Deuxième scène

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Tout d’abord, Konkolo accéléra son souffle. Il enchaînait de grandes respirations, le mouvement de l’air dans les cavités engeandrait un son allant crescendo. L’excitation avec laquelle il exécutait cela réduisait à chaque prise la quantité d’air renouvelée : Ses poumons devenaient un ballon bientôt prêt à l’implosion, l’oxygène lui montait à la tête et sa vue devint trouble comme la courbe d’une oasis. Il dut bientôt arrêter sa manœuvre afin de pleinement vider sa cage thoracique et reprendre un rythme de croisière : ce travail méticuleux de la conscience pliant le corps à la complète expulsion, réduisant les poumons à l’état de bête dépecée, lui demanda un effort désagréable. Cette tentative fut vaine, l’ébauche de moisson n’arracha pas même un rictus à la statue.

Konkolo s’essaya ensuite à frapper son palais à l’aide de sa langue, de légers échos se firent entendre, semblables certainement au songe créé par une averse. Néanmoins, le garçon trouvait ce bruit bien faible et se mit à frapper plus fort : il comprit rapidement qu’il avait besoin de plus d’amplitude, alors il avança sa mâchoire du bas afin de donner à sa langue un meilleur élan. Le son devint effectivement plus palpable, fier de son système, Konkolo accéléra le rythme des battements mais très vite, les angles droits de la mandibule le firent souffir si bien qu’il dut arrêter son tambourinage qui ne produit qu’une mine défaite sur son visage.

Ces échecs ayant tendu ses nerfs, il inspira et perdit toute forme de tact : il tapa quatre fois des mains afin de fixer un rythme qu’il n’était plus certain d’avoir en tête ; il se racla la gorge puis émit d’une voix rauque une première mesure d’un timbre linéaire, sans accent. Une seconde suivit. La troisième s’acheva avec une légère fluctuation en son terme mais la quatrième s’attacha à reprendre l’original. Il marqua une pause et mêla cette fois claquements et vocables, ce n’était qu’une série de répétitions de semi-consonnes mêlées de voyelles, celles-ci s’allongeaient comme afin de produire une ombre, comme pour baigner de rosée la suivante : certaines mesures étaient marquées par de telles dissonances que l’on comprenait que ce chant était à l’origine composé de plusieurs voix, Konkolo ne faisait pourtant qu’appliquer la leçon retenue par son corps, une leçon si profondément ancrée que la chair offrait seule sa récitation. Quelques percussions étaient parfois exécutées par les pieds, en contre-temps, s’accumulant sèchement, tout écho étant égorgé par l’immensité des lieux. La matière contre laquelle les pieds frappaient ne leur procurait aucune douleur, tout juste était-ce si la notion de contact parvenait aux nerfs.

Si un large sourire vint se graver à la face de Konkolo, rien ne semblait avoir changé depuis son arrivée, c’était une boucle méconnue bien qu’appliquée.

A court d’idées, Konkolo s’étira, ferma les yeux quelques secondes puis s’installa au côté d’Oshun, s’efforçant de prendre la même position.Il ferma les yeux, Soleil frappait ses sens, chaque parcelle de peau, chaque pigment, picotaient son esprit. Il fit en sorte d’appuyer tout son poids contre le sol, ce dernier était parcouru d’un léger souffle, les picotements perduraient… Il tapota ses joues puis se concentra : Il ignora peu à peu ses sensations tout en prenant plusieurs grandes respirations, celles-ci étaient bruyantes et contrastées avec le silence d’Oshun. En effet, ce dernier ne semblait qu’une enveloppe dépourvue de tout mouvement, Konkolo se demandait si, en mettant sa main face à ses narines, il sentirait quoi que ce soit –ce qu’il ne fit pas par une soudaine peur d’éveiller la statue et de voir ses doigts emportés par une soudaine faim ou férocité d’Oshun.

Il se concentra sur son propre souffle dont le bruit s’apaisa mais alors, les vadrouilles des fourmis aux alentours vinrent perturbés son attention et sa respiration reprit son brouhaha. Konkolo rouvrit les yeux, les frotta, se re-tapota les joues puis réessaya son entreprise. De la sueur perla sur son front ainsi que son buste.

Cette position était inconfortable. Le dos tirait, la colonne se plaignait de cette nouvelle allure raide, volontairement droite, piquée à la manière d’un cadran solaire. Chaque vertèbre signalait sa présence comme un ouvrier en grève, Konkolo dût de nouveau s’étirer afin d’apaiser l’émeute. La nuque s’éveilla à son tour : c’était un serpent voulant s’extirper de son bocal, sur elle pesait le poids du corps. Konkolo fit quelques douces rotations puis redressa le menton. Les hanches pesaient comme celles s’apprêtant à la mise à bas, Konkolo sentait leur dessin, leur coupe. Cet attirail se montrant pourtant anonyme pendant la marche faisait ici des siennes ; Konkolo remuait afin de contraindre l’ensemble du bassin à la position voulue. Les genoux et les rotules, dans une harmonie cruelle, grinçait en rouages bien mal utilisés. Quelques douloureuses minutes furent nécessaires au confort, il fallait que jeunesse se fasse.

Lorsque le corps se plia à sa nouvelle pose, ce fut l’esprit de Konkolo qui s’agita. La confrontation au vide l’irritait, ou plutôt, démangeait ses nerfs : il sentait son estomac se creuser, comme si l’intérieur de son corps s’effondrer par volonté de produire de l’action. Un trou noir germait en lui, sollicitant les entrailles, le garçon percevait les cavités et les passages oU le sang prenait son cours ; tout du moins imaginait-il cela, tâchant de donner un sens à ces sensations nouvelles qui le parcouraient.

Cette agitation s’atténua peu à peu. L’attention revint au niveau de la tête, du front. Les paupières, leur intérieur, s’agitaient en un théâtre d’ombres : des milliers de flashs alternaient grandeurs et petitesses, des maisons jaillissaient d’un sol inexistant avant de s’effondrer afin de germer en leur décombre une nouvelle fleur venant prier le ciel. Konkolo découvrait ce spectacle gratuit et propre à lui-même, le cerveau s’agitait afin d’éviter la complète inaction. Car le silence n’existe pas et les couleurs que voyaient Konkolo étaient en réalité des feux d’artifices assourdissant, la pensée s’y cognait furieusement, courrait après elles sans la contrainte du souffle, un hurlement marquait cette poursuite pourtant stagnante dans l’esprit du garçon. Il comprit néanmoins que ce paysage ne pouvait être celui d’Oshun qui, s’il avait été confronté à cela plus d’une dizaine de minutes, aurait certainement depuis longtemps réintégré les rangs de Rezos. Konkolo s’attaqua donc à rapatrier sa pensée sur sa propre personne : il fut confronté à une embûche ou, plutôt, l’essai lui fit l’effet d’un retour de bâton jaillit d’un miroir. En lui, absolumment rien de concret ne venait. C’est-à-dire qu’aucune action ne germait, il restituait avec difficulté son trajet jusqu’Oshun, parvenait à représenter son désir de l’atteindre mais ne pouvait revenir plus loin en arrière. Le passé, le présent de l’heure précédente, n’existait plus. Konkolo prit conscience que rien ne vivait avant lui, que tout semblait être incinéré, que sa sur sa vie jusqu’à présent s’était faite au sein d’une ombre insaisissable. Il n’y avait que des maisons, des corps, des reliefs et l’entropie. Son chemin jusqu’à cette seconde était invisible, ne demeurait simplement plus, tout avait été inspiré ailleurs et le laissait tel quel, comme un cactus se nourrissant uniquement de l’instant.

Alors une certaine sérénité s’empara de lui : son être ne se diffusait plus vers l’extérieur, son esprit était encadré par son corps, il n’était que le seul objectif dans le viseur. Le paysage en lui s’atténua et laissa place à une prairie d’ébène tandis que sous lui, la pierre revêtait peu à peu le rougeoiement de Soleil.

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