3 - Succube et proposition

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—     Démon qui revêt une apparence femelle, généralement humaine, afin d'entretenir des rapports sexuels avec un homme, murmura Louise.


À côté d’elle, des piles de bouquins étaient alignées sur la grande table de la bibliothèque. Dans le grand bâtiment, un silence presque religieux régnait en maître, enfreint seulement par le froissement des feuilles que l’on tournait, et la pointe des stylos que l’on grattait fiévreusement sur le papier.

Louise était une habituée des lieux, elle avait toujours préféré le contact parfois rugueux des livres au plastique des claviers. La petitesse de l’immense bibliothèque à l’immensité derrière le petit écran. Elle n’avait pas mis longtemps à connaître chaque rayons et allées du bâtiment, et elle savait qu’elle trouverait toujours ce dont elle avait besoin quelque part parmi ces étagères. Et aujourd’hui encore, elle n’avait pas été déçue. Depuis que les extra-planaires étaient apparues il y a plusieurs décennies, il y avait eu une avalanche de livres et traités sur les nouveaux arrivants. La bibliothèque universitaire avait tout naturellement fait l’acquisition d’un maximum de ces ouvrages, c'est parmi ceux-là que Louise fouillait aujourd’hui. D’un geste triomphal, elle posa le lourd volume sur la table et pointa du doigt la légende de l’image étalée sur la quasi-totalité de la page.


—     Il est dit que les succubes s’introduisent dans les rêves de leurs victimes et séduisent les hommes pour leur voler leur essence vitale.

—     C’est censé être moi ça ? murmura Susie, amusée.


L’image montrait une peinture du seizième siècle, l’artiste italien y avait dépeint une scène grotesque et terrifiante. Une créature squelettique et brune se tenait derrière un homme et l’enlaçait de ses deux grands bras malingres. Le visage du monstre était hideux et déformé, un bec occupait le milieu de son visage et ses deux yeux globuleux sortaient presque de ses orbites. Louise frissonna en imaginant une telle créature l'attaquer pendant son sommeil. Et pourtant, cela lui arrivait presque tous les soirs, sauf que son démon à elle était n’avait rien de la représentation peu avenante montrée dans le livre. Son démon à elle était assis juste en face, et elle était magnifique.

Susie avait troqué son pull en laine pour une chemise blanche légèrement trop serrée pour elle et portait encore aujourd’hui un jean délavé. Derrière elle sa queue se balançait mollement et heurtait parfois gentiment le sol, ce qui ne manquait pas d’arracher des regards curieux aux étudiants peu concentrés. Louise se força à détacher son regard du col déboutonné de la démone et s’éclaircit la gorge.


—     D'après toutes ses références, les succubes posséderaient une sorte de pouvoir magique qui leur permette de charmer les humains. Je sais que ce ne sont probablement que des histoires, mais il y a peut-être une part de vérité dans…

—     Ce n’est pas de la magie, c’est une simple lecture du langage du corps, répondit distraitement Susie.

—     Pardon ?


Susie fit une grimace en voyant l’image d’un démon particulièrement repoussant, puis referma le livre. Du bout des doigts, elle repoussa ses lunettes sur son nez et poursuivit d’un ton professoral.


—     L’expression du corps prend une place prépondérante dans une conversation. Ce qui veut dire qu’en lisant correctement son interlocuteur et en maîtrisant l’expression de son propre corps, il est facile d’influencer une discussion. Et il se trouve que les succubes sont naturellement doués à ce petit jeu. Enfin, la plupart.


Louise resta bouche bée pendant un instant. Puis se leva d’un seul coup. Son geste brusque surprit la démone qui se recula dans sa chaise, inquiète.

Cela expliquait tant de choses. Pourquoi Louise n’avait pas pu résister à la démone, pourquoi elle avait cette impression d'être amoureuse. Pourquoi même maintenant, elle ne pouvait s'empêcher son cœur de battre à toute vitesse quand les yeux de Susie étaient posés sur elle. Ce n'était pas juste elle. Mais il manquait une pièce au puzzle.


—     Et les rêves alors ? murmura Louise, est-ce que tu serais capable de rentrer dans le rêve de quelqu’un ?

—     Dans un rêve ? Non, bien sûr que non, je ne suis pas une magicienne.

—     Tu es sûr ?

—     Absolument, mais où veux-tu en venir à la fin ?


De plus en plus inquiète, Susie avait posé sa main sur celle de Louise. Sa main était agréablement chaude sur celle de l’humaine, mais Louise la retira d’un geste vif. Ce n’était pas le moment de se rappeler les nuits passées. Mais quand les longues oreilles de la démone s’abaissèrent aussitôt sur sa tête, qu’elle murmura un faible « Désolé », Louise s’en voulut.

Elle baissa la tête, incapable de dire un mot de plus. Les deux jeunes filles restèrent silencieuses, l’une fixait ses pieds, l’autre le visage de sa timide amie. Finalement, Louise pris son courage à deux mains, bégaya quelques mots, inspira un grand coup et commença finalement à parler.


—     Voilà. Je rêve de toi.

—     Oh. D’accord.

—     Chaque nuit depuis que l’on s’est rencontré.

—     C’est... Très romantique. Je suppose ?

—     Non, enfin si, mais ce que je veux dire, c’est que ce n’est pas une coïncidence. Je rêve de toi chaque nuit depuis maintenant seize jours !


Louise marqua une pause, la situation aurait effectivement pu être romantique. Un amoureux et son amoureuse, trop aimant pour ne pas continuer à s’aimer même dans un rêve. Sauf qu’elle n'était pas réellement amoureuse de la démone. Ou du moins, elle le pensait. Elle l’aimait pourtant avec une telle passion, le temps d’un charme, le temps d’une nuit. Même maintenant, elle se surprenait à admirer le coin des lèvres de la démone se lever avec ses sourires, elle s'étonnait de connaître par cœur les nuances de vert qui parsemaient le bleu de ses yeux, elle se forçait à ne pas suivre les pas de la démone qui s’éloignait trop loin d’elle, elle s’obligeait à ne pas attendre avec impatience la nuit tombée pour enfin l’avoir à elle seule.


—     C’est en effet un peu étrange, mais qu’est-ce que je peux y faire ?


La voix de la démone tira Louise de ses pensées.


—     Qu’est-ce que tu peux ne pas faire serait plutôt la question, répondit-elle.


Ce fut au tour de Susie de marquer une pause. Machinalement, elle enroula une mèche de ses cheveux autour de son doigt et joua avec. Enfin, elle réalisa.


—     Toutes ces questions sur la magie… c’est parce que tu penses que je t’ai ensorcelé ? C’est ça ?


Hochement de tête affirmatif de Louise. Susie eut du mal à se retenir d’éclater de rire, elle parvint à limiter à un ricanement tout à fait adorable, mais devant l’air outré de l’humaine, elle se calma peu à peu.


—     Ce serait donc ma faute si tu rêves de moi ? Moi je pense qu’il y en a une qui est très amoureuse,mais qui ne veut pas l’admettre.


Louise était heureuse de voir que la démone avait retrouvé son sourire. Et quel sourire ! La tête savamment inclinée sur le côté, le regard pétillant, elle s’était légèrement penchée au-dessus de la table, offrant à Louise une vue alléchante sur son décolleté. Quand elle continua, sa voix était réduite un murmure sensuel qu’elle lâcha tout prêt des oreilles de la jeune fille.


—     Je dois avouer que je suis un peu déçue. Quitte à rêver de moi, autant que ça soit dans une situation plus… intéressante. Si tu vois ce que je veux dire.


Elle avait dit ça pour la taquiner. Elle n’avait pas idée à quel point elle était proche de la vérité. Devant le silence de Louise, le sourire de Susie s’agrandit encore un peu plus.


—     Ne me dit pas que…

—     Si.

—     Chaque nuit ?

—     Chaque nuit.

—     C’est donc pour ça les bruits que tu fais en dormant ?


Cette fois, Susie ne put se retenir. À ce moment-là, Louise voulait simplement disparaître sous sa couette et ne plus jamais en ressortir. En plus d’avoir révélé son secret le plus embarrassant, elle l’avait révélé directement à la personne concernée, qui l’avait même surprise pendant l’acte ! Louise n’aurait pas été étonnée de voir de la fumée jaillir de ses oreilles, et un air de dégoût s’installer sur les traits de la démone. Pourtant, c’est un sourire doux qui ornait le visage de Susie, juste en dessous de deux yeux qui brillaient de leur bleu éclatant, remplis de chaleur.


—     Je suis désolée, je n’aurais pas dû rire comme ça.

—     Tu n’es pas... dégoûtée ? demanda Louise incrédule.

—     Pourquoi le serais-je ? Parce que tu penses à moi ? Parce que tu rêves de moi ? Parce que l’on passe un moment agréable ensemble pendant tes nuits ?


Louise ne savait plus trop quoi penser. Ce n'était absolument pas la réaction qu’elle imaginait. Elle ne s’aperçut même pas qu’un grand sourire s’étalait sur son visage.


—     Un peu surprise peut-être, bien que tu sois facile à lire, je ne m’attendais pas à ça, continua la démone. Tes expressions sont délicieusement… expressives. Je dois admettre que tu es adorable quand tu es embarrassée.


Elle jeta un coup d’œil aux alentours et fit signe à Louise de se rapprocher. Les joues un peu rougies, elle lâche avec entrain.


—     Dors avec moi.

—     Quoi ?

—     Ce soir. Dors avec moi, dans mon lit. Pour résoudre ton problème.


Louise lui lança un regard interdit.


—     Tu n’as pas l’air d’avoir saisi mon problème. Je veux justement pouvoir dormir tranquille sans avoir à… faire des choses avec toi, ou plutôt le toi de mon rêve.

—     Justement, il faut combattre le mal par le mal.

—     Tu veux qu’on… couche ensemble en vrai pour ne pas qu’on couche ensemble dans mes rêves ? s’indigna Louise.

—     Non, enfin, je ne serais pas contre, mais si tu dormais à côté de moi, ton subconscient serait suffisamment satisfait de m’avoir à proximité et te laisserait dormir tranquille.


Louise dut se maîtriser pour ne pas céder immédiatement. Dormir dans le même lit que cette démone ? Elle déglutit lentement, son esprit la bombardait d’image évocatrice et plus engageante les unes que les autres.


—     Non, n’insiste pas, je suis sûr qu’il y d’autre solution tout aussi valable.


Être allongé à côté de ce corps qui la narguait depuis des jours, avoir enfin en vrai ses chairs à portée de main. Peut-être  que les rêves pourraient devenir réalité ? Susie ne paraissait pas opposée à une thérapie de « choc », pendant un moment elle s’imagina, plongeant ses mains dans ce corps ambré, en aspirer le nectar, le sentir…


—     Si tu es sur de toi, abandonna finalement Susie, visiblement déçue. Mais sache que ma proposition tient toujours !


Louise se contenta d’acquiescer. Fière d’elle-même, elle avait su résister aux assauts de la démone. Ce soir, elle dormirait sur le canapé, aurait enfin le droit à une bonne nuit de sommeil, seule.

Le réveil affichait maintenant minuit trente-six. Louise n’arrivait pas à trouver le sommeil, à ses côtés, Susie dormait paisiblement, un sourire sur le visage. Louise se laissa retomber contre l’oreiller et remonta la couverture sous son menton.


—     Après tout, si je ne dors pas de la nuit, je ne risque pas de rêver, soupira Louise résignée.

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