15 avril 2021 (Les parfums)

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Elle : « ″Mais, quand d’un passé ancien rien ne subsiste, après la mort des êtres, après la destruction des choses, seules, plus frêles mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l’odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable, l’édifice immense du souvenir.″*

Moi : - Merci pour la citation, mais ça ne console pas.

Elle : - Marcel, il nous cause quand même de la réminiscence des odeurs, non ?

Moi : - Réminiscence n’est pas persistance, pucette. Ici, on est plus dans la persistance.

Elle : - Ça sent quoi, au juste ? La fiente ? Le bassin de décantation ? Les déjections canines ? La betterave fermentée ? Le vieux pet ? Ils ont nettoyé les écuries juste à côté ?

Moi : - Eh bien je dois dire qu’avec ce vent de nord-nord-est de seize nœuds, une mer peu agitée, un temps nuageux avec éclaircies et une visibilité de dix milles, on a tout à fait la sensation de vivre sous des aisselles puantes, où qu’on aille dans le quartier.

Elle : - Choueeeette… On a l’impression d’être à la campagne sans y être.

Moi : - Attends, la campagne ne cocotte pas à ce point… si ?

Elle : - Ah pardon, quand on va dans le village de tes parents, ça sent parfois le vieux chou.

Moi : - Vois-tu, Pollinette, il est parfois nécessaire de nous confronter aux réalités les plus brutes pour atteindre une forme d’éveil… Ainsi, Bouddha, né dans le coton – ou la soie, je ne sais plus –, a dû fuir le luxe et le confort pour trouver sa voie. C’est tout dire.

Elle : - Je n’ai pas envie de devenir comme le dénommé Boudin, moi ! Effectivement, c’est un truc qui réveille, mais je n’ai jamais signé pour vivre dans des égouts à ciel ouvert !

Moi : - Toujours dans l’exagération, toi, hein ! Allons, ce n’est qu’un petit épandage de purin sur l’hippodrome ! À moins que ce ne soit du lisier, ce qui est pratiquement la même chose.

Elle : - Pour une fois que nous sommes d’accord sur l’odeur, tu ne vas pas nier que ça empeste dans tout le quartier ! Mais d’où ça vient, cette horreur ?

Moi : - Le purin est un déchet liquide produit par les élevages de mammifères domestiques. Autrement dit, ça consiste principalement en urine d’animaux d’élevage, c’est-à-dire de porcs, de chevaux, de bœufs…

Elle : - Non ?!? De la pisse de cochon ?!?

Moi : - Ben si. Tu noteras que c’est complètement naturel, bref, totalement bio.

Elle : - Ça prouve qu’un produit peut être à la fois bio et une véritable infection.

Moi : - Si on va par là, la ciguë, c’est bio aussi… Il faut noter que l’hippodrome de Marcq faisant trente-trois hectares, la quantité répandue doit embaumer au moins jusqu’aux villes voisines.

Elle : - Mmm, et ça sert à quoi, la boule puante géante ?

Moi : - Dans le cas présent, principalement à fertiliser le gazon. N’oublie pas qu’il y a un golf au milieu de l’hippodrome…

Elle : - Rheu ! Ne me dis pas qu’on est obligés de vivre en apnée depuis ce matin pour entretenir des pelouses destinées à la pratique d’un sport égocentrique et individualiste qui consiste à se balader sans but autour de dix-huit trous tout en s’émerveillant du grand bol d’air que l’on prend sur des étendues herbeuses artificielles qui réclament des tonnes d’eau par an ?

Moi : - C’est un bon résumé. Maintenant, quand tu parles d’apnée, c’est plutôt nous, les humains, qui devons nous y soumettre. Toi, tu n’es pas vraiment concernée… Tu fais fonctionner ton recyclage d’air et ainsi tu n’as pas à aspirer l’air extérieur.

Elle : - Non mais beurk… L’odeur est quand même partout…

Moi : - Tu ne sais pas le plus beau ? Depuis le mois de janvier, les sons et odeurs caractérisant les espaces naturels sont entrés dans le code de l’environnement en France. Ça signifie que les bruits et effluves campagnards vont être inscrits dans le patrimoine commun de la nation.

Elle : - Pas possible ! Paris a sa tour Eiffel, la Normandie le Mont-Saint-Michel, et Marcq son odeur de lisier ?

Moi : - En quelque sorte.

Elle : - Tu crois que c’est ce que veut dire le slogan, ″Marcq, un certain art de vivre″ ? Encore une publicité à la limite de l’arnaque, si tu veux mon avis !

Moi : - C’est pas loin, parce qu’en fait d’art de vivre, nous sommes obligés de nous enfermer chez nous pour échapper aux remugles.

Elle : - C’est ballot, ça. Encore un confinement ! »

* tiré de ″Du côté de chez Swann″ (M. Proust)

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