Figuration

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Aussi, ma chaussure à la main, j’ai le trac. La gorge sèche. Je regrette qu’on ne m’ait pas donné le texte tandis que je me dirige vers la scène-caisse. Je me racle la gorge, effectue quelques mouvements de nuque, tourne un instant le dos au public et grimace pour me détendre les maxillaires en psalmodiant à voix basse ba-be-bi-bo-bu, ca-que-qui-co-cu, ra-re-ri-ro-ru, fa-fe-fi-fo-fu. Un crâne dégarni à ma droite lève un sourcil inquisiteur.

C’est à moi. D’une voix blanche, je parviens à décocher un bonjour pas convaincant à Siouxsie, qui me congèle d’un seul regard acier souligné de sombre. Ma chaussure de cuir encore en main, je tente de me lancer dans une explication selon laquelle, étant donné que dans les bacs ne se trouvent que les éléments droits des paires et que

– Jean-Claude !

Jean-Claude se manifeste. Comparé à lui, Houellebecq semble un dandy rigolard. Un reste de mégot en bouche, il reluque un instant la godasse, hoche ses cernes, me fixe un bref instant de ses yeux mi-clos dans lesquels je lis voyons à quoi ressemble le crétin qui s’est entiché de ces merdes.

J’avale ma salive mais respire, je ne suis que figurant. Un faire-valoir peut-être.

Là, je vois mon Jean-Claude soulever en soufflant une trappe au sol pour disparaître dans un escalier souterrain. Le dessous de scène, le trou du souffleur ! Les yeux agrandis, je tourne la tête et souris avec connivence au corbeau en robe. Je ne rencontre que la raie blafarde et rectiligne qui partage sa chevelure de jais. Elle est occupée à répondre à quelqu’un de plus intéressant que moi sur son sombre Smartphone. Sa bouche mâche, ses pouces virevoltent. J’ai été pitoyable. Je prépare ma sortie de scène, au moins ça. Je me redresse, allonge un billet d’un air faussement arrogant qu’elle ne remarque pas. Je saisis avec crânerie le bottillon que Houellebecq condescend à me tendre puis me dirige vers la sortie, droit et fier.

Une paire pas chère de chaussures montantes en cuir aux pieds, je remonte le Boulevard Barbès, considérant plus attentivement les vitrines et leur intérieur, zieutant dans le dos des débloqueurs de téléphones et autres découpeurs de kébabs, scrutant les façades. C’est que je me méfie des apparences à présent. À la première corbeille, conscient que la foule n’a d’yeux que pour moi, je me débarrasse avec nonchalance de mes grolles qui ont fait leur temps. Le geste est ample, détaché. Théâtral.

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