L'artefact

7 minutes de lecture

Voilà... le retour de Fille après un an d'absence. Je conçois que vous ayez pu perdre le fil, je me suis donc fendue d'un petit résumé-rappel juste au chapitre précédent, intitulé "Fille is back (interlude 2).

La troupe sur le départ commençait à s'impatienter. Les hommes maugréaient, les chevaux martelaient le sol de leurs sabots, faisant gicler la boue alentours. La pluie avait cessé durant la nuit, laissant la place à un ciel blaffard que les premiers rayons du soleil peinaient à percer. Le Général apparut enfin, flanqué de Konrad, le second officier de l'avant-poste. Ils étaient suivis par six cavaliers recrutés au sein de la petite garnison. Lando remarqua l'air sombre de son supérieur. Khaleb avait érigé la ponctualité au rang de religion, le retard ne pouvait forcément pas lui être incombé.

— Ces places fortes éloignées de tout et trop souvent livrées à elles-mêmes sont des proies de choix pour la routine et l'indiscipline, maugréa l'aide de camp à l'attention de Fille. Mais enfin, nous pouvons y aller.

— Ces hommes vont nous accompagner ? s'enquit la jeune fille.

— Pour un temps oui.

Quand elle lui en demanda la raison, l'aide de camp ne daigna pas lui répondre. Elle n'insista pas. Mais à peine la troupe s'était-elle ébranlée que l'évidence s'imposa. Car c'était en direction du nord que Konrad, flanqué de ses cavaliers, ouvrait la marche. Khaleb lui emboitait le pas, précédent ses hommes. Il avait pourtant pour habitude de s'insérer dans son propre dispositif, derrière ses éclaireurs et devant son arrière-garde.

— Nous ne rentrons pas à Nöhr-Stahad, fit la jeune fille.

Plus qu'une question, c'était un constat, aussi Lando ne trouva-t-il pas utile de sortir de son mutisme. Mais Fille insistait. Pourquoi diable s'enfonçaient-ils plus au nord ? Il n'y avait rien là-bas, avait-elle cru comprendre.

— Tu le découvriras bien assez tôt. Le Commandeur a ses raisons.

Elle fit contre mauvaise fortune bon cœur et laissa sciemment l'aide de camp la distancer d'une dizaine de longueur. Lui d'habitude si prolixe, n'avait manifestement pas envie de converser.

***

Cela faisait maintenant deux jours qu'ils faisaient route. L'après-midi était déjà bien entamée. Depuis la veille au soir, la pluie était tombée sans discontinuer. Ils avaient bivouaqué dans des conditions épouvantables et renoncé depuis longtemps à tenter d'endiguer les assauts des éléments qui s'infiltraient partout, dans leur nuque, dans leurs reins et dans leur chausses. Tous étaient trempés jusqu'aux os, les hommes s'étaient enfermé dans un mutisme résigné.

Ce fut juste avant que la nuit ne tombe qu'ils atteignirent enfin leur but. Konrad fanfaronnait, comme un enfant fier de sa découverte. Fille ne comprit d'abord pas ce qui pouvait bien justifier son excitation. Il désignait du doigt, au loin, une colline sombre aux formes irrégulières. Le blizzard et la pénombre qui doucement s'installaient compliquaient l'observation. Mais à mesure qu'ils approchaient, la scène prenait corps : la colline était éventrée. C'était comme si un ogre titanesque y avait mordu à belles dents, pour s'en repaître goulument. Intriguée, Fille s'était rapproché du groupe de tête. Elle interrogea Lando.

— Est-ce pour ceci que nous avons modifié nos plans et que nous bravons depuis deux jours ce déluge ? lui demanda-t-elle.

— Peut-être, répondit-il, énigmatique.

Après un long silence, il reprit.

— Mais pour tout t'avouer, nous n'avons rien modifié du tout. C'est ce que nous sommes venus chercher.

— Une montagne ? Enfin, une grosse colline ?

Elle n'y comprenait rien.

— Attends de voir. Tu ne crois quand même pas que nous avons fait tout ce voyage uniquement pour entendre des capitaines et des chefs de village réclamer plus d'hommes et de moyens ?

— C'est pourtant ce que vous m'avez affirmé.

— Khaleb et moi jugions préférable de garder secret l'objet de cette expédition. La tournée d'inspection n'était qu'un prétexte. Dans les faits, c'est Bulgur qui pour l'essentiel, s'en charge.

Ils étaient maintenant suffisament proches pour distinguer les détails du relief. Le mont les dominait maintenant de toute sa masse. Fille constata qu'il était bien plus haut que ce qu'elle avait pu croire en l'apercevant de loin. Le trou béant sur son flanc ouest arborait une teinte terreuse qui ne contrastait que peu avec le vert foncé des pins qui le bordaient. En apercevant la coulée brunâtre qui courait jusqu'au pied de la montagne, Fille comprit que la blessure n'avait rien de surnaturel.

— Un éboulement, fit-elle à l'adresse de Lando.

— Un glissement de terrain pour être précis, répondit ce dernier.

La jeune fille fronça les sourcils, aussi l'aide-de-camp crut-il bon de poursuivre.

— Mais ce n'est bien sûr pas non plus pour une rivière de boue que nous nous sommes déplacés jusqu'ici.

À quelques dizaines de toises de la coulée, on avait dressé un petit campement. Trois tentes à peine, une latrine, un feu mal protégé des intempéries par un auvent de fortune, une grande cabane érigée avec des troncs. Le paysage déolé, l'immense colline sombre et menaçante et les éléments déchaînés contrastaient avec la précarité des comodités. Une dizaine d'hommes tenait lieu de comité d'accueil. Lando se fendit d'un grand sourire.

— Bienvenue au bout du monde, fit-il à l'adresse de Fille.

— Est-ce là la frontière ? s'enquit-elle.

Ils mirent pied à terre et s'avancèrent à la suite de Khaleb et de Konrad vers les occupants des lieux, tandis que quatre hommes d'escorte se chargeaient de leur chevaux. Lando continua, à voix basse.

— Frontière est un bien grand mot. Au nord d'Enfernturm, il n'y aplus rien qui vale la peine d'être défendu. Et il faut s'enfoncer bien loin dans les Terres Sombres pour trouver les premiers signes de vie.

— J'entends bien. Mais sommes-nous toujours ici chez nous ?

— En toute honnêteté, je n'en sais trop rien. La frontière n'est pas toujours linéaire. Quand elle n'est pas délimitée par un fleuve, une rivière ou une chaîne de montagne, elle peut revêtir la forme d'une zone tampon, une sorte de terre neutre entre deux provinces.

Konrad présenta le petit détachement au général. Leur chef proposa d'emblée de se mettre à l'abri.

— Nous ferons au mieux pour tenter de sécher vos effets, ajouta-t-il.

Mais Khaleb ne l'entendait pas ainsi.

— La nuit tombe. Je préfèrerais profiter des dernières lueurs pour voir l'artéfact. Menez-moi à lui, nous aurons tout le loisir de profiter plus tard de votre hospitalité.

— Comme vous voudrez, Messire Général, fit leur hôte. C'est juste à côté, nous avons le temps d'y faire un saut.

Le commandeur se tourna vers Lando.

— Les hommes peuvent disposer. Qu'ils se reposent, nous repartirons demain dès l'aube. Entretemps, qu'ils ne quittent pas la tente si ce n'est pour se rendre aux latrines. Toi et la petite, vous venez avec moi.

Lando eut tôt fait de transmettre les ordres. Les hommes ne se firent pas prier, tout valait mieux que subir encore la pluie et le froid. Avec Fille et Konrad, il se joignit à Khaleb puis au chef du petit détachement, accompagné, lui, d'un de ses soldats. Le groupe s'éloigna à pieds en direction de la coulée de boue.

Elle n'était distante que de quelques centaines de pas. Debouts sur une petite bute, le groupe contemplait maintenant le magma terreux qui s'étendait quelques pieds en contrebas. Lando émit un sifflement. Khaleb fronça les sourcils et se gratta machinalement la tête, Konrad souriait, content de son petit effet. Les hommes du cru, eux, blasés, ne manifestèrent aucune émotion.

A leurs pieds, empêtré dans la boue, les arbres déracinés et les relents de terres arrachée, s'étendait ... s'étendait quoi au juste ? Un squelette. Un immense squelette. Comme faisant écho aux pensées de la jeune fille, ce fut Lando qui brisa le silence.

— On dirait les restes d'un animal, lança-t-il.

— D'un animal ? Cette chose s'étend sur au moins dix toises. Un éléphant géant ?

Khaleb semblait s'adresser autant à lui-même qu'à ses hommes. Konrad se risqua à répondre.

— Nous avons retourné la question dans tous les sens, Général. Si l'on se fie aux histoires colportées, car personne ici ou même à Nöhr-Stahad n'a jamais vu d'éléphant, les plus grands atteignent quatre toises, cinq au plus. C'est à peine la moitié de cette... chose. Mais surtout...

— Des rumeurs font état d'éléphants gigantesques dans le lointain orient, l'interrompit Lando.

— Mais ce sont des rumeurs, pour ne pas dire des contes ou des légendes, rétorqua Khaleb.

Fille avait lu plusieurs écrits au sujet de ces animaux fabuleux, dans les livres de Tabor. Ils confirmaient les dires de Konrad. Les éléphants étaient gigantesques, mais n'excédaient pas en hauteur la taille de quatre ou cinq hommes. Elle gardait pour elle ses réflexions tandis que Konrad, d'autorité, reprenait la parole.

— Ce que je voulais ajouter, Général, c'est que pour ce que nous en savons, les éléphants sont des animaux très massifs. Regardez cette chose.

Khaleb observait la structure en caressant de l'index son menton. Entre chien et loup,il lui fallait faire un effort pour en distinguer les détails.

— Elle est tout en finesse, murmura-t-il.

— Tout à fait, déclara leur guide sur un ton enjoué. Tout en finesse et tout en longeur. Mais n'y a-t-il rien d'autre qui vous frappe ?

— Elle n'a pas de pattes.

C'est Fille qui venait de s'exprimer, presque sans s'en rendre compte. Ils se tournèrent vers l'ordonnance, qui, les yeux rivés sur la carcasse, poursuivit :

— Elle n'a pas de pattes et elle est très épurée, très simple. Il y a juste ce corps ... oblong. Et ces longs os de part et d'autre du corps, immenses. On dirait ...

— Un oiseau ! s'exclama Lando. On dirait un oiseau géant !

— Mais il n'a pas de tête, remarqua Khaleb.

Sur ce, le Commandeur s'avança prudemment vers l'objet de leur curiosité. Ils lui emboitèrent le pas, peinèrent à progresser dans la boue dans laquelle ils s'enfonçaient jusqu'aux genoux. Konrad et son soldat restèrent prudemment sur leur bute.

— Ce ne sont pas des os, fit-Khaleb en triturant les débris. Quelle est donc cette étrange matière ?

À son tour, Fille, effleura la carcasse du bout des doigts. Fascinée, elle ne pouvait s'empêcher de la caresser. Machinalement, elle porta son autre main à sa poitrine, comme pour vérifier qu'elle était toujours bien là, sous ses vêtements, à même sa peau.

Son amulette.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire J. Atarashi ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0