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Les bips réguliers d’un appareil lui tapaient sur le système. Sommeil. Son corps réclamait le sommeil et l’oubli. De nouveau, son rêve l’arracha à la conscience. Oui, s'abandonner encore, juste un peu. Jouir encore un peu de cette vieille bâtisse posée sur sa colline, de la présence de cette femme dont le visage flou ne laisse pas deviner les traits familiers, de cet air de musique country qui boucle à la radio, et de ce parfum de brioche chaude qui embaume un après-midi sans fin. Le rêve se dissipa jusqu’à s’évanouir. Seul l’agaçant tintement de la machine resta là, à marteler sa cervelle sédatée. La fatigue, accablante, lui écrasait les tempes et l'empoignait de tous ses membres. Il entrouvrit les yeux. Les détails de la pièce mirent quelques instants à se soustraire du voile de lumière blanche aveuglant. Comment s’était-il retrouvé ici ? La chambre pouvait être celle d’un hôpital, non, le décor ne s’y prêtait pas, trop chic, trop chargé, d’une clinique privée, peut-être ? La veille, il… Il quoi ? Il ne se souvenait pas. Il s’appelle Jacques, Jacques… Morelli, c’est ça. Il est l’employé d’une compagnie d’assurance depuis douze ans. Voilà. Quel jour était-il ? Jacques se redressa. Ses muscles endoloris lui imposèrent la grimace. On l’attendait certainement au bureau. Il parvint à s’asseoir, chercha du regard son téléphone portable. Quelqu’un avait dû le ranger pendant son sommeil. À quoi ressemblait-il, déjà ? Gris, c’est bien ça. Les fils reliés aux électrodes sur son torse entravaient ses gestes. Il les arracha d’un coup. L’appareil se mit à hurler. Il se leva, s’appuya sur la tête de lit pour ne pas perdre l’équilibre, et frappa à l'aveugle le moniteur jusqu'à atteindre le bouton off. Le silence fit place à des voix feutrées. Derrière la porte, du monde s’activait. Allait-on venir ? Il ne pouvait pas rester.

Un cathéter était planté, là, dans son bras nu marqué d'ecchymoses. Il l'extirpa d’un geste, le jeta au sol. Où était-il ? Il aperçut un placard, avança d’un pas, fit glisser la porte. Des vêtements qui ne lui appartenaient pas y étaient soigneusement pliés. Il fouilla, ne vit aucune trace de son téléphone. Tant pis. Jacques saisit un pantalon gris informe ainsi qu’une chemise à carreaux, entre vert et bleu, sans goût. Il s’assit sur le lit, puis s’habilla tant bien que mal. Il se sentait si faible. Combien de temps avait-il passé ici, couché ? La douleur le lançait à chaque fois qu’il pliait une articulation. Les courbatures lui brûlaient les muscles. Des chaussures en cuir sans lacet l’attendaient au sol. Il les passa, non sans peine. La bonne pointure, chanceux. Il devait ressembler à son vieux père ainsi accoutré.

En s’appuyant au pied à perfusion, il s’approcha de la porte, l’entrouvrit. Du personnel médical s’affairait, emporté par la panique des journées surchargées. Une folie générale semblait vouloir habiter tout ce monde. Il abandonna le mobile, se glissa dans le couloir, les yeux baissés, et fila, la main collée aux murs, vers un espace ouvert vraisemblablement éclairé d’une lumière naturelle. La réception. Une infirmière, à l’accueil, s’acharnait sur son clavier, le visage plongé dans son écran. Plus loin, une porte, une rampe, la rue, la sortie. Le téléphone sonna. L’infirmière répondit sèchement d’une voix nasillarde enrobée d’un accent bizarre, haussa les yeux au ciel, puis quitta son poste en pestant des paroles incompréhensibles. Il n’y aurait pas de meilleure occasion. Il fila à petits pas, se mordant les joues à chaque geste pour ne pas gémir de douleur. Pourvu que la porte ne soit pas barrée, il ne faut pas, il fallait qu’elle soit ouverte, il la défoncerait au besoin, briserait la vitre à grands coups, avec ce porte-parapluie par exemple, peu importe, on l’attendait, il sortirait. Le battant n’offrit aucune résistance à son épaule ankylosée. Surpris, Jacques quitta ce lieu de fous.

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