Chapitre un

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2 ans plus tard

Madame White sortit de la chambre de sa fille. Bien apprêtée comme à son habitude, son maquillage impeccable ne suffisait tout de même pas à cacher son visage triste. Son sentiment d'impuissance grandissait de jour en jour. Elle descendit les escaliers en colimaçon et rejoignit la cuisine d'un pas las. Munie d'un linge de cuisine taupe, elle s'apprêtait à essuyer et ranger la vaisselle du dîner. Elle abandonna vite sa tâche, l'esprit trop occupé.

Son mari, dans le salon, une revue à la main, leva la tête la voyant arriver le regard vide. Il posa son papier sur la table basse face à lui et invita sa femme à s'assoir à ses côtés. Voyant l'essuie-vaisselle dans ses mains, il savait qu'elle avait besoin de se confier avant de finir ce qu'elle avait entrepris.

— Édouard, je ne sais plus quoi faire... Elle est tellement mal. Que lui avons-nous fait ? questionna Madame White après avoir pris place près de son mari.

La femme aux cheveux presque argentés avait encore une fois envie de pleurer, mais les larmes ne sortaient pas. Elles ne sortaient plus depuis longtemps. Tout ce qu'elle désirait au plus profond d'elle était de pouvoir aider son enfant. Jamais elle n'avait pensé, un jour, se retrouver dans une telle situation. 

Leah White était une femme pleine de ressources. Lorsque ses petits avaient un quelconque souci, elle trouvait toujours une solution. Aujourd'hui c'était bien différent. Même en faisant de son mieux, elle sentait que la clef n'était pas en sa possession.

Cela faisait presque quatre mois que ce couple voyait leur fille se renfermer de plus en plus sur elle-même et se nourrir de moins en moins. Ils se devaient de réagir. Ensemble, ils avaient choisi de la déscolariser. Ils avaient consulté des médecins très compétents, mais aucun ne trouvait de véritable diagnostic. La plupart disaient que la jeune fille tombait dans une forte dépression, mais nul n'en connaissait la raison.

Le couple White se torturait l'esprit afin de trouver la cause au malheur apparu si abruptement. Qu'est-ce qui pouvait bien provoquer un tel changement chez leur deuxième enfant ? Qu'elles étaient les bonnes solutions afin de faire revivre leur fille ?

Pendant que la femme montrait sa souffrance, son mari gardait en lui toute la douleur, espérant ainsi aider sa chère épouse. Il ne se sentait pas moins impuissant face à cette situation.

— Leah, je ne pense pas que l'on puisse lui être d'une grande aide. Soyons réalistes, cela fait plusieurs mois que l'on essaye. Elle se renferme toujours plus. On la perd et c'est idiot de vouloir la garder près de nous. Nous ne savons pas comment nous y prendre. Il faut agir dans son intérêt.

Un hoquet de surprise s'échappa des lèvres de cette femme fatiguée. Il était impensable pour elle de confier sa fille à d'autres médecins. Elle ne se sentait pas capable de la quitter. Son fils aîné, Neal, trop emprisonné dans son quotidien, avait décidé dès l'obtention de son diplôme de prendre un nouveau départ. Son besoin de liberté avait été assouvi il y a maintenant un an et demi de cela. Leah ne pouvait pas accepter de voir son deuxième enfant partir loin d'elle.

Elle s'éloigna inconsciemment sur le sofa, comme pour mettre de la distance avec les idées de son époux.

— Non Édouard ! Je ne veux pas que notre fille soit placée dans un hôpital, entourée de malades et de médecins ! Je ne veux pas être séparée d'elle, tout comme je le suis de Neal...

Monsieur White comprenait. Cette idée ne lui plaisait pas non plus. Il ne savait simplement plus quoi faire. Être impuissant face au mal-être de son enfant était la pire sensation qu'il ait eu à affronter dans sa vie. Il se mit à réfléchir quelques instants tout en lissant pensivement sa moustache couleur argent.

— D'accord Leah. On va trouver une alternative sans médecine dans ce cas. Je me disais que si nous ne pouvions pas l'aider, alors pourquoi n'irait-elle pas vivre avec Neal en Angleterre ? tenta-t-il doucement.

— Comment ? Je n'ai pas vu mon fils depuis qu'il a quitté l'Irlande l'année dernière et tu voudrais que j'y envoie ma fille ? Si je la laisse partir, j'ai peur de ne plus la revoir pendant un long moment. Édouard, je ne pense pas en avoir la force.

Leah baissa les yeux. Une boule de chagrin et de frustration lui monta à la gorge. Elle sentait réellement la situation lui glisser entre les doigts. C'était insoutenable. Comment leur fille prodige en était-elle arrivée là ? Qu'avaient-ils manqué pour que celle-ci devienne si différente ? 

Madame White se leva d'un bond, ne supportant soudain plus d'être immobile. Il fallait qu'elle bouge.

— Dis-le. Dis que tu ne supportes plus de l'entendre hurler à la mort la nuit ! C'est pour cela que tu veux t'en débarrasser ?

— Moi ? Tu restes éveillée chaque nuit pour elle et accours dès que c'est nécessaire !

— Parce qu'elle a besoin de moi !

— Vraiment ? Je peux savoir comment tu penses l'aider alors que tu n'arrives même pas à la faire parler ?

— Je ne peux pas la forcer ! Tu n'y arrives pas non plus depuis des mois ! Je fais de mon mieux pour notre fille !

— Et tu crois que cacher son mal-être à Neal est ce qu'il y a de mieux pour elle ? Pourquoi tu fais ça ?

— Pour le protéger !

— Pour le protéger ou parce que tu as honte de ce qui arrive ?

— Comment oses-tu ! Édouard, j'aime notre fille plus que tu ne sembles le penser. Même plus que tu ne l'aimes toi apparemment !

Aucun d'eux n'avait élevé la voix, mais les mots prononcés étaient cinglants et pesants. Leah couvrit sa bouche en se rendant compte de ses paroles. Édouard soupira, passant ses mains sur son visage et dans ses cheveux, les coudes appuyés sur ses genoux.

Aucun d'eux ne parla pendant un long moment. La femme, le linge de cuisine toujours entre ses doigts, le serra contre elle en quête de réconfort. Sa tête lui tournait. Elle se sentait terriblement mal. La douleur presque physique dans son bas ventre était fulgurante. Il fallait qu'elle se ressaisisse.

Une fois ses esprits retrouvés, elle s'approcha de son mari. Il se glissa contre elle et pris ses mains tremblantes dans les siennes. Leurs deux regards bleu océan se contemplèrent tendrement.

— Pourquoi Neal ? demanda timidement Leah.

Édouard ignorait s'il tenait la clef de ce malheur, mais il se devait d'essayer. Pour le bien de son unique fille. Pour le bien de son épouse. Pour le bien de la famille qu'il avait fondée. Alors, dans un geste rassurant, il caressa doucement les doigts de sa femme, faisant tourner son alliance dorée.

— Tout simplement parce qu'il est son grand frère et notre fils. Nous avons confiance en lui et il aime indéniablement sa sœur. Peut-être arrivera-t-il à lui redonner le sourire ? Holly se confiera peut-être plus à lui ?

Madame White écoutait attentivement, hochant la tête de temps à autre. Elle commençait à comprendre les intentions de son mari. Et même si voir sa fille s'éloigner lui était douloureux, elle devait le tenter.

— Quand ils étaient petits, c'était toujours à Neal que Holly confiait ses moindres doutes et secrets. Après tout, leur relation n'a peut-être pas tant changé que ça ? continua Édouard.

La femme se leva, lâchant presque à regret les mains chaudes et rassurantes. Elle marcha calmement dans le salon aux tons beiges et bruns. Elle ressentait le besoin de réfléchir à cette proposition. Elle savait déjà, au fond d'elle, que son mari avait raison. Après plusieurs allées et venues, elle s'assit sur le fauteuil, face à lui.

— C'est d'accord. Je veux que ma fille redevienne comme avant, qu'elle retrouve sa joie de vivre et son bonheur contagieux.

Édouard, conscient des efforts de sa femme, se leva à son tour et l'attira doucement contre lui. Il la berça lentement alors que quelques perles salées roulèrent le long des joues de sa tendre épouse. Certes, voir leur fille partir pour l'Angleterre n'allait pas être facile. Il essayait de se faire à cette idée, non sans un pincement déchirant au cœur. Mais tous deux savaient qu'ils se devaient de le faire.

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