12 février 2021 (War zone)

4 minutes de lecture

Moi : « Tu ne sauras jamais ce que je viens de trouver !

Elle : - Si tu ne me le dis pas, je risque en effet de ne jamais le savoir.

Moi : - Tu vois l’orée du bois, là-bas ?

Elle : - Oui.

Moi : - Après avoir contourné le talus sur la gauche, je me suis arrêtée net devant plusieurs obus, ou plusieurs restes d’obus, qui se trouvaient par terre.

Elle : - Et qui datent de la Première Guerre mondiale ?

Moi : - Vu la corrosion des bidules, ça m’a tout l’air d’être ça. Ça prouve qu’on est bien dans une ancienne zone de combats.

Elle : - Je ne te demande pas ce que tu faisais dans les sous-bois…

Moi : - Tu as vu depuis combien de temps on est parties ?

Elle : - Donc, en résumant, si un jour j’entends un grand boum, je saurai que c’est toi qui as fait là où il ne le fallait pas. (Après un silence) On ne dirait pas comme ça, mais un pissou furtif dans les buissons peut être super dangereux avec toi.

Moi : - Disons qu’il y a eu un peu de sport.

Elle : - Mais pourquoi tu éprouves le besoin de te cacher ? Nous sommes loin de toute civilisation, là ! Je ne vois pas bien qui pourrait te voir ?

Moi : - Imagine un brave agriculteur déboulant plein pot avec son tracteur !

Elle : - Par ce froid ??? Ils ne sont pas fous, eux, ils restent au chaud !

Moi : - Plains-toi ! Je t’offre un bon bol d’air frais !

Elle : - Seulement frais ? À partir de moins combien tu juges qu’il fait froid ?

Moi : - C’est moi qui subis plus les basses températures que toi !

Elle : - En tout cas, imaginons que tu finisses en feu d’artifice, je n’ai pas envie d’attendre toute seule le moment hypothétique où quelqu’un aura la drôle d’idée de venir se perdre jusqu’ici.

Moi : - Toujours aussi pleine de compassion, à ce que je vois… Allez, en route vers le prochain cimetière.

Elle : - Encore britannique ?

Moi : - Oui, il n’y a que ça ici dans le secteur.

Elle : - Ça va finir par devenir lassant à la longue.

Moi : - Tu noteras que j’ai déniché deux cimetières allemands plus tôt ce matin.

Elle : - C’est vrai. Ça a mis un peu de fantaisie dans la journée. Merci aux soldats allemands morts d’avoir égayé la balade.

Moi : - Égayé plus que tu ne crois. La géographie d’un cimetière militaire allemand est quand même très différente de celle d’un lieu commémoratif du Commonwealth. Résultat, on se pèle comparativement beaucoup plus dans un cimetière allemand que devant un mémorial britannique. Je viens tout juste de le remarquer.

Elle : - Intéressant. C’est dû à quoi ?

Moi : - Ben, les murs qui servent à inscrire tous les noms des disparus forment d’excellents coupe-vent… Et quand le ressenti en pleine brise hivernale frôle les moins quarante et demi, ce n’est pas complètement inutile.

Elle : - Petite nature, va ! (Après avoir parcouru quelques hectomètres) Dis donc, je crois que tu as marché dans quelque chose de rustique.

Moi (reniflant) : - Ah ? C’est bien possible.

Elle : - Je dirais même plus, quelque chose de puissamment rustique ! T’as pas fait la connerie de toucher aux obus ? Tu sais que c’est toxique, ces machins-là !

Moi : - Jamais je ne toucherais à l’un de ces trucs pour un empire !

Elle : - N’empêche que ça m’a pas l’air totalement blanc-bleu, ce que je respire…

Moi : - Boh t’exagères. C’est pas aujourd’hui qu’on va mourir asphyxiées par des vapeurs méphitiques !

Elle : - Et dire qu’on nous vante les mérites de l’air pur de la campagne ! On me la copiera, celle-là ! Où qu’on aille, ça pue la vache, ou l’épandage, ou le vieux chou !

Moi: - Il n’y a pourtant pas beaucoup de travaux des champs en cette saison…

Elle : - Tu n’aurais pas marché par hasard dans ta propre… ? Tu vas me coller chais-pas-quoi plein mon tapis de sol !

Moi : - Mmm, tu sais, entre le blizzard et le sous-bois rempli d’obus, j’avais d’autres préoccupations que de faire attention à ça en plus du reste !

Elle : - Mais t’es pas vraie !!!

Moi : - Et c’est moi qui suis une petite nature ?

Elle : - Je peux même pas te conseiller d’aller te nettoyer les godasses dans une flaque d’eau : tout est gelé !

Moi : - Rhôlàlà, quel drame… Il paraît que ça porte bonheur, tu sais… Admire plutôt le paysage, et dis-toi qu’il y a un siècle ces champs et ces bois ressemblaient à la surface de la Lune. (Après un silence) Bon, avec tout ça, je commence à avoir faim. Ah mais ce n’est pas étonnant : il est bientôt midi !

Elle : - Tu ne perds pas le moral, toi au moins ! Les odeurs te coupent pas l’appétit ?

Moi : - Nan.

Elle : - Alors qu’est-ce qu’on mange aujourd’hui ?

Moi : - Tu vas être contente : eu égard la pénurie actuelle de sandwiches anglais, je me suis confectionnée moi-même mon déjeuner en m’inscrivant dans la plus grande tradition française. Du style, de la délicatesse, du raffinement.

Elle : - Splendide ! Saluons ce retour à la civilisation culinaire ! Et donc, qu’est-ce que tu t’es fait de bon ?

Moi : - Une demi-baguette rosette-camembert. »

Annotations

Vous aimez lire Grande Marguerite ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0