De loin, j'aperçois les jardiniers. J'ai pris l'habitude de vérifier leur travail avec l'ensemble de ma famille, de mes invités, de ma cour. Dans ce cortège, je me sens importante. Cependant, quelque chose ne va pas... Les jardiniers ne sont pas seuls. On dirait... une petite fille ? C'est étrange, il y en a très peu au pays des merveilles. Je demande à mon valet s'il la connaît mais, à part sourire comme un imbécile, il ne sait pas faire grand-chose. Il faut tout faire ici.

Apparemment, elle se nomme Alice. Vu son caractère, elle n'est pas d'ici. Et si elle n'est pas du Pays des merveilles alors... elle est du monde extérieur. Je dois absolument m'en méfier. Autant l'inviter à une partie de croquet et décider si elle est une menace ou n... Qu'est-ce que ? Un rire ? Est-elle en train de se lier d'amitié avec MON cortège ? C'est hors de question, la seule Reine ici, c'est moi. C’est vrai que je ne suis plus une adorable petite fille... ça remonte à combien de temps déjà ? Il faudrait que je lui ordonne d'aller moins vite. Ce monde extérieur...je ne sais même plus comment il s'appelle. Je n'en ai que peu de souvenirs et le plus marquant reste celui ou je voulais absolument le quitter. La poursuite d'un lapin, le terrier... c'est un peu flou. En revanche, je me rappelle chaque rencontre faites dans ce pays. Certains personnages ont fini par disparaître mais d'autres sont toujours là. Ils étaient ce que j'avais toujours voulu dans l'autre monde. Après des semaines, des mois ou encore des secondes, à rire, à s'amuser et à raconter des divagations, ils m'offrirent comme cadeau de Non-Anniversaire, une couronne, un Roi et un château. Ma gentillesse avait payée et m'avait permis de réaliser mon souhait : être une Reine, aimée de ses sujets. Mais au fil de ce maudit temps, je suis devenu plus... autoritaire. Il faut dire que j'ai toujours pris mon rôle très à cœur. Lorsqu'une maladresse était commise, je me devais de trouver une sentence pour être crédible. Mon choix s'est porté sur la décapitation, auquel j'avais déjà assisté dans l'autre monde. C'était un excellent moyen de me divertir, moi qui m'ennuyais. Mais cela n'a pas vraiment plût à mes amis. Certains ont voulût me renverser, moi leur Reine ! Je me suis débrouillée pour les faire disparaître, eux et leurs familles. Après cela, j'ai enfin pu être crainte et respectée. Il n'y avait plus d'imperfection et mon Pays des Merveilles est devenu absolument parfait.

Et voilà, qu'une maudite petite fille arrive et agît de la même manière que moi à son âge. J'espère qu'elle ne sait pas jouer au croquet, ce sera une bonne raison pour la faire disparaître. Mais même si elle sait jouer, elle ne survivra pas dans les deux cas. Il faut que je retrouve mon calme... je vais demander l'exécution de la plupart des gardes et des invités, cela devrait être suffisant... Non. Pour que je retrouve le calme digne de mon rang, c'est cette Alice qui doit mourir. Je n'aurai plus peur qu'elle prenne ma place, plus à supporter son horrible sourire ni à la regarder me voler le cœur de mes sujets.

Je la hais. Elle me donne même envie de tuer les cartes qui me servent d'enfants et de Roi. Ma colère monte, ne veut plus s'arrêter. Son rire, contagieux, touche l'ensemble de mon cortège. Le Roi la trouve amusante. Certains l'appellent pour lui parler et sympathiser. Son prénom résonne dans ma tête. Mes lèvres tremblent, mes mains également. J'ai l'impression que mes yeux vont sortir de leurs orbites, que mes cheveux vont se décrocher de mon crâne. Ma gorge me démange. La seule image qui me vient, c'est sa tête tranchée qui orne ma collection. Finalement, je n'y tiens plus et ces mots familiers, répétés tant de fois avec froideur, sortent de ma bouche tel un souffle brûlant :

- QU'ON LUI TRANCHE LA TETE !