20 novembre 2020 (Trop de bonheur)

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Moi : « Ouaiaiais… !

Elle : - Youpiiii !

Moi : - Supeeeer !

Elle : - You-hou !

Moi : - Bon, ça y est, on s’est suffisamment lâchées, là ?

Elle : - On peut en remettre une couche si tu veux. Trop boooonnnn !

Moi : - OK. Ça va pour aujourd’hui.

Elle : - Mmm, je pense aussi.

Moi : - Tu vois, parmi les vertus du confinement, c’est qu’il suffit de faire dix kilomètres sur l’autoroute pour que ce soit quasiment un pur bonheur !

Elle : - Par contre, il pleut.

Moi : - Je te rappelle qu’on est en novembre. On ne peut pas tout avoir.

Elle : - Moi, en tout cas, des confinements comme ça, j’en reveux !

Moi : - Toi, dès qu’on bouge, tu oublies un peu tout le reste… Tiens, à propos, quelque chose que je n’oublie pas, c’est ton attitude d’hier !

Elle : - Quoi ça ?

Moi : - Tu as été d’une lâcheté absolue devant Zeup.

Elle : - Ce n’est pas toi qui vis entourée de Peugeot.

Moi : - Oh, mais elles ne vont pas te tomber dessus à bras raccourcis ! Enfin… à bras… Heu, à capots raccourcis ? Non, ça fait con. Comment on dit pour une voiture ?

Elle : - C’est bien le moment d’avoir des problèmes linguistiques ! La vérité, c’est qu’on subit un peu trop la loi des Peugeot sur notre parking !!!

Moi : - Rassure-toi, Zeup est à nouveau partie, et les autres sont un peu trop éloignées pour te faire quoi ce soit.

Elle : - Muf, y a de l’excès de Peugeot sur ce parking…

Moi : - Sache qu’il faut de tout pour faire un monde.

Elle : - Pas assez de voitures bleues, trop de voitures grises. Même sur la route, tiens, regarde. C’est quoi cette passion pour le gris métallisé ?

Moi : - Je ne sais pas, Pucette. C’est une couleur passe-partout. Curieusement, quand tu veux te renseigner sur les nuances de gris sur Internet, savoir d’où ça vient, pourquoi les gens préfèrent les teintes argentées pour leur voiture, tout ça, tu tombes soit sur des sites plus ou moins érotiques, soit sur des sites de conseil capillaire.

Elle : - Sont fous les humains. (Après un silence) Bon, mais à part ça, où va-t-on aujourd’hui ?

Moi : - Ben, tu reconnais pas cette direction ?

Elle : - Ouais, on va vers la mer !

Moi : - Non, on s’arrête à Hazebrouck.

Elle : - Ah oui, Hazebrouck, ses trois cimetières militaires, tes parents…

Moi : - Je préfèrerais que tu mettes ça dans un autre ordre.

Elle : - Quoi, tes parents d’abord ?

Moi : - Ben oui !

Elle : - Je comprends pas : partout où nous allons, tu nous fais toujours tout un cake avec les cimetières militaires !

Moi : - Oui mais la famille est prioritaire, surtout mes parents !

Elle : - Oh, d’accord… Je vais retenir le truc. Les haltes importantes : en un, tes parents, en deux, les cimetières militaires, en trois, heu, les champs de maïs, en quatre, les stations service…

Moi : - C’est à peu près ça.

Elle : - Et pourquoi on va chez tes parents en plein confinement ?

Moi : - On a le droit de rendre visite à des personnes fragiles.

Elle : - Ce sont des personnes fragiles ?

Moi : - Si à leur grand âge ils ne sont pas fragiles, ils ne le seront jamais ! Et comme tu devrais le savoir, nous les humains, plus on vieillit, plus on se détraque.

Elle : - J’ai remarqué. Le service après-vente est très mal fichu pour vous. Surtout la garantie pièces de rechange.

Moi : - Entre autres. Malgré ça, on a une durée de vie plus longue que celle de la plupart des voitures.

Elle : - Pas faux. Mais je comprends pas, avec tes parents.

Moi : - Quoi ?

Elle : - Bah la semaine dernière et les semaines avant, ils étaient déjà fragiles, et on n’est pas allées les voir.

Moi : - En effet.

Elle : - Bah alors ? Qu’est-ce qui se passe cette semaine ?

Moi : - Il se trouve que j’ai des draps à laver et que mon appartement est un peu petit pour les faire sécher convenablement.

Elle : - Mmm. Ça existe, la case "Personnes fragiles avec suffisamment d’espace pour faire sécher les draps" sur l’attestation ?

Moi : - Si on se fait contrôler, je ne parlerai pas de mon linge.

Elle : - Sans ton histoire de draps, on n’allait pas voir tes parents ?

Moi : - Non. Nous respectons le confinement, nous !

Elle : - Je vois ça.

Moi : - Mais oui, je suis une vraie anachorète.

Elle : - Tu peux pas parler normalement ?

Moi : - Les anachorètes sont des ermites. À la différence des cénobites, lesquels sont aussi des ermites, qui vivent retirés du monde mais en groupe.

Elle : - Tes paroles ont l’air cultivées comme ça, mais je te soupçonne de me balancer des gros mots en douce…

Moi : - Mais pas du tout. Les anachorètes vivaient pour la plupart des vies de contemplation. C’est tout moi.

Elle : - Et que contemples-tu ?

Moi : - L’écran de mon ordinateur. Enfin bon, comme tu le sais, je suis une semi-anachorète, je vois des étudiants de temps en temps. Mais je préfère suivre les règles.

Elle : - Finalement, c’est ça, ton expérience de survivalisme. Tu te rappelles ce que tu voulais faire au printemps ?

Moi : - Peut-être. Au fond, je me suis aperçue que ça ne vaut pas la peine de jouer les Rambo entre le bâtiment A et le bâtiment B de la résidence quand il suffit de se rendre sur le lieu de son travail pour risquer sa peau au milieu d’étudiants potentiellement porteurs de virus. Entre l’équipée sauvage au fond du Larzac en télédistance ou la traversée du campus universitaire, j’ai choisi.

Elle : - Dit comme ça, ça fait un peu poussif.

Moi : - La fac de tous les dangers, c’est mieux ?

Elle : - Mmm.

Moi : - Écoute, si on prend comme exemple Citroën, en 1931, c’était la grande aventure : la marque lançait la Croisière Jaune à travers l’Asie…

Elle : - Waouh ! Eh bien, ça au moins, c’est excitant ! La Croisière chti à travers les territoires les plus redoutables de l’université de Lille !

Moi : - Attends ! Regarde où ils en sont, maintenant, chez Citroën ! Quatre-vingt-dix ans après la Croisière Jaune, ce qu’ils font de plus fou, c’est de vendre des Berlingo. Alors si c’est pour finir comme ça… Tu vois, mieux vaut s’économiser, dans la vie… »

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