvert celle qu'il pensait être la femme de sa vie, dans une étreinte obscène, à la limite du vulgaire. À quatre pattes sur leur lit, elle se faisait bourriner avec force, laissant s'élever dans la chambre des sons et soupirs auxquels Hakeem n'avait jamais eu droit. Aucune gêne n'était apparue sur le visage des coupables quand ils l'avaient aperçu, horrifié, à l'entrée de la pièce. Dalila avait simplement expiré de lassitude avant de lui cracher à la tronche qu'elle désirait un homme, un vrai. Un type capable de la faire rêver, de se montrer dur et protecteur, entreprenant et impulsif. En définitif, tout ce qu'Hakeem n'était pas et ne deviendrait jamais.

C'est en ravalant un sanglot qu'il quitte ses sombres pensées, tandis que rient toujours les gosses du quartier. Le cœur morne, il se lève, comme robotisé, guidé par un désarroi qui semble lui dicter ses actes, il traverse l'aire de jeux et rentre chez lui en rampant presque.

Le regard brillant d'une joie malsaine, Sergueï observe la peau tannée d'Hakeem alors qu'il pénètre dans le hall de son immeuble. Il le détaille avec insistance, imagine toutes les choses qu'il pourrait lui faire afin qu'il souffre et succombe dans la plus cruelle des situations. Son cœur bat, s'acharne dans sa poitrine. Oui, son palpitant le sait, c'est lui, cet homme bronzé qui périra pour assouvir la soif de la créature qui vit en lui. Hakeem est sa nouvelle proie, petite chose égarée qui paraît supporter le poids du monde sur ses frêles épaules.

Dans un ricanement sonore, Sergueï rabat la capuche de son hoodie noir sur sa tête, relève le masque chirurgical sur son nez afin de camoufler les dégâts visibles sur sa peau. Ce faciès strié de nombreuses cicatrices, celui qui a fait naître les moqueries et injures lorsqu'il était plus jeune, ces marques qui divisent son image en plusieurs parties abîmées et douloureuses. C'est d'elles que vient le surnom qui le suit depuis des années, celui qui semble être devenu la seconde peau qui façonne la bestiole insatiable de sang et de peur. Sergueï ou l'homme aux trois visages.

Une folle satisfaction ravie le meurtrier alors qu'il guette son bétail, dissimulé à quelques mètres de l'appartement qu'il surveille depuis des jours. Il connait les rituels d'Hakeem sur le bout des doigts pour l'avoir examiné des heures durant, pour avoir mémorisé chacune de ses habitudes. Un regard rapide sur sa montre lui indique que le moment est venu pour sa proie de prendre une douche. Depuis sa cachette, il admire Hakeem se dévêtir, les yeux fixés sur la fenêtre de la salle de bains. Sergueï s'interroge, se demande si le jeune homme à la peau brune sait qu'il est parfaitement visible depuis l'extérieur lorsqu'il se glisse sous le jet d'eau d'une cabine si petite qu'il peut à peine bouger.

Les lèvres pincées, le meurtrier fronce le nez quand il sent son sexe s'ériger entre ses jambes aux muscles contractés. Homme ou femme, ce n'est pas le corps de ses victimes qui le font durcir d'envie, mais l'impatience d'agir, le plaisir de jouer du couteau, de planter une lame aiguisée dans une chair tendre et sensible. Ce besoin d'admirer le sang perler, s'épancher jusqu'à ce que la bête soit suffisamment nourrie pour s'endormir paisiblement.

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