Déménagement

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  Sifflotant tranquillement, le violon négligemment hissé sur une épaule, Mazarine poussa la porte de son appartement. Mais dedans, elle pila net. Son père, livide, téléphonait en parlant à toute vitesse dans l'appareil. Sa mère, à côté de lui, tout en soufflant comme une locomotive, apportait des valises et les remplissait à tour de bras.

  - Papa ? Maman ? Que se passe-t-il ? Il y a un problème ?

   Sa mère lui fit signe de se taire afin que son mari puisse téléphoner, et la violoniste obéit. Ce ne fut que quelques minutes plus tard que ses parents, entre deux allers et retours visant à ramasser des habits, éclairèrent sa lanterne.

  - C'est ton grand père, Zaza ! Il est tombé dans son jardin, et on doit absolument venir à son chevet ! On ignore encore si la moëlle épinière est touchée !

  - Zut ! Et que fait-on ?

  - On fait les bagages, et dans quelques heures on prend le train. On ira loger chez eux jusqu'à ce qu'il aille mieux. Mamie est très inquiète, il faut aussi qu'on s'occupe d'elle. Pendant ce temps, il va être d'abord à l'hôpital de Thonon les Bains, et après l'opération, il sera immobilisé pendant un mois.

  - Je... Je viens avec vous ?

  - Que veux tu faire, sinon ? Ecoute, Zaza. Je sais que tu n'aimes pas beaucoup aller chez papi et mamie, et que cette fois-ci, on ne pourra pas t'emmener en promenade vu qu'on doit rester avec eux, mais on n'a pas le choix. Tu ne peux pas rester seule ici, et qui peut te garder ? Aller, va faire ta valise, ma puce.

  - Mais on part combien de temps ?

  - Le plus longtemps possible, toutes les vacances...

  Mazarine soupira, puis envoya un message à Virginie pour lui expliquer qu'elle ne pourra pas la voir. Puis elle s'attela à sa valise. Soudain, un léger bruit la fit sursauter. Virginie lui répondait. Elle lut avidement le message, puis courut chercher ses parents :

  - Papa, maman ! Virginie propose de m'inviter pendant les vacances !

  - C'est vrai ?

Ses parents se regardèrent un instant d'un air songeur. En hésitant, Mme Fournier demanda lentement :

  - Mazarine, tu es sûre que ça ne les embête pas ?

  - Virginie et son frère ont l'air enthousiaste !

  - Leurs parents sont d'accord ?

  - Sinon, ils ne m'auraient pas proposé.

  - Dans ce cas, j'crois qu'on peut accepter...

  - Ce ne serait pas de refus...

  - Et puis les prix des tickets de train doivent s'envoler, avec le début des vacances, ça doit coûter cher...

  - Sans compter que pour Zaza, ça ne va vraiment pas être drôle... Et on sera mieux pour soigner et chouchouter papi sans elle...

  - Bon, Mazarine, va faire ta valise. Ensuite, on t'accompagne chez les Janviers.

  A huit heures, les Fourniers sonnaient au cinq, allée des Hespérides. M. Fournier tirait la petite valise de sa fille. Virginie et Paul, en pyjama, ouvrirent tout de suite en faisant leurs plus beaux sourires aux parents de leur amie. Tandis que Virginie faisait entrer tout le monde, servait à boire, Paul monta à l'étage la valise de la nouvelle arrivante.

  - Où sont vos parents, les enfants ? demanda Mme Fournier en regardant partout autour d'elle, comme si elle s'attendait à voir M. et Mme Janvier sortir d'un placard.

  - Ils sont partis faire des courses, répondit Paul qui venait de descendre l'escalier, sans s'encombrer de scrupules.

  - A cette heure ? interrogea M. Fournier, en ayant l'air de se demander si c'était une bonne idée de laisser sa fille ici, deux semaines.

  - Oui, s'écria Virginie, on allait faire à manger, et s'est rendus compte à l'instant que le frigo était vide.

  - Papa, maman, intervint Mazarine, c'est à quelle heure, votre train, déjà ? Il ne faudrait quand même pas que vous le ratiez !

  - Bon sang, c'est vrai, on va être en retard ! Au revoir, Paul et Virginie ! Zaza, embrasse M. et Mme Janvier de notre part, et appelle nous souvent ! Et surtout, n'oublie pas d'être polie avec eux, de dire «Merci», «Non merci», et de prendre bien soin de toi !

  Une fois les parents partis, Virginie emmena son invitée à l'étage et la mena dans sa chambre. Un lit double y reposait, entouré de deux lits de camps. La valise de Mazarine était posée par terre. Paul les rejoignit tout de suite, et déblatéra aussitôt :

  - Salut tout le monde ! J'ai fait vite, j'ai mis les restes du gratin de pâtes dans le four à micro-ondes, ce sera bientôt prêt. Alors, Zaza, tu te demandes sûrement pourquoi on a fait rentrer deux lits de camp dans la chambre de Vivie, non ?

  - Ben, pour dormir, je suppose...

  - Evidemment qu'un lit de camp, c'est fait pour dormir. Mais je voulais dire, pourquoi, au lieu de dormir chacun dans sa pièce, il fallait qu'on s'entasse tous dans la chambre de ma petite soeur qui, au passage, est beaucoup trop rose à mon goût ?

- Hé ! protesta la danseuse. Ma chambre est très bien, et dans tous les cas, mieux que la tienne ! La preuve, tu voulais qu'on s'installe ici !

- Hum, oui, bon, d'accord, convint Paul en grognant. Bon, bref. Alors, Zaza ?

  - Etant donné, répondit la fine jeune fille brune, qu'on voit par la fenêtre de Vivie le Gîte de Mûshika, je suis à peu près certaine que vous voulez surveiller Hild jour et nuit.

  - En effet. Cette nuit, nous allons espionner à tour de rôle Brunhild Wotan, que je n'aurais définitivement toujours pas vu.

  - Mais, s'ébahit Mazarine, vos parents sont d'accord pour que vous m'invitiez deux semaines, et pour qu'on s'agglutine tous dans une chambre ?

  - On ne leur a rien dit, répondit Virginie, alors ne leur vend pas la mèche, d'accord ? Ce serait gentil, merci. De toutes façons, pour toi, c'est ça ou rester deux semaines à poireauter au chevet de ton grand père, donc évite de leur rapporter...

  - Oui, accorda celle-ci. Et puis ce n'est pas si mal que ça, ici. Mais on ne peut pas surveiller vingt-quatre heures sur vingt-quatre Hild ! Pour manger, par exemple, comment on va faire ?

  - Zut, jura Paul entre ses dents et en sautant sur ses pieds. J'ai complètement oublié le gratin de pâte au micro-ondes...

  Ce soir là, les trois amis durent se contenter de sandwichs composés de baguettes et de tomates trouvées sur la table de la salle à manger. Ils accompagnèrent cela d'olives, de thon et de fromage dénichés dans le garde manger. Le tout fut dégusté sur le lit double de Virginie, après l'avoir tapissé de serviettes en papier pour faciliter un éventuel nettoyage. En effet, ils préféraient ne pas prendre le risque de quitter leur voisine, même pour manger.

  Après ce plantureux repas, Mazarine partit se laver. Pendant ce temps, Paul et Virginie, pour passer le temps, entamaient une bataille de carte. Le tout sans lâcher Le Gîte de Mûshika des yeux, bien entendu. Une fois propre, la violoniste alla rejoindre la fratrie. Celle-ci continuait la bataille, mais cette fois-ci en en venant aux mains. Lorsqu'elle eut renoncé à comprendre la cause de la dispute et calmé la famille belliqueuse, Mazarine relaya ses amis auprès de la fenêtre. Ceux-ci en profitèrent pour se brosser les dents.

  Vers neuf heures, alors que les trois amis étaient en train de débattre pour savoir qui aurait l'honneur de dormir dans le lit double, Virginie poussa un rugissement. Elle venait de voir Brunhild sortir dans le jardin. Ils se ruèrent tous d'un coup à la fenêtre et manquèrent d'y rester étouffés. La vieille dame, quant à elle, se contenta de faire deux fois le tour de son jardin avant de rentrer. Ils en conclurent que ce n'était qu'une fausse alerte. Paul et Mazarine partirent donc se coucher, tandis que le premier tour de garde était confié à la danseuse.

  A une heure du matin, celle-ci sauta à pied joint sur la couchette de sa meilleure amie, dans le seul but de la réveiller. La violoniste alla donc se caler dans la bergère installée devant la fenêtre. Pour sa part, la danseuse partit profiter d'un repos bien mérité. Au bout de cinq minutes, Mazarine bailla. Au bout de dix, elle s'étira paresseusement. Et au bout d'un quart d'heure, elle se réveilla en sursaut, se demandant comment faire pour ne pas s'endormir.

Elle trouva une solution en sortant son téléphone de sa poche. Avec, elle se mit à jouer à Candy Crush. Mais la solution fut provisoire. En effet, lorsqu'elle eut épuisé toutes ses vies, elle recommença à s'endormir.

  En prenant maintes précautions pour ne pas réveiller ses compagnons, la jeune fille brune, sur la pointe des pieds, se dirigea vers la bibliothèque afin de trouver un livre.

  Lorsqu'elle se retourna, elle resta figée : une lumière venait de s'allumer chez Hild ! Haletante, elle s'empara de la paire de jumelle de Paul pour regarder ce que faisait Brunhild. La vieille dame, engoncée dans une horreur rose et vaporeuse - qui était sûrement une robe de chambre -, se dirigeait vers un placard. Là, elle prit de petits paquets sombres et informes qui devaient être des habits noirs. La violoniste, surprise, se demanda ce que pouvait bien fabriquer la voisine à deux heures du matin. Elle se préparait peut-être à sortir, conjectura-t-elle. Ne sachant que faire, elle décida finalement de réveiller les autres.  

  - Debout, là dedans !

  Non seulement ses amis ne se réveillèrent pas, mais en plus ils ronflèrent de plus belle. Mazarine, commençant à perdre son calme, les secoua de toutes ses forces en se retournant toutes les deux secondes vers la fenêtre. Elle craignait que Brunhild ne fasse quelque chose. Et Paul et Virginie ne réagissaient toujours pas...

Commençant à réellement s'inquiéter, la jeune fille mit la musique à fond, resecoua ses compagnons, puis fut à deux doigts de leur mettre des gifles. Enfin, elle s'apprêta à aller chercher des seaux d'eau à lancer sur la famille endormie. Ce fut à ce moment là, qu'un cri lointain lui glaça le sang.

  La malheureuse violoniste, complètement terrorisée au point d'être prête à fondre en larme, se laissa tomber sur la bergère. Le cri était inhumain, ou alors proféré par un homme si effroyablement horrifié, qu'il en avait perdu toute humanité.

  Aux oreilles de la jeune fille, le cri dura une minute qui lui semblait être une éternité. Quand il se fut arrêté, Mazarine, le souffle coupé, resta pétrifiée dix minutes. Sans doute à cause de l'inquiétude que lui causaient l'étrange sommeil de ses amis, et du cri atroce.

  Enfin, elle reprit ses jumelles et réobserva Le Gîte de Mûshika. Elle avait l'impression que le bruit venait de là. Surtout que ses soupçons influençaient le souvenir de ses sens... Mais Mlle Wotan avait disparu et la lumière s'était éteinte. Mazarine passa donc le reste de la nuit, grelottante de froid mais surtout de peur, à attendre les premières lueurs du jour. Elle n'avait même plus le courage de secouer Paul, tant elle craignait qu'il ne se réveille pas. Elle avait tellement peur qu'elle n'osait pas bouger, se lever pour allumer la lumière, ou encore pour aller chercher une couverture. En effet, elle gelait et rêvait de s'enrouler dans une couette pour se réchauffer.

  Ce ne fut que lorsque le soleil étendit premiers rayons qu'elle osa bouger. Elle commença par remuer le bout de ses doigts, puis enfin se risqua à se lever et à s'étirer. Enhardie par le jour levant, la jeune fille commençait à se moquer de ses frayeurs nocturnes. Elle refit une tentative avec ses amis. Là, elle eut à peine effleuré ses compagnons qu'ils se relevèrent. Dès qu'ils furent réveillés, ils s'étonnèrent que Mazarine n'ait pas appelé Paul pour la garde.

  - Zaza ? fit Virginie qui clignait des yeux. Tout va bien ? Tu devrais te réchauffer, prendre une douche chaude, boire un thé bouillant.. Bon, je ne sais pas, mais fais quelque chose, tu es bleue comme un schtroumpf... Comment ça se fait que tu sois aussi froide ?

  - Oui, approuva Paul, va vite prendre une douche. Vivie, va surveiller le Gîte de Mûshika, moi, je vais faire le petit-déjeuner et je le monte.

  La douche chaude, le contact de l'eau brûlante, fit le plus grand bien à Mazarine. Celle-ci, complètement remise de ses craintes de la nuit passée, commença sérieusement à se demander si elle n'avait pas rêvé.

  Quand elle eut fini de se laver et surtout, de se réchauffer, elle alla dans la chambre. Celle-ci était à nouveau transformée en camping par ses amis. Mazarine grimpa sur le lit qu'on avait retapissé avec les serviettes en papier. Paul, comme pour s'excuser du gratin de pâte calciné de la veille, s'était surpassé et avait réussi à faire en dix minutes des tranches de pain beurré, des oeufs à la coque, du jus de fruit dans une carafe et du thé dans un thermos.

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