Le Chasseur

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Edit 2 avril 2024 : 
Cette nouvelle version concerne surtout et presque uniquement la réécriture au passé plutôt qu'au présent. Je ne suis pas encore certaine de maintenir ce chapitre dans sa forme actuelle, il amène peut-être son lot de confusion. Vos retours et impressions sur ce point m'intéressent au plus haut point.


— En es-tu certain, Karghil ?

— À ce niveau de ressemblance Sire, le doute n'est plus permis.

— À quand remonte le dernier ? Près de dix cycles, non ? Tu as pu te tromper. Le temps déforme les souvenirs.

— Pas ceux-là, Majesté. En outre, j’ai eu tout le loisir de l’observer hier soir, lors du dîner. Même ses mimiques me semblaient familières. C’en est un Sire, j’en mettrais ma main encore valide au feu.

De rage, Karyl Khan Pradesh envoya valdinguer sa coupe qui vint percuter l’épais mur de pierre puis le sol dans un fracas métallique. Il lança, amer :

— Je pensais en être définitivement débarrassé ! Ça ne finira donc jamais !

Silencieux, l’homme se pencha pour ramasser le récipient d’argent, en prenant garde de ne point marcher dans les relents de vin répandus sur la pierre. D’homme, il n’avait d'ailleurs plus guère que l’allure. Son visage était couvert de cicatrices, vestiges probables d’anciennes brûlures. Son nez n’était plus qu’un moignon, ses oreilles aux bords déchiquetés évoquaient une grossière dentelle. Sur son crâne à la peau fripée subsistaient quelques rares touffes de cheveux gris. Deux doigts manquaient à sa main gauche. Si pour le profane, ce corps meurtri semblait porter les marques de la lèpre, les rares initiés ne s’y trompaient pas. C’était le Mal Céleste qui avait imprimé dans sa chair sa signature, ponctuée çà et là de cicatrices laissées par l’acier des épées.

Karghil déposa la coupe en argent sur la table. Le souverain, debout, bras croisés face à une large fenêtre, semblait perdu dans ses pensées. Il parcourut l’horizon du regard en soupirant.

— Et tu dis qu’il appartient à la Cour d’Orient …

— Oui Sire. Pour être précis, il fait partie de la suite de Dame Shirin. C’est un scribe.

Ces arrivistes du fin fond du Levant, encore ! Le souverain peinait à cacher son exaspération. Il lui fallait envoyer un signal fort. S’il passait l’éponge encore une fois, il finirait par les retrouver assis sur son propre trône !

— Tue-le !

— Il en sera fait selon vos désirs, mon Roy. En toute discrétion.

— Oublie la discrétion. Débrouille-toi pour que l’on ne puisse remonter jusqu’à toi, mais ne tente pas de maquiller ça en accident. Il est grand temps de rappeler à ces intrigants qui gouverne ici !

— Bien Sire.

— Quant à toi, mon bon et fidèle Karghil, je crains malheureusement qu’il ne te faille reprendre la chasse …

***

Dans l’aile est du Palais Royal, un étage entier abritait les quartiers du personnel attaché au premier Cercle des hauts dignitaires en visite à la capitale. Bien moins ostentatoires que les fastueux appartements des membres de la cour, ces logements n’en demeuraient pas moins fonctionnels et confortables. Aman, scribe attaché à la Maison d’Orient, jouissait ainsi d’une chambre spacieuse qu’il occupait seul. C’était un peu par hasard qu’il s’était vu désigné pour accompagner sa maîtresse à Kendr-Kâ-Shahar, le secrétaire particulier de Dame Shirin ayant dû renoncer au voyage en raison d’une mauvaise fièvre qu’il traînait depuis maintenant près d’une lune.

Outre le couchage, la grande malle et une tablette d'ablutions, la pièce abritait le mobilier nécessaire à son labeur : un petit secrétaire, des candélabres, deux chaises dont l'une, confortable, était recouverte d'un cuir patiné. La chambre était séparée du couloir par une petite antichambre censée assurer à l'occupant des lieux un surplus d'intimité et de quiétude. Et ce soir justement, Aman, qu'habituellement un rien réveillait, dormait d'un sommeil que rien ne venait troubler.

La nuit était déjà très engagée lorsque l’ombre se glissa dans le corridor. Elle allait d'un pas léger, si aérien que ce fut à peine si le bruissement de sa longue cape vint perturber le silence religieux qui s'était emparé du Palais. D'ordinaire, quelques éclats de voix des soldats en ronde ou leurs pas sur la pierre hantaient la citadelle endormie, mais ce soir, cette partie du bâtiment semblait abandonnée de tous.

Bien que l'allée fut bordée de plus d'une vingtaine de portes sur chacun des côtés, l'homme s'immobilisa face à l'une d'elle sans une parcelle d'hésitation. Il tendit l'oreille. Rien. Mais lorsqu'il tenta d'ouvrir le battant, il lui résista.

Fermée de l'intérieur.

Il frappa trois coups discrets, sans succès. Insista, mais rien ne bougeait. Il tambourinait maintenant avec plus de vigueur, priant pour ne pas ameuter l'un ou l'autre voisin.Ce fut avec soulagement qu'il entendit le verrou glisser, à l'intérieur. Le scribe entrouvrit à peine la porte, méfiant, pour s'enquérir de ce qui lui vallait cette visite nocturne.

— Votre maîtresse vous fait mander. Un courrier urgent qu'elle souhaite env...

— Ma maîtresse ? Dame Shirin ? À cette heure ? l'interrompit le levantin. 

— Une urgence, répondit l'homme.

Le jeune secrétaire ne cachait pas son étonnement. Sourcils froncés, il dévisageait le visiteur avec méfiance, voire d'inquiétude. Le Mal d'Arwan, s'il lui avait pris son nez et ravagé sa bouche, n'avait en rien entamé la capacité de Karghil  à flairer les signes avant-coureur de la peur.   

— Ma maîtresse ne convoque pas ses scribes en pleine nuit, et depuis je suis à son service, elle me fait toujours fait mander par une servantes,bougonna le jeune homme. 

Le scribe repoussa vivement la porte mais déjà, l'homme de main avait inséré son pied entre le battant et le chambranle. Une décharge d'adrénaline acheva de réveiller le jeune Aman, mais il était trop tard. L'assassin se jeta sur lui, le saisit à la gorge et plaqua une main sur sa bouche, l'empêchant de crier. Du pied, il referma l'huis. Sa victime se débattait comme un beau diable quand il le traîna dans l'appartement. L'ombre le jeta au sol, que la tête du jeune homme vint heurter violemment. Le chasseur prit garde de clore la porte qui les séparait de l'antichambre. Sa proie aurait beau crier, sa voix ne risquait pas de porter bien loin. Mais deux précautions valaient mieux qu'une.

— Si tu cries, tu meurs dans la seconde.

Tu mourras de toute manières re, quoi qu'il advienne ...

— Es-tu activé ?

Le scribe le fixa, hagard.

— Que ... que voulez-vous dire ?

— Réponds-moi ! As-tu été activé ?

— Je ne comprends pas, je ...

Le coup l'atteint en plein visage, explosant sa pommette et libérant un cri de douleur. Mais l'homme n'en avait cure, il s'entêtait à le questionner.

— Où sont tes frères ?

— Je ... je ne comprends rien à ce que vous me voulez, je n'ai ni frères ni ...

Il n'eut pas le temps de terminer sa phrase, le tueur était maintenant sur lui à califourchon, sa main mutilée plaquée sur la bouche du garçon qui semblait ne rien y comprendre. De son bras droit, Khargil se saisit de sa dague et l'enfonça lentement dans l'épaule du malheureux. C'est d'une voix mécanique qu'il réitéra sa question.

— Es-tu activé ?

Le jeune Aman se tordait de douleur, il tentait crier mais ses hurlements étouffés ne trouvaient que les murs pour lui répondre. Il essaya de secouer la tête. Non, non !

C'était maintenant dans son cou que la dague s'enfonçait doucement. Le regard suppliant laissa place à la terreur.

— C'en est fini pour toi. Puisse-tu trouver la paix ...

Seul un immonde gargouillis lui répondit, tandis que le sang giclait à flots, emportant avec lui les derniers souffles de vie.

— ... si toutefois tu as une âme.

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