Prologue

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La sorcière ricana, puis contempla à nouveau son prisonnier. Celui-ci, ligoté à une chaise, faisait peine à voir. Il avait beau ne pas être très vieux, sa chevelure n'était plus qu'une tignasse blanche désordonnée. Les traits de son visage étaient amaigris et tirés.

Mais ce que l'on remarquait surtout, c'était ses yeux, si largement ouverts qu'ils semblaient ne pas avoir de paupières. Ils étaient si grands que les pupilles étaient cerclées de blanc. Le regard de l'homme était fixe comme dans une agonie de pure terreur, et s'il restait à peu près droit, c'était uniquement grâce aux cordes qui le ligotaient au dossier de son siège.

Jamais un homme vivant n'avait supporté une pareille souffrance, et une terreur aussi grande, sans y succomber. Mais c'était peut-être le but de la tortionnaire, de repousser, ainsi,les limites de l'inconnu, et d'aller toujours plus loin... Qui sait ?

La magicienne regarda à nouveau son captif, mais plus attentivement ; elle se délectait de sa peur et de sa terreur. Elle aimait - non ; elle chérissait ! - faire souffrir, meurtrir et dégoûter ses victimes de la vie, grâce à ses illusions dont elle avait le secret. C'était comme cela qu'elle vivait ; en arrachant, en déracinant, en annihilant toute joie de vivre à ses victimes. C'était peut-être pour cela qu'elle existait. Mais elle déclara tout de même :

- Ce sera tout pour la semaine. Tu m'entends ? C'est fini ! Tu devrais être content, non ?

Mais l'homme avait atteint un niveau d'épouvante tel qu'il semblait ne plus jamais pouvoir se réjouir. Plutôt, il gémit :

- Madame, s'il vous plait, délivrez-moi ! Ecoutez-moi ! Laissez-moi partir ! Je veux voir d'autres hommes, et pas des monstres sans coeur, comme vous ! J'ai passé dix ans, mille ans dans ce trou ? Laissez-moi sortir, s'il vous plait !

- Calmez-vous, grogna la sorcière qui n'avait que faire de ses supplications. Je vous ai enlevé depuis seulement trois mois. Et personne ne vous cherche ; vous viviez seul, et je vous rappelle que vous étiez un SDF, quelqu'un que tout le monde avait oublié ! Vous étiez seul au monde, et tout le monde ignorait jusqu'à votre existence. D'ailleurs, sur ce point, remerciez-moi ; si je ne vous avais pas recueilli, vous seriez probablement mort de faim.

- Vous remercier ! Vous savez autant que moi que la mort vaut mieux que vos tortures !

- Tais-toi. Tu m'ennuies, avec tes jérémiades. Et tu sais aussi bien que moi que, si je voulais, je pourrais faire pire...

- Mais s'il vous plait ! Laissez-moi voir ne serait-ce que le soleil, la lumière du jour ! Au point où j'en suis, j'ignore si cela n'était qu'un rêve... J'ai rêvé ? Ce monde merveilleux existe-t-il réellement? Prouvez-moi que je ne suis pas fou, et que j'ai pas inventé tout cela !

La sorcière ricana, mais se sentit agacée. Cette pauvre loque l'énervait. Depuis tout ce temps qu'il était prisonnier ici, n'avait-il pas compris que les implorations n'amadouaient jamais son coeur de pierre ? Elle avait déjà suffisamment fait souffrir afin de devenir totalement insensible. Et à présent, les supplications ne l'émouvaient absolument plus, et passaient par ses oreilles sans qu'elle n'y fasse garde. Même les propos pleins d'accents d'espoir, de douleur et d'horreur la laissaient indifférente.

Elle balaya les propos de son captif d'un revers de main lassé, et cessa dès lors de l'écouter. A la place, elle appela l'un de ses serviteurs, qui était en fait un rat. Elle lui ordonna :

- Cela suffira pour la journée. Je me sens déjà plus puissante. Vous pouvez le ramener à sa cellule, et vous me le ramènerez la semaine prochaine. Entre-temps, je lui préparerais de nouvelles activités dont il me dira des nouvelles... Je dirais même plus, il ne sera pas déçu ! Et il me tarde de voir la tête qu'il fera... J'en suis impatiente !

En ricanant tout bas, elle retourna se coucher pendant que le captif, sans force, désespéré,se laissait emmener sans protester jusqu'à sa cellule. Il n'avait même plus le courage de demander à ses geôliers de le tirer avec plus de douceur.

Si son coeur était perclus de cruauté, la sorcière avait raison sur un point ; elle avait tellement torturé l'homme qu'à présent, il n'était plus qu'un être lassé, dégoûté de vie, qui attendait la mort avec impatience, comme une vieille amie.

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