Pensées troubles

5 minutes de lecture

Mes lèvres rigides d’un sourire que je n’arrivais à tamiser la firent rire. Ce rire aurait pu être moqueur, elle qui avait de l’expérience avec les femmes et leurs baisers, mais je la sentis profondément heureuse. Ça n’était pas un simple baiser. Il lui confirma, je crois, ce que j’avais perçu juste avant de voir son visage pour la première fois. Une histoire commençait, pas seulement un chapitre. Contre toute attente au milieu de ces doux baisers qui se succédaient depuis presque une heure dans le noir total, cette fois, c’est moi qui la sentis sourire alors qu’elle me tenait la tête à deux mains. Elle ne pouvait me voir, mais je la sentais sonder mon regard.

Je lui demandai en chuchotant : « Qu’est-ce qui se passe? »

Elle : « C’est trop beau pour être vrai, j’ai de la misère à y croire. »

Le geste fut automatique. La chevauchant je tendis le bras pour allumer la lumière sur la table de chevet avant de lui répondre : « Et là, tu y crois? ».

Je découvrais au même moment ses yeux illuminés, pétillants, luisants. Elle était émue, quoi que gênée de l’être, parce qu’après tout, c’était VRAIMENT « quétaine ».

Elle, en secouant doucement la tête : « Ouais… Ouais j’y crois. » Et elle referma la lumière.

La nuit passa comme une flèche et malgré notre désir réciproque d’aller plus loin, elle nous en abstint. La raison évoquée ? « Tu mérites que notre première fois soit… parfaite. ». Je ne sais même pas comment nous avons réussi ce défi, mais quelque chose se débloqua en moi et me terrifia aussi. Je ne l’aimais pas, j’étais en amour. Il ne m’en avait pas fallu plus, même si je le savais depuis la première seconde.

Ratant l’avant midi de formation, absorbées par d’autres activités, nous fîmes finalement le trajet de 35 minutes en autobus. Assises complètement au fond, étonnamment seules, elle sorti de son étui la guitare qu’elle avait amené et je l’entendais me chanter ses compositions enivrantes pour la première fois devant les paysages urbains qui défilaient derrière la vitre. Je n’avais jamais cru pouvoir être aussi heureuse, autant aimer, même pas à 6 ans, même pas en rêve, et j’étais pétrifiée. Oui, ceci est mon histoire, et je ne peux pas me mentir non plus. Je me dois d’être honnête pour celles qui pourraient me comprendre et pour celles qui ont besoin d’être comprises. Alors, je dirai tout.

Cette peur fit se dépêcher en moi une réflexion qui peut vous sembler banale : « Si je m’affiche officiellement avec elle, si jamais ça prend réellement forme… Je ne serai plus jamais avec un homme. Jamais. ». Ça n’était pas une question que je me posais, c’était une affirmation pure et dure. Je le savais, c’était tout. Si notre histoire allait plus loin, comme je me le disais, comme je l’espérais, et avec la force de l’amour que j’éprouvais déjà, ça durerait toujours. Elle… et moi.

Ce que je ne savais pas encore à ce moment c’était si j’étais prête, en contrepartie, à abandonner ma sexualité avec un homme. Je n’avais jamais eu à même me poser la question avant. Pourquoi l’aurais-je fait ? N’ayant pas non plus eu de relation intime avec elle, je ne savais pas si j’étais convaincue que notre sexualité me conviendrait, me suffirait, me plairait, alors que je savais que j’étais bien avec un homme. Ça me convenait, ça me suffisait, ça me plaisait. C’était naturel, facile et j’aimais ça. Et si pire encore ? Si le moment venu je me rendais compte que oui, c’est ce dont j’avais toujours eu envie, il serait trop tard pour coucher une dernière fois avec un homme ! Et si un jour j’avais envie d’un homme, je ne pourrais plus ? Je ne pourrais jamais tromper une fois engagée. Ça n’était pas moi. Ma tête me faisait l’effet d’une boule de neige. Je ne me découvrais pas lesbienne, même si à ce moment je me le serais souhaité. Ça aurait été plus simple, j’aurais pu l’affronter. J’avais envie de m’enfuir, de fuir cet amour, c’était trop. Je me sentais mal dans ma peau, mal de même y penser, mal de ne pas me comprendre entièrement, mal d’avoir le pouvoir de rendre amère celle que j’aimais, mal de douter et encore plus mal de savoir que ces questions pouvaient tuer dans l’œuf MON histoire d’amour. Je me haïssais pour cette bisexualité que je n’avais demandée à personne! Ça aurait été tellement plus simple de tomber en amour avec un homme et à ce moment je me le serais souhaité.

Je crois, vous n’avez pas idée de la lourdeur de ces questions à cet âge. Pas idée de ce que ça peut chambouler en vous, détruire en vous. Le grand amour auquel j’avais toujours aspiré, que j’avais enfin à portée de main, je n’avais jamais envisagé que j’aurais pu le réduire à néant. À à peine 18 ans, l’âge ou les sentiments de liberté et d’effervescence sont les seuls censés vous préoccuper, je me disais qu’à ma vie je n’étais pas préparée. Je n’y avais jamais été préparé et je savais encore moins si j’aurais la force de prendre la bonne décision… si j’arrivais à savoir ce que c’était, ce que ça voulait dire dans ce contexte. Je me sentais terriblement seule et incomprise. J’aurais aimé que quelqu’un en ait parlé avec moi ouvertement à un âge plus précoce, juste au cas où j’en aurais besoin, de cette normalité, comme j’en ai eu besoin. J’étais prise dans un amour qui me faisait me perdre plus que me retrouver et que fait-on quand on se sent seule et perdue? Moi, j’ai eu besoin de vérifier.

Je couchai avec un homme deux jours après notre premier baiser. Horrible? Non. Abject ! Ignoble! Lamentable ! Répugnant ! Révoltant ! Faible ! Consternant ! Les mots me manquent, mais oui, je ressentais tout ça et bien plus encore. Je me sentais minable et minuscule, mais j’étais soulagée. Ça n’avait pas marché. Je n’en avais pas été complètement capable. J’avais le cœur ailleurs. Je n’en avais retiré aucun plaisir et ça avait coupé court, très court, au point ou lui et moi en avons terriblement rit et que nous finissions à parler d’elle… elle que je ne savais même plus comment je pourrais regarder. Encore entre les draps, moi les larmes aux yeux et la conscience en lambeaux, il se moqua gentiment en me disant : « Tu l’aimes, ça parait, c’est évident. Alors fonce ! Arrête de réfléchir, même si c’est pas facile ! » . Je crois que j’ai eu besoin d’entendre ces mots de quelqu’un qui connaissait mon intimité « 100% hétérosexuelle », et en y repensant, encore là, j’ai bénéficié d’une chance incommensurable! Vous en connaissez beaucoup vous des hommes avec des cœurs sensibles et ouverts d’esprit à ce point? Non, si je suis avec une femme ce n’est certainement pas parce qu’il manquait d’hommes à marier dans ce monde, et même si j’ignorais encore ce que c’était, c’était d’elle dont j’avais envie. Le seul problème était que je ne me sentais même plus capable de l’approcher. Je l’avais misérablement trahie et je comptais bien m’assurer qu’elle ne le sache jamais. Jusqu’à aujourd’hui. Après tout, nous n’étions pas encore ensemble. Pas vrai ? C’est ce qu’à 18 ans je me disais.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Élydia S. ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0