Dans la forêt

7 minutes de lecture

 Les quinze hommes atteignirent l’orée de la forêt. Soucia, qui menait les troupes, marqua un arrêt. Il se tourna vers ses hommes et leur expliqua la situation ainsi que leur mission avec autant de détails que possible – moins que nécessaire, vu le peu d’informations dont il disposait réellement. Il termina par un encouragement qui vivifia les troupes et ils pénétrèrent dans les bois.

 Pendant le discours, Jinko, tremblant, demanda à son chevalier :

 — Sommes-nous vraiment obligés d’y aller ?

 — Non, mais je désire voir de mes yeux les fameux monstres. Il faut que je découvre par moi-même de quoi il retourne.

 — Ah… D’accord.

 Quand il entra dans la forêt, Jinko frissonna. Puisque personne n’avait pu lui décrire l’apparence des monstres, forcément, il s’imaginait le pire. Et il possédait une imagination plus que débordante. Derrière chaque buisson, chaque arbre, chaque tas de feuilles, il voyait des ombres intangibles et maléfiques surgir. Elles dansaient autour de lui, infiltraient son esprit. Comme pour se protéger de cette menace invisible, Jinko agrippait fermement le manche du bouclier qu’il portait.

 Le métal cliquetait, les branches craquetaient. Les lueurs de fin de matinée creusaient leur passage à travers les feuillages et se réfléchissaient sur les cuirasses des guerriers. La diligence piétinait la terre fraîche dans un brouhaha qui empêcherait d’entendre le moindre chant animal. La chaleur commençait à monter et, sous le poids des armures, les premières gouttes de sueurs perlèrent.

 Un groupe d’oiseaux s’éclipsa quand Guégar prononça de sa forte voix :

 — Il est loin cet arbre géant ?

 Fabull se sentit immédiatement agacé d’entendre l’homme qui parlait dans son sommeil. Pourquoi devait-il gueuler à chaque fois ?

 — Je ne suis sûr de rien, avoua Soucia, mais il devrait être par là. J’espère.

 — Un arbre géant ? fit Oplo.

 — Exact, enfin, si nos informations sont bonnes.

 — Bah c’est qu’ça tombe bien, j’l’ai justement vu hier !

 — Vraiment ?

 — Pour sûr ! C’est à partir d’là qu’tout est dev’nu vraiment bizarre…

 — C’est vrai, confirma le second chasseur tandis qu’un frisson lui traversa le corps.

 — Y’avait une sale ambiance qui l’entourait, j’saurais pas dire pourquoi, mais j’lte sentais pas, c’t’endroit.

 — Moi non plus…

 — Vous d’vez allez là-bas du coup ?

 — C’est ça, oui, dit Soucia. C’est un point de repère qu’on nous a donné pour retrouver notre homme.

 — Ah d’accord j’vois. Bah vos indications elles sont pas très claires, il est plutôt par là-bas.

 — S’il faut vraiment y retourner, suivez-nous, on va vous y emmener, proposa le chasseur anxieux.

 Arrivé à quelques pas de la clairière, le guide ralentit le pas.

 — C’est juste ici. Je ne suis pas sûr de vouloir m’approcher davantage, par contre.

 — T’fais pas d’bile Firi, il peut rien nous arriver.

 — Sans doute…

 Soucia pénétra en premier dans la clairière. Il leva les yeux vers le ciel et en eut le souffle coupé. Les hommes émirent un silence religieux devant la majesté naturelle qui s’imposait à eux. Ils contemplèrent la magnificence de cette création divine comme des enfants découvrant toute la beauté du monde. Le calme fut rompu par des exclamations de toutes sortes, des phrases qui devaient sortir.

 — Ça alors…

 — Incroyable !

 — Je n’en reviens pas, ce truc existe ?

 — Comment on a fait pour ne jamais le trouver avant ? C’est juste énorme !

 Puis, tour à tour, un détail les frappa enfin. Un détail pourtant énorme.

 Une pile de cadavre entourait le pied de l’arbre. Un charnier d’une cinquantaine de corps froids et mutilés. Des corps d’humanoïdes à la peau aussi noire que la créature soignée par Benoît.

 — Mon Dieu, qu’est-ce que c’est que cette horreur ? s’étouffa Guégar.

 — Vous la sentez ? demanda Klandel. Cette odeur ? L’odeur de la mort. Elle nous entoure déjà.

 Firi se sentit défaillir. Oplo le soutint, mais n’en restait pas moins choqué.

 — Je… C’est… J’vous jure qu’c’était pas là la fois dernière. En tout cas ça m’dit rien.

 — Non, c’est nouveau, paniqua Firi. C’est nouveau… On aurait pas dû revenir ici, on doit partir tout de suite !

 Fanfrelet, le soldat fébrile, ôta son casque pour vomir. La plupart des soldats détournèrent le regard du tas de membres enchevêtrés. Les autres ne pouvaient plus s’empêcher de le fixer, une sorte de fascination morbide en eux. Jinko tremblait, incapable de contrôler son corps. La curiosité poussa Fanfrelet à se retourner à nouveau vers le charnier. Il ne put s’empêcher de s’exclamer :

 — C’est quoi ces trucs ? C’est quoi putain ?

 — On dirait une sorte d’offrande, supposa Lontary. Un cadeau fait par un peuple qui vénère cet arbre.

 — On est les prochains sur la liste, moi j’vous le dit ! balança Guégar.

 — Malgati ne mérite pas qu’on prenne autant de risque pour lui, dit Klandel. Le chasseur a raison, partons tout de suite.

 — Non, nous devons le retrouver, affirma Soucia. Nous ne pouvons pas abandonner un des nôtres ainsi. Et ça va plus loin que ça. Nous devons découvrir ce qui se trame ici si nous ne voulons pas être pris par surprise.

 — Il a pas tort, dit Guégar. J’ai pas trop envie qu’ces trucs viennent dans notre village nous enlever en pleine nuit.

 — Y’a plein de traces de pas ici, nota Oplo. Et pour la plupart, j’les reconnais pas. J’sais pas à quoi elles pourraient appartenir.

 — À ces putains de monstres, évidemment, dit Fabull.

 — Le doute n’est vraiment plus permis, déclara Lontary. Ces monstres existent et sont belliqueux.

 Le chevalier s’approcha de manière indécente des cadavres. Il distingua des blessures dues à des flèches, des plaies creusées par des épées. Ils portaient des tuniques et des vêtements simples, sauf un, entièrement couvert d’une impressionnante armure dorée.

 — Ce sont loin d’être de simples bêtes. Ils savent fabriquer des outils et des armes. Sans doute sont-ils aussi capables d’élaborer des stratégies militaire. Ce que je vois ici corrobore ce qu’on nous a dit ; les créatures se sont battues entre elles. Dès que leur guerre civile sera terminée, ils se tourneront vers nous, c’est à n’en pas douter.

 — Ça fait froid dans le dos, dit un des soldats.

 Plusieurs d’entre eux acquiescèrent.

 — Ils sont civilisés, relativisa Soucia. Rien ne nous dit qu’ils en ont après nous. La preuve, il n’y a pas d’humains autour de cet arbre. Je pense qu’il est possible de discuter avec eux et de trouver un terrain d’entente.

Fabull et Klandel levèrent les yeux au ciel.

 — Ben voyons… murmura ce dernier.

 Quand Lontary aperçut le trou béant dans (le ventre de celui qui portait) l’armure dorée, il comprit que ces créatures étaient bel et bien responsables de la destruction de l’héritage de Garsovky, et que leur force n’était pas à sous-estimer.

 — Il est trop tôt pour rebrousser chemin, nous devons recueillir davantage d’informations. (Il se tourna vers Oplo) Je comprends que vous vous sentiez mal, mais il serait grandement appréciable que vous nous aidiez encore un peu.

 — Moi j’peux, fit Oplo, mais lui…

 Le chevalier regarda Firi avec insistance.

 — Non, impossible, réagit Firi. Je rentre. Je ne peux pas continuer.

 — Il serait imprudent de rentrer seul, nota Lontary.

 — Il serait imprudent de vous lancer dans la traque de ces choses. Elles ont déjà eu Fenihart, je le sais. Et pourtant, c’était le meilleur d’entre nous.

 — Ça ouais… souffla Oplo.

 — Il est peut-être retenu prisonnier ? songea Fanfrelet.

 — C’est possible en effet, intervint Soucia. Nous avons encore une chance de le retrouver.

 — Très bien… Je viens.

 Firi se redressa. Il prit plusieurs profondes inspirations avant de dire :

 — J’ai repéré des traces de pas à l’extérieur de la clairière. Elles semblent appartenir à des cerfs pour la plupart, mais d’autres étaient sans aucun doute humaines. Les plus profondes doivent être celles de votre homme. Il est parti dans cette direction.

 — Je vous remercie, Firi, dit Soucia.

 — Vous êtes un homme courageux, ajouta Lontary.

 Trop préoccupé, le chasseur n’esquissa même pas un sourire. Il se préparait à suivre la piste de Malgati quand Oplo déclara :

 — Moi, c’qui m’inquiète, c’est d’autres traces. Là, les arbres, vous voyez ? On dirait qu’on les a traînés sur le sol et qu’ils viennent à peine d’être plantés.

 — Curieux, en effet, mais ce n’est pas ce qui nous intéresse pour le moment.

 — Pas faux.

 Alors qu’il quittait la clairière, Jinko se tourna une dernière fois vers l’arbre géant. Il crut voir dans son écorce un visage malicieux l’observer avec sournoiserie. Le corps de l’écuyer se liquéfia en un bain de sueur froide et il s’empressa de rejoindre le chevalier.

 Le groupe suivit Firi pendant de nombreuses minutes avant de tomber sur des traces de sang. Nul ne savait s’il appartenait à Malgati ou à l’une de ses victimes.

 Ils atteignirent ensuite l’orée d’une nouvelle clairière. Dans celle-ci, Soucia distingua entre l’épaisse végétation des bâtiments d’architecture inconnue.

 — C’est ici qu’ils habitent. Préparez-vous à tout, mais ne vous montrez pas agressifs. Nous devons savoir si une paix est possible.

 — J’en doute fortement, rétorqua Fabull.

 — Avec cette attitude, c’est certain que ça ne fonctionnera pas, lâcha Fanfrelet.

 — Qu’est-ce que tu me veux, toi ?

 — Rien, rien…

 — Fabull, soyez raisonnable, l’intima Lontary. Soucia a raison, nous devons essayer de communiquer, même si j’ai en moi l’intime conviction qu’ils ne se montreront pas très amicaux. Cependant, il est toujours préférable d’éviter le conflit quand c’est possible. Gardez bien ça en tête.

 — Leçon de moral… rumina l’insomniaque une fois le chevalier assez loin.

 Soucia repéra des silhouettes se mouvoir dans ce qui semblait être leur village. Ces créatures vaquaient à leurs banales occupations. Vu d’ici, n’importe qui aurait pu les confondre avec des humains. Le chef des soldats se tourna vers ses hommes :

 — Surtout, restez calmes, tenez-vous bien, et laissez-moi leur parler.

 Il essuya la transpiration qui lui tombait sur les yeux et prit une profonde inspiration avant d’entrer en territoire ennemi.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Yanyan ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0