Saynète

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Personnages :
Étienne/Élise : le fils/ la fille 17/18 ans
Mélanie : la mère 47 ans
Benoît : le père adoptif (la cinquantaine)
Patrice : le père biologique (la cinquantaine)


Situation : Fête de fin de secondaire. L'enfant est avec ses parents, heureux. La mère est étrange, très excitée, stressée, elle touche souvent ses cheveux, ceux de son fils, elle n'arrive pas rester assise. C'est l'heure du dîner. Le père est fier.
On frappe à la porte. Le temps suspend son cours quelques secondes, on n’attend personne, c'est un moment de réjouissance intime. Le fils pense à un cadeau surprise, le livreur lui amène l'ordinateur ou autres dont il rêve tant. Le père plaisante dit qu'il n'aura le droit qu'à une pizza ou autres. La mère ne dit rien, rit jaune. Elle se lève sans un mot pour ouvrir la porte.
Un homme entre accompagné de la mère, Etienne et Benoît ne le connaissent pas mais il semble étrangement familier. Moment de gêne, d'incompréhension.


Benoît : Oh c'était aujourd'hui...
Mélanie : Oui aujourd'hui...
Benoît : Bonjour.
Patrice : Bonjour.


La mère fond en larmes, elle part. Patrice reste seul sans soutien il ne sait pas quoi faire.

Patrice : Je suis désolé je n'aurais pas dû venir. (Il va pour partir)

Benoît : (se levant pour l'arrêter, un peu gêné) notre fils, Étienne, va entrer au cégep, c'est un grand bonheur. Venez partager un moment avec nous.

L'homme s'assoit, le fils lui sert un verre de vin, il le dévisage.

Étienne : J'aime beaucoup vos cheveux. C'est quoi votre nom ?

Patrice : Patrice, les tiens sont magnifiques aussi.

La mère revient les yeux rougis, l'homme a un mouvement de recul pour quitter la table.


Patrice : Je n'aurais pas dû venir...
Benoît : Mais si voyons c'était important et puis c'est un grand jour aujourd'hui. Je suis heureux de faire votre connaissance.
Mélanie : C'est vrai tu ne m'en veux pas... C'était si soudain.
Benoît : Je sais que c'était important pour toi et ça va l'être pour lui aussi. Il est en âge de comprendre.

Étienne : Comprendre quoi ? Attendez de quoi on parle là. Et qui c'est lui d'abord ? Pourquoi il vient aujourd'hui ? Ça n'a pas l'air de vous gêner. C'est ma fête !
Mélanie : Écoute mon chéri tout ça va te paraître étrange et plutôt inattendu...
Benoît : Mais je suis là pour toi comme je l'ai toujours été.
Mélanie : Il est toujours ton père.
Étienne : Attend quoi ? Ho non, non je ne veux rien savoir, je ne veux rien savoir !

(il part en courant)


Mélanie : (à son fils parti) Étienne !
Benoît : Je vais aller lui parler. Vous, je pense que vous avez aussi besoin d'un peu de temps (il suit Étienne, avant de quitter la scène). Je t'aime Mélanie.

(il sort)


Patrice : Je suis heureux pour toi, ça a l'air d’être un gars bien...
Mélanie : Oui il l'est... (silence) Toi aussi tu sais... (silence)
Patrice et Mélanie : Écoute … (rire)
Patrice : Vas-y...
Mélanie : Euh... Comment vas-tu ?
Patrice : Bien.
Mélanie : Non ! Je veux dire... Je te pose vraiment la question... Comment vas-tu ?
Patrice : (après un temps) J'ai eu des hauts et des bas, beaucoup de bas à vrai dire. Tu m'as manqué.
Mélanie : À moi aussi...
Patrice : Mais maintenant ça va mieux. Beaucoup mieux. (Regard inquiet de Mélanie) non pas dans ce sens-là. Je suis stable, j'ai trouvé le bon traitement. Je suis bénévole dans une association pour aider les bipolaires comme moi.
Mélanie : Ça ne m'étonne pas. Tu as toujours voulu aider les autres.
Patrice : Pas toujours. J’ai aussi beaucoup trop pensé à moi. Regarde-nous ! Regarde-le !
Mélanie : Justement je le regarde et je l’aime, autant que je t'aimais et c’est aussi ce que je voulais à ce moment-là. J’étais prête à te suivre, j’étais prête à tout vous donner.
Patrice : Mais moi je n’aurais rien pu lui donner c’est justement ça le problème. J’aurais fini par vous détruire et ça je n’aurais pas pu le supporter. Je n’aurais pas été capable de l’élever. J’aurais pu lui faire du mal tu comprends… comme je t’ai fait du mal.

Mélanie : Mais moi je t’aimais plus que tout, tu ne m’as jamais fait de mal…
Patrice : Tu mens ! Tu mens et tu le sais bien. J’ai failli te tuer !
Mélanie : Ça ne compte pas tu n’étais pas toi-même.
Patrice : Si, j’étais moi. L’autre moi. Le moi que tu n’avais jamais vu, que je connaissais peu à ce moment-là. Mais c’était bien moi et j’aurais encore plus sombré s’il t’était arrivé malheur. C’est pour ça que je suis parti.


(Benoît et Étienne reviennent)


Mélanie : mon bébé (elle va embrasser son fils)
Étienne : pourquoi tu ne m’en as jamais parlé ?
Mélanie : J’avais trop mal chaque fois que j’y pensais et puis tu étais encore si jeune et je ne voulais pas briser ce que je voyais dans tes yeux chaque fois que tu regardais Benoît.
Patrice : Je pense que je vais partir…
Étienne : non restez ! Reste, s’il te plaît. J’ai mal agi mais je ne voulais pas l’entendre. Je me posais des questions depuis quelque temps. Maintenant que je peux avoir des réponses, je veux les avoir. (un peu ironique) Je suis suffisamment grand maintenant. N’est-ce pas maman ?!
Mélanie : Oui, je suis désolée.
Benoît : qu’est-ce que tu veux dire par « je me posais des questions » ?
Étienne : C’est à cause des photos. Avant mes deux ans il n’y a pas de photos dans les albums et puis il y a la photo de votre mariage quand j’avais 4 ans. Ça fait tard de se marier 4 ans après la naissance de son enfant. Et puis les photos de famille. Personne n’a de cheveux comme moi, je n’ai pas non plus vos nez…
Benoît : C’est vrai qu’une tignasse pareille, il n’y en a pas de mon côté… On aurait peut-être dû t’en parler plus tôt mais ce n’était pas à moi de le faire. Tu comprends.
Étienne : Oui je comprends mais c’est quand même toi qui as dû le faire aujourd’hui…
Benoît : je n’ai fait qu’effleurer le sujet, dis ce que je savais… pas grand-chose en somme.
Mélanie : Benoît n’a jamais voulu en savoir trop, il t’aimait, point final.

Benoît : et je t’aime aussi Mélanie. Je voulais juste votre bonheur à tous les deux. Je suis l’homme le plus heureux du monde de vous avoir.
Étienne : Merci papa. Maman je voudrais comprendre…
Mélanie : Il y a 25 ans je suis tombée folle amoureuse de Patrice. On était jeune et un peu fou. On a passé des années merveilleuses ensemble, pleines de voyage et d’aventures. J’étais très sportive et un peu casse-cou, alors quand Patrice m’emmenait dans des lieux insolites et, disons-le, assez dangereux, je n’avais pas peur.
Patrice : Tu aurais dû. Je t’ai fait faire des choses impensables… tellement dangereuses… Combien de fois on s’est retrouvé à l’hôpital à cause de moi !
Mélanie : beaucoup c’est vrai mais c’était aussi un peu de ma faute. J’étais amoureuse et je t’aurais suivi n’importe où.
Patrice : mais je n’étais pas prêt à ce que tu sacrifies tout pour moi, surtout ta santé.
Mélanie : Je sais et c’est ce qui a fini par arriver malgré tout. Et surtout tu as changé.
Patrice : Je ne le savais pas au début où j’étais avec ta mère car je n’avais jamais fait de crise. Un médecin pas très doué avait dit à mes parents que j’étais un enfant hyperactif et un peu angoissé mais que ça allait s’atténuer avec le temps… Quel charlatan ! En fait je souffrais de trouble bipolaire mais comme ma première vraie crise n’est arrivée qu’à 26 ans on ne s’en était pas vraiment aperçu avant.
Mélanie : C’était après une randonnée à vélo, je me souviens. Cela a été la première fois où j’ai eu vraiment peur pour ma vie, j’en garde encore de belles cicatrices (petit rire) … Et là quand je me suis réveillée à l’hôpital tu avais changé.
Patrice : J’avais eu tellement peur de la perdre ce jour-là qu’un truc a débloqué là-haut et puis c’est là que je suis entré dans ma première phase de dépression.

Après ça, j’ai alterné, beaucoup et très vite, entre les deux phases. J’ai rattrapé le temps perdu en quelque sorte. C’était devenu difficile pour moi de garder mes amis ou même quelques relations que ce soit. Je ne me reconnaissais pas, j’avais l’impression d’être Dr Jekyll et Mr Hyde, je n’y comprenais rien. La seule lumière qu’il me restait c’était ta mère, toujours là pour moi.
Mélanie : Je t’aimais tellement ! Oui tu avais changé mais dans les bons moments on se retrouvait comme avant et je voulais t’aider, je voulais te garder avec moi. Pourquoi tu m’as laissée ?
Patrice : Tu rigoles ou quoi ! Tu sais très bien pourquoi je t’ai laissé, j’ai failli te tuer et lui aussi, ça ne te suffit pas comme raison ?
Mélanie : Tu ne nous aurais jamais fait de mal je le sais bien…
Patrice : pas moi ! Pas après ce qui s’est passé...
Étienne : Qu’est-ce qui s’est passé ?
Patrice : On rentrait d’une échographie, tu bougeais pas mal et ta mère était très stressée. On continuait à faire beaucoup de choses, trop de choses et du coup tu t’étais mal positionné. Moi j’étais en phase maniaque à ce moment-là mais te savoir en danger ça m’a fait freaker out et j’ai switché. On était en voiture, je conduisais. Je me suis énervé en disant à ta mère que c’était sa faute qu’elle ne faisait pas assez attention et que si elle ne voulait plus de ce bébé il suffisait de le dire et… (il pleure)
Mélanie : (elle pleure) tu ne l’as pas fait exprès, tu n’étais pas toi-même.
Étienne : Qu’est-ce qui s’est passé ?
Benoît : Ils ont eu un accident. C’est comme ça que j’ai rencontré ta mère. Elle est restée en soins intensifs pendant de nombreuses semaines et toi tu es resté dans le service de néonatologie pendant deux mois. Le temps que tu prennes des forces et que ta mère aille mieux. Et moi pendant ce temps-là je me suis occupé de toi.

Patrice : quand je vous ai vu tous les deux à l’hôpital j’ai vraiment compris que j’avais un gros problème et que si je restais là je ne pourrais que vous faire souffrir. Alors je suis parti. J’ai disparu aussi vite et loin que possible. Pour aller me faire soigner surtout.
Étienne : pourquoi tu es revenu maintenant ?
Patrice : Ça va mieux. Je vais mieux. J’ai trouvé le traitement adéquat. Ça a mis du temps, beaucoup de temps mais j’avais besoin de vous voir… savoir que vous alliez bien et surtout j’avais besoin de m’excuser. De vous demander pardon ! Pardon d’avoir failli vous tuer, pardon de vous avoir fait souffrir, pardon de vous avoir abandonnés.
Étienne : Je comprends mieux.
Mélanie : Tu n’as pas besoin de t’excuser. Je le sais que tu ne voulais pas ça.
Patrice : C’est vrai je ne le voulais pas mais si j’avais été diagnostiqué plus tôt on aurait pu s’éviter beaucoup de problèmes. Et c’est aussi un peu pour ça que je viens. (Se tourne vers Étienne) Étienne je suis désolé mais comme mon sang coule dans tes veines tu es peut-être porteur de la maladie. Alors ne fait pas la même erreur que moi ! Évite autant que possible la drogue et les antidépresseurs qui sont des déclencheurs de crise et surtout si tu as le moindre doute : consulte ! Tu feras preuve de grande maturité et ça peut te sauver la vie et celle de ceux que tu aimes.
Étienne : Oui d’accord.
Patrice : Merci d’avoir pris le temps de m’écouter, au revoir. Portez-vous bien. (À Benoît) Merci de continuer à prendre soin d’eux. (Il va pour partir).
Mélanie : au revoir Patrice (va dans les bras de Benoît).
Benoit : Sache que la porte te sera toujours ouverte si tu veux passer nous voir.
Étienne : Tu passeras hein, dis ?
Patrice : C’est promis. Merci (il sort)


Fin

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