M’avertir, pourquoi ?

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Camille de Mornay, le profileur qui travaillait avec leur unité, était encore avec un patient. Elena profita pour relire le mail de Damien qu’elle avait reçu tôt le matin. Deux phrases seulement, polies, neutres, mais adressées uniquement à elle.

« Bonjour Elena,

J’espère que les documents envoyés vous sont utiles.

Dis-moi si je peux vous aider avec autre chose.

Cdt,

Damien »

Elle fit de son mieux pour répondre. En plus ils avaient trouvé que le professeur Laval faisait régulièrement des virements vers une association d’anciens combattants en Irak, Les frères verts. A l’AFA ils avaient regardé ces virements ? Cette association lui disait quelque chose ?

Sa réponse la déçut, sèche, presque maladroite dans son enchainement. Mais elle ne trouvait rien de mieux et regardait la tête vide l’écran de son téléphone avec la barre clignotant en attente de ses mots.

La secrétaire lui fit signe que la psy pouvait la recevoir maintenant, Elena envoya le message tel quel et entra dans le cabinet.

- Asseyez-vous, dit Camille d'une autre pièce lorsque Elena ferma la porte.

Normalement ces debriefs avaient lieu dans les locaux de la police, Elena voyait son cabinet pour la première fois. Elle s’attendait à une atmosphère toute en pénombres, mais le cabinet baignait dans la lumière de la matinée. Les deux fauteuils face à face dans un coin de la pièce et les rideaux sombres rangés sur les côtés de la fenêtre sauvaient un peu l’idée qu’elle se faisait d’une consultation.

Camille s’approcha avec le dossier du professeur Laval.

- Vous voulez plus que le profil que je vous ai transmis, je comprends ? dit-elle avec une pointe de curiosité.

Elena la suivit au bureau en verre et acier et s’assit sur une des chaises pour les patients. Sur le mur de gauche, une étagère avec des albums d’art et statues africaines, lui sembla encore plus étrange. Mais juste derrière, la couverture noire d’un livre broché, Les après-midis de cristal, signé Camille de Mornay, la fit sourire, c’était son dernier roman policier.

- Nous avons de nouvelles hypothèses, dit Elena avec le regard encore vaguant en direction de l’étagère.

- Vous comprenez que je ne peux pas deviner ce qui s’est passé ?

Elena eut un rire gêné.

- Nous envisageons la possibilité que le professeur Laval ait simulé un enlèvement…

- Bon... J’ai eu le message de votre collègue avec le déroulé de la journée…, concéda Camille, je vous suggère de vérifier ce qui s’est passé pendant ses dernières recherches sur la grippe, il est probable qu’il ait saboté lui-même son étude.

Elena la regarda surprise. Camille jouait avec la chaine dorée de ses lunettes, ses cheveux courts, blonds-blancs, formant, en contre-jour, une auréole désordonnée autour de sa tête, la bouche serrée à la recherche des mots les plus justes. Elle semblait plus jeune comme ça, avec une expression de concentration presque enfantine.

- Il y a une sorte d’impulse destructeur dans son profil. Une sorte de vertige. Il a accompli tout ce qu’il s’était proposé, plusieurs prix internationaux en poche… sauf peut-être le prix Nobel. Il est considéré génial, il est adulé par les étudiants, il est publié par les magazines scientifiques les plus réputés, quelques-unes de ses découvertes sont validées par le monde scientifique... Mais cela ne lui suffit plus. Côté cœur, il est convaincu que l'admiration qui pousse les femmes sur son chemin est érotique et que le désir est partagé. Mais il n’y a aucune attache, aucune satisfaction…

- Pourquoi vous pensez qu’il a saboté son étude ?

Ça n’avait pas de sens. Et comme d’habitude avec Camille de Mornay, ses convictions concernant des personnes qu’elle n’avait jamais rencontrées laissait Elena perplexe.

- Romain Bonneteau, reprit Camille en remettant ses lunettes et cherchant péniblement sur l’écran d’ordinateur devant elle. Vous dites que Romain Bonneteau était un étudiant brillant de Laval au début de sa carrière et qu’il s’est suicidé ?

- Oui.

- Alors qu’il était toujours étudiant et en relation directe avec le professeur Laval ?

Elena ne comprenait pas.

- Pourquoi choisir son nom pour revenir sur les médias sociaux ? demanda rhétoriquement Camille.

- Nous ne sommes pas encore sûrs que ce soit lui…

- Je ne suis pas devin, mais c’est une sacrée coïncidence. Je pense qu’Hugo Laval se trouve piégé dans une vie, dans un rôle qui ne lui convient plus et il ne voit pas d’issue. Vu l’état de son appartement, si ses articles au nom de Bonneteau ne lui donnent pas assez d’adrénaline, il pourrait être dangereux.

Ils investiguaient une disparition, pas de traces d’agression jusque-là… mais l’idée qu’il eut fait échouer lui-même ses recherches méritait d’être analysée.

- Et Alexander Ian ?

- Ah, lui, pas le profil pour préméditer, puis effectuer un enlèvement sur la personne de son idole et revenir dans l’université ensuite pour prendre sa défense. Vous faites fausse route sur lui.

La secrétaire entra.

- Votre patiente de 10h30 vient d’arriver.

- Très bien, Martha. Capitaine, je pense que vous avez vos réponses, d’ailleurs je crois que c’est votre téléphone qui sonne...

Elena se leva.

Son téléphone vibrait péniblement dans son sac en faux cuir, elle décrocha sur le couloir. C’était Damien.

- Damien ? elle n’avait presque pas entendu ses premiers mots.

- Salut Elena, je te dérange ?

Il avait donc gardé son numéro de téléphone, pensa-t-elle en répondant machinalement à ses questions.

- Je t’appelle pour t’avertir, je t’ai envoyé aussi une copie par mail, mais c’est plus rapide comme ça.

Mais de quoi il parlait ?

- M’avertir, pourquoi ?

- Nous avons reçu un courrier de menaces si on continue l’enquête sur le professeur Laval. Je vous ai envoyé le courrier pour expertise.

- Anonyme ?

- Courrier anonyme, oui.

- D’accord, je regarde ça dès que j’arrive.

- Vérifiez si vous avez reçu des courriers aussi… il y avait nos noms et adresses dedans, il faut rester prudents. Plus plein d’insultes à l’adresse de ta brigade et des menaces pour moi si lundi l’enquête de l’AFA n’est pas abandonnée…

Elle était arrivée en bas de l’escalier, dehors la lumière était aveuglante.

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