Épisode 06 - Qui est Prométhée ?

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 — Je crois... que je vais reprendre un brandy, dis-je en me levant en direction de la desserte où se trouvaient alignées les bouteilles d'alcool.

 Je n’avais pas pour habitude de boire plus d’un verre par jour de ce réconfortant breuvage, mais je pense que j’avais eu plus que mon compte de surprises pour la journée, voire pour l'année toute entière. Avant de tenter de désamorcer la bombe que ma nièce préférée venait de me jeter au visage, il fallait que j'anesthésie la petite voix paniquée qui hurlait dans mon crâne “les femmes et les enfants d’abord !”. Une panique qui s’accompagnait, je le sentais, d’un tressaillement de ma paupière droite intermittent et intempestif. Une réaction que seule ma grand-tante bien aimée avait su provoquer dans le passé.

 Question naufrage notre demeure du surrey située à 45 miles de la mer me semble sans danger. Je n'avais donc aucune raison d’émettre des S.O.S pupillaires ou de faire tinter nerveusement la fiole de brandy contre mon verre pour sonner l’alerte, comme j’étais en train de le faire. Je regagnai mon fauteuil. Je fermai les yeux en sentant la première gorgée d’alcool descendre le long de mon oesophage et respirai deux fois lentement pour tenter de reprendre le contrôle des événements.

 — Ma chère Pauline, tu connais Prométhée ?

 — Je ne l’ai jamais rencontré, mais nous avons pas mal discuté et je lui ai rendu quelques petits services.

 Je sentais que ma paupière était de nouveau prise d’une crise d’épilepsie. Pour éviter que Pauline se méprenne sur mes intentions, je plaçais ma main devant mon œil en prenant une pose pensive.

 — Comment… est-il... possible de parler avec quelqu’un sans le rencontrer ?

 — Sur internet. Je me suis peut-être vanté de connaître l’art ancien et d’avoir un oncle qui est un expert en la matière. Prométhée a semblé intéressé par le sujet. Il me suffisait de venir te voir pour avoir les réponses dont il avait besoin.

Bassano ! Je ne me rappelais plus que c’est Pauline qui m’avait interrogé sur ce sujet.

 — Tu veux dire, que tu as fait sa connaissance sur un site de rencontres ?

 — Pas le genre de site destiné aux relations romantiques. Rappelles-toi, je recherchais des informations sur un dessin volé qui aurait pu être une esquisse de la toile que tu étais en train d’expertiser. Tu voulais le classer chronologiquement dans la liste des œuvres de l’artiste afin de pouvoir dater ce tableau. Les forums sur lesquels on peut trouver ce type d’information ne font pas partie de l’internet officiel. Je dirais même qu’il faut s’enfoncer assez loin dans des territoires éloignés de la légalité.

 C’est vrai que je profitais parfois des dons de Pauline pour l’informatique. Je lui confiais des missions de recherche ou de classement de données. Cette gamine pouvait se révéler d’une efficacité redoutable dès qu’elle manipulait un clavier d’ordinateur. Mais je n’aurais jamais cru qu’en l'exhortant à exploiter ce don, que j’allais la pousser à violer la loi et à rencontrer l’homme qui était la cause de mon malheur.

 — Tu veux dire que je t’ai poussée à côtoyer des brigands ?

 — Prométhée n’est pas un criminel, c'est un justicier.

 — Il ne fait pas dans le cambriolage d'œuvre d’art ?

 — Il les récupère chez des voleurs pour les restituer à leurs propriétaires légitimes.

 Voilà qui expliquait le patronyme de Prométhée. Le personnage mythologique avait volé le feu pour le donner aux hommes, notre homme faisait de même avec l’art en se comportant comme robin des bois. Dans ce cadre, le “portrait d’un jeune homme” de Raphaël aurait été une très belle prise. Je désignais la toile installée sur le chevalet à Pauline.

 — C’est la raison pour laquelle tu m’as interrogé sur Bassano ?

 — Après avoir récupèré ce tableau, Prométhée a appris que c’était potentiellement une copie faite par cet artiste espagnol. Il m’a demandé de t’interroger sur ce faussaire et éventuellement te demander d’authentifier la copie.

 — Et pourquoi tu ne l'as pas fait ?

 — Quand je lui ai transmis les premières informations que tu m’a communiquées, il m’a dit qu’il ne fallait pas t’importuner et de me débarrasser du tableau. Je l’ai caché dans le grenier sous une couverture.

 — Ou j’ai dû le trouver, avant de l’accrocher dans la coursive, intervient Charles.

 — Charles, je vous ai dit que je pensais que vous étiez innocent.

 — Et qu’en pense votre ami Sherlock Holmes ?

 — Pour la paix de ce logis, peut-on oublier cette accusation hasardeuse ?

 — Jusqu'au moment où monsieur aura de nouveau besoin d’un bouc émissaire.

 Je sentais que j’allais entendre parler de cet incident très longtemps. Ce n'était pourtant pas le moment de perdre notre énergie avec ce type de chicaneries. J’aimais m'enorgueillir de toujours savoir comment éviter les tracas de toutes sortes. Ma longue expérience de l’art de l'esquive ne m’immunisait pas contre les petites fâcheries domestiques, mais d’habitude j’arrivais à décliner toute forme de responsabilité un peu significative sans trop de peine. Cette fois-ci j'étais piégé. Pauline me liais directement à Prométhée. Je ne pourrais pas espérer la protection des forces de l’ordre sans risquer d’incriminer ma nièce préférée dans l’une de ces enquêtes qui envoient des innocents en prison. La lourde réalité me tombait sur les épaules.

Comment nous sortir de cette situation ?

 Je décidais de m’occuper du problème sur lequel je pouvais exercer une action.

 — Je m’excuse humblement Charles. Cette journée a été éprouvante et j’ai bien peur d’avoir perdu mon flegme ainsi qu’une partie de ma raison. Ca n’excuse pas mon accusation stupide, néanmoins si vous voulez bien considèrer les événements de ce jour comme une circonstance atténuante ?

 — Excuses acceptées monsieur. N’en parlons plus.

Je pense qu’au contraire cette histoire risque de revenir hanter notre relation, mais pour l’instant, nous pouvons nous concentrer sur la situation.

 — Quelqu’un a-t’il des suggestions ou des recommandations à faire pour résoudre l’imbroglio dans lequel nous nous trouvons ?

 Les longues minutes de silence perdurant à la suite de cette question étaient l’indicateur que je n’était pas le seul à ne savoir que faire. Nous étions devant un problème insoluble. Le type de situation ou toutes les actions seraient mauvaises et l’indécision irrémédiablement catastrophique. Je me sentais comme Alexandre le Grand face au fameux nœud gordien, ne sachant pas si le dénouer ou le trancher pourrait faire pencher les augures en notre faveur. J’allais récapituler la liste des impossibilités en présence, quand Pauline prit la parole.

 — Comme je l’ai déjà dit et comme Charles l’a affirmé, je pense que ce serait une très mauvaise idée de contacter la police. Il faudrait leur expliquer la présence de la copie de Raphaël dans cette maison.

 — La fuite nous est interdite. Alexander Pretrov a été très clair sur ce point. Nous sommes certainement surveillés par ses sbires ou ceux d’Anatoli Kravtchenko.

 —Nous ne pouvons pas attendre que ces petites frappes viennent nous marav, sans nous défendre.

 — J’ai bien peur que le nombre, l’armement et les compétences des opposants ne soient largement supérieurs à mes capacités de combat, mademoiselle Pauline, dit Charles. Cette demeure n’est pas un de ces édifices de l’ancien temps avec des tours et des murailles créés pour la défense. Je propose de trouver un endroit plus adapté pour faire face à l'assaut.

 — Du calme Charles, répondis-je. Je reconnais bien là chez vous l’esprit belliciste que vous avez eu l’occasion de mettre au service de la Reine. Cependant, je préfère vivre en paix en m’abstenant de préparer la guerre. Si nous pouvions trouver une solution qui pourrait faire mentir ce bon vieil adage romain, je préférerais la favoriser.

 — Je pourrais demander à Prométhée de voler le tableau, reprit Pauline. Après-tout c’est à lui que nous devons d’être en danger aujourd’hui.

 — Mademoiselle est-elle sûre qu’il soit capable de réaliser ce larcin ? Voler un musée est plus difficile que pénétrer dans un logement. Et je croyais que votre… ami possèdait une éthique qui lui interdit de dérober une œuvre d’art à son propriétaire légitime.

 — Je ne sais pas, peut-être qu’il pourrait…

 — Rien du tout, intervins-je. Même s’il est le plus habile des voleurs de tableaux, Prométhée ne pourra jamais venir à bout du système de sécurité de la collection Wallace. Ce n’est pas seulement une gageure, c’est tout simplement impossible !

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